Année de l’Inde en France (1985-1986)
Côté français, l'organisation de l'Année de l'Inde en France a été confiée à Catherine Clément.
Le 7 juin 1985, François Mitterrand ouvrait l'Année de l'Inde en France aux côtés du nouveau Premier ministre de l'Union indienne, Rajiv Gandhi, avec une grande fête traditionnelle (le « Méla ») dans les jardins du Trocadéro à Paris au milieu des artistes, danseurs et musiciens… et le défilé, sur un parterre de fleurs, de 200 éléphants du Rajasthan parés d’or. Selon les mots même du Président de la République « Je me souviens que ce soir-là (…) des centaines de milliers de Parisiens découvraient les couleurs, les sons, les senteurs de l'Inde. (…) Il n'y avait pas que le pittoresque, celui de ces éléphants couverts de l'or du Rajasthan, de la présence de deux cent dix artistes de village qui, pour la plupart, n'étaient jamais sortis de leur pays. Tout cela illuminait nos jardins, nos fontaines d'une grâce, d'une force inoubliables, la force et la grâce de vos mythes qui, soudain, prenaient possession de nos mains.» Cette ouverture, retransmise sur TFI, était co-présentée par Frédéric Mitterrand et le réalisateur indien Vijay Singh.
Le journal Libération se remémore également cette soirée, sous la plume de Guillaume Pajot dans un article du 10 août 2015 intitulé « Un éléphant pour Mitterrand »: « Paris, un soir de juin 1985. On célèbre avec munificence l’Année de l’Inde en France. Le Premier ministre Rajiv Gandhi a fait le déplacement. Il faut absolument l’éblouir. Sous ses yeux, des jarres d’eau tirée du Gange sont versées dans la Seine en cascades fusionnelles, comme pour coupler les deux fleuves. Des arches de bambous et de lianes sont dressées. Des colliers, des bracelets de jasmin blanc portés aux poignets. Quand le soleil disparaît, des milliers de lampes à huile, nefs de feuilles sèches, tanguent sur les eaux noires comme des lucioles étourdies ».
Et le journaliste de rappeler le cadeau diplomatique offert par l’Inde à la France : parée et maquillée, une femelle éléphanteau de 18 mois est hissée à cette occasion au premier étage de la Tour Eiffel et offerte par le Premier ministre indien au Président de la République. Kaveri, c’est son nom, a ensuite rejoint le zoo de Vincennes puis le parc zoologique du Pal...
De nombreux temps forts ont rythmé l’Année de l’Inde en France, parmi lesquels une exposition intitulée « Regards indiens » au Centre Georges Pompidou, pour laquelle le photographe Ferrante Ferranti avait été envoyé en mission rencontrer poètes et écrivains du Bengale, et où ont été présentées les œuvres de Bhupen Khakhar, Sudhir Patwardhan et Arpita Singh. Mais également au musée Guimet (« Les mois et les saisons dans l'art indien »), à la Bibliothèque nationale (« À la Cour du Grand Moghol ») ou encore l’exposition « Textiles de l'Inde : l'or et la laine, le coton et la soie » au musée des Arts décoratifs, pour laquelle 150 tissus avaient été présentés dans la nef du musée, entièrement habillée pour l’occasion d’une structure souple de coton blanc. On se souvient également de la mise en scène spectaculaire de la légende du Mahâbhârata par Peter Brook au Festival d’Avignon : 9 heures de représentation…
Au programme de l’Année de l’Inde, voulue comme « le plus grand événement du genre présenté en France jusqu’ici », tous les arts traditionnels, populaires et contemporains, des spectacles de l’Indian Roadside Theatre, des représentations d’arts martiaux et de marionnette, de la danse, de la musique, de la gastronomie…
Et François Mitterrand de se souvenir dans son discours de clôture de l’Année de l’Inde en 1986 : « Quand les Nagas du Nagaland dansèrent au Foyer de l'Opéra de Paris, quand les belles danseuses de l'Inde du Sud firent l'admiration des connaisseurs de l'art, quand les aborigènes du Madhya Pradesh déployèrent leurs acrobatiques pyramides sur l'Esplanade du Trocadéro, tandis que les chanteurs soufis ou la chanteuse épique se faisaient entendre des Parisiens admiratifs, tous étaient différents et tous représentaient l'Inde. »
Le 12 juin 1986 au Palais de l’Elysée, lors de son allocution à l'occasion de la réception marquant la clôture de l'Année de l'Inde, François Mitterrand, se rappelle : « Chants, danses, expositions, colloques, festivals de cinéma, rencontres poétiques, l'année qui s'achève n'a pas connu de jour sans présence indienne. Je ne parle pas seulement des manifestations officielles, des centaines de manifestations spontanées, des manifestations spirituelles, commerciales et même culinaires, naïves ou savantes ont habité les villes et parfois les villages de France. Bref, nous n'oublierons pas cette visite, à la fois traditionnelle et tout-à-fait contemporaine : les grandes divinités sont venues à nous, les Ganesh, les Krishna gracieux, les terribles Kâli, sous leur forme de pierre sculptée, sous leur figure dansée. Les empereurs moghols avec leurs raffinements de cour, ils ont livré leurs miniatures, leurs musiques et l'admirable danse qu'est le Katnak.Et de l'Inde moderne, nous avons appris à approcher la maîtrise scientifique, l'art du film, celui du textile, de l'architecture. Tout cela qu'avait connu Le Corbusier et qui a marqué aussi notre propre culture : la pensée, la recherche, les technologies étaient là, probantes. Bref, les graines étaient semées, tout cela germe.Et c'est bien, vous vous en souviendrez, vous qui étiez là, ce que chantait dans la nuit le chanteur Babu Bay Ranpuhra du haut de la Tour Eiffel, quand s'achevait le "Mela", je le cite : - "Mais voici le moment où je dois repartir - Vers ma propre ville, laissant derrière moi - Toute ma tendresse, tout mon amour, avec vous, - Entre vos mains, dans vos mémoires". C'est à notre tour, et j'espère qu'en 1988, la France sera en Inde. Et nous nous efforcerons de vous apporter le meilleur de nous. En déclarant close l'Année de l'Inde, nous ne refermons pas un livre. Nous continuons d'en feuilleter les pages. »
A la suite de l’Année de l’Inde en France, plusieurs institutions françaises reçurent du ministère de l’Education nationale des propositions d’échanges scolaires et universitaires avec l’Inde, pérennisant ainsi les échanges initiés en 1985. C’est aussi à la faveur de la riche programmation cinématographique que la Cinémathèque de Chaillot et la toute nouvelle salle de cinéma du Centre Pompidou avaient consacrée au sous-continent indien que la France a commencé à s’intéresser au cinéma de « Bollywood ».
A titre de réciprocité, une Année de la France en Inde était donc décidée, inaugurant ainsi le concept d’« Année croisée », et dont la programmation avait pour ambition d’aller bien au-delà des disciplines purement artistiques, dans une démarche assumée de diplomatie d’influence (ce que l’on appelle aujourd’hui le Soft Power).
En visite officielle à Bombay en février 1989, François Mitterrand déclarait en effet : « Ce que nous allons vous offrir, c'est une image du génie national de la France, dans la plus grande diversité possible : ce soir le futurisme de la science-fiction et les prodiges de la technologie, des images les plus sophistiquées [celles du spectacle de Jean-Michel Jarre], demain, nos impressionnistes, puis l'étonnante rupture qui conduisit Paris à devenir le foyer d'une peinture résolument moderne, abstraite, d'une certaine façon progressiste. Nous commençons par la modernité de nos savants, nos ingénieurs sont ici pour réfléchir avec les vôtres, et nous continuons avec l'Histoire, sans perdre le fil des techniques qui, d'âge en âge ont été avec l'art, le moteur de notre culture, technique et art, cela n'est pas séparable. Je forme le vœu qu'à travers ces manifestations, qui n'oublient aucune des formes de l'art et de la science, apparaissent aux yeux de votre peuple, l'image du nôtre, sous des aspects aussi neufs que le furent ceux de l'Inde en France en 1985. »