Retour avec Fernanda Brenner sur la résidence collective Atlantic Threads à la Cité internationale des arts

Published on 17 April 2025

Fernanda Brenner
© Mariana Maltoni

Directrice et fondatrice de Pivô, un espace autonome dédié à l’expérimentation artistique et curatoriale à São Paulo et à Salvador, Fernanda Brenner, en collaboration avec Azu Nwagbogu et Nataša Petrešin-Bachelez, a imaginé Atlantic Threads, premier projet bénéficiaire de la Résidence collective, dispositif prenant forme au sein du programme Institut français x Cité internationale des arts. Entre janvier et avril 2025, dans le cadre de la Saison France-Brésil, Atlantic Threads a réuni quatre artistes et praticiens à la Cité internationale des arts à Paris, avec le soutien de l'Institut français : Gabriela de Matos, Tiganá Santana (Brésil), Anne-Lise Agossa (Côte d'Ivoire) et Olufèmi Hinson Yovo (Bénin), accompagnés par les commissaires Cindy Sissokho et Olivier Marboeuf (France). 

Fernanda Brenner dévoile les enjeux du projet et du choix concerté des artistes accueillis afin de réfléchir aux dynamiques de pouvoir et aux héritages coloniaux des territoires et des scènes artistiques de Salvador de Bahia, des villes du golfe du Bénin, des côtes atlantiques françaises et de Paris. 

Le Brésil n'est pas simplement un récepteur passif du colonialisme européen, c'est un acteur complexe qui a à la fois absorbé et perpétué des modèles coloniaux.


Vous êtes commissaire d'exposition, autrice et directrice d’institution. D'où vient votre passion pour l'art ?

Ma formation en commissariat d'exposition contemporain est plutôt hétérodoxe. J'ai travaillé pendant de nombreuses années comme scénographe et directrice de production pour le cinéma, où je faisais des recherches iconographiques et étudiais l'histoire de l'art de manière instrumentale. En 2010, j'ai découvert l'espace qui abrite maintenant Pivô et j'ai commencé à organiser des expositions et à me rapprocher des artistes contemporains, au point que cela a complètement supplanté ma pratique cinématographique. L'écriture est venue naturellement avec cette transition et a pris plus de place au fil des années, c'est quelque chose que j'apprécie vraiment. 

Vous avez imaginé le projet Atlantic Threads, . De quelle manière s’est établie la collaboration avec le programme Institut français x Cité internationale des arts et que comprend ce projet?

Nous sommes proches de l'Institut français depuis longtemps et cette idée est née dans le contexte de notre nouveau lieu à Salvador. Salvador possède la plus grande population noire en dehors du continent africain et son histoire est profondément marquée par ce qu'on appelait autrefois le triangle atlantique de la traite. Il s’agit d’un système économique colonial, qui impliquait l'échange forcé de personnes africaines réduites en esclavage, de matières premières comme le sucre, le coton, le tabac et le cacao des Amériques, et de produits manufacturés européens. Ce système a structuré violemment les relations entre ces continents pendant des siècles, établissant des hiérarchies raciales et économiques dont les conséquences perdurent aujourd'hui, tout en dépossédant les peuples africains de leurs ressources, cultures, et humanité. La résidence vise à complexifier l'idée de restitution, en créant une infrastructure permettant aux idées de circuler à travers ces routes historiquement violentes et d'établir de nouveaux liens entre l'Europe, le Brésil et l'Afrique de l'Ouest. Le projet a été conçu comme un laboratoire d'échange horizontal de connaissances plutôt qu'une résidence traditionnelle orientée vers la production. Il réunit des praticiens issus de contextes géopolitiques divers mais reliés par des enchevêtrements historiques partagés et leurs manifestations contemporaines.

La résidence collective a été conçue comme un laboratoire d'échange horizontal de connaissances plutôt qu'une résidence traditionnelle orientée vers la production.


Dans le cadre de ce projet, des architectes originaires du Brésil et du Bénin, ainsi qu'un commissaire d'exposition, compositeur et musicien brésilien et une artiste visuelle et designeuse venant de Côte d'Ivoire sont invités. Comment ont été choisis ces lauréats ?

Nous avons suggéré quelques noms que nous pensions pouvoir être d'intéressants initiateurs du projet Atlantic Threads, que nous considérons comme un prologue potentiel à des interactions durables dans la région. Nous avons commencé par des artistes/praticiens qui partent de liens déjà existants entre les régions, la musique et l'architecture, et à partir de ces domaines élargis, nous visons à tracer des connexions possibles qui permettraient d'étendre le réseau. Nous sommes parvenus à la liste finale des artistes sélectionnés en collaboration avec les équipes de l'African Artists’ Foundation, de l'Institut français et de la Cité internationale des arts.

Gabriela de Matos, architecte brésilienne, explore les relations entre l'architecture, la mémoire collective et les pratiques spatiales dans les contextes post-coloniaux. Tiganá Santana, musicien et compositeur brésilien, développe un travail de recherche autour des langues et sonorités africaines, créant des ponts musicaux entre le Brésil et le continent africain. 

Tiganá Santana est compositeur, musicien, poète, producteur musical, directeur artistique, commissaire d’exposition, chercheur, enseignant et traducteur. Artiste pluridisciplinaire, il est le premier compositeur brésilien à avoir réalisé un album intégrant des chansons en langues africaines.

Titulaire d’un doctorat en littérature de l’Université de São Paulo (USP), il a présenté une thèse intitulée La cosmologie africaine des Bantu-Kongo selon Bunseki Fu-Kiau : traduction noire, réflexions et dialogues depuis le Brésil, récompensée par le Prix Antônio Cândido de la meilleure thèse décerné par l’ANPOLL (Association nationale des études supérieures et de la recherche en littérature et linguistique).

Parmi ses récentes productions figurent l'œuvre Floresta de Infinitos (2023), réalisée en collaboration avec l’artiste Ayrson Heráclito pour la 35ᵉ Biennale de São Paulo ; le commissariat de l’exposition Línguas Africanas que Fazem o Brasil au Musée de la Langue Portugaise à São Paulo ; ainsi que la sortie de son nouvel album Caçada Noturna (2024). 

Gabriela est architecte, commissaire d’exposition et chercheuse-activiste, profondément engagée dans le concept de recherche-action développé en Amérique latine. En 2023, elle a co-organisé le Pavillon du Brésil à la 18e Biennale d’Architecture de Venise, remportant le Lion d’Or de la Meilleure Participation Nationale aux côtés de Paulo Tavares. Originaire du Vale do Rio Doce, Minas Gerais (territoire autochtone Krenak), elle est diplômée en Architecture et Urbanisme de la PUC Minas (2010). En 2016, elle s’est spécialisée en Durabilité et Gestion de l’Environnement Bâti à l’UFMG et détient un master en Sciences Humaines, Droits et Autres Légitimités de l’USP. Gabriela a été co-présidente de l’Institut des Architectes du Brésil – section São Paulo (2020-2022) et enseigne actuellement au programme de premier cycle en architecture de l'Instituto Escola da Cidade à São Paulo.

Sa recherche porte sur l’architecture précoloniale et contemporaine en Afrique et dans sa diaspora, avec un accent particulier sur l’architecture afro-brésilienne. Elle développe des actions visant à promouvoir les débats sur le genre et la race en architecture, afin de donner plus de visibilité à ces enjeux. Elle est la fondatrice du projet Black Female Architects (2018), qui a déjà recensé plus de 800 architectes noires au Brésil, et éditrice du livre Black Architects vol.1 (2019), première publication dédiée aux architectes noires du pays.


Olufemi Hinson Yovo, architecte béninoise, s'intéresse aux pratiques architecturales durables qui intègrent des savoirs traditionnels et des techniques contemporaines. Anne-Lise Agossa, artiste visuelle et designeuse ivoirienne basée à Londres, interroge dans son œuvre les héritages coloniaux et les formes de résistance à travers diverses expressions artistiques.

Par ailleurs, le travail des commissaires d’exposition Cindy Sissokho et Olivier Marboeuf est essentiel pendant ce temps de résidence : ils guident et documentent ces premières interactions à Paris et dans d'autres villes de la côte Atlantique en France où les lauréats se déplacent, ce qui nous donnera les outils nécessaires pour les prochaines étapes d’Atlantic Threads. L'ensemble du processus est très expérimental.

Olufèmi Hinson Yovo est une architecte, designer et chercheuse basée à Cotonou, au Bénin. Elle est la fondatrice de SAH STUDIO, un bureau de recherche pluridisciplinaire qui développe des projets à différentes échelles et avec divers matériaux, mettant en valeur le contexte local et s’inscrivant dans une démarche de décolonisation de l’architecture.

Titulaire d’un Bachelor of Science (B.Sc) en architecture, d’un Master of Fine Arts (MFA) de la Cambridge School of Art, ainsi que d’un Master en Architecture (M.Arch) et d’une HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre) décernés par l’École Spéciale d’Architecture de Paris, elle est membre de l’Ordre National des Architectes et Urbanistes du Bénin (ONAUB) depuis 2019 (No. 198).

À seulement 27 ans, sous la direction de Guillaume Koffi et Issa Diabaté, elle a supervisé, en tant que cheffe de projet, le plus grand chantier du Bénin : le Programme de 20 000 Logements Économiques, à Cité Ouédo et Cité Porto-Novo.

Elle a participé aux 14e et 18e Biennales de Venise, exposé à African Mobilities à Munich, et a reçu le Prince Claus Building Beyond Award 2023. Elle est co-autrice du livre Building African Future (Iwaléwabooks, 2023) et enseigne à l’Africa Design School de Cotonou.

Anne-Lise Agossa (b. 1997) est une designer et architecte basée entre Londres et Abidjan dont la pratique couvre l’art, l’architecture et le design. 

Trouvant ses racines dans la relation complexe entre la culture et l’espace, son travail explore l’écart entre le passé et le futur, dans un contexte africain. 

Particulièrement influencée par le paysage géo-culturel de l’Afrique de l’Ouest, du Sahel et du Sahara central, ainsi que par leurs traditions orales et matérielles, elle interroge les cosmologies, les mythologies, les identités et les pratiques culturelles en concevant des mondes visuels hybrides à travers la forme, la texture et le mouvement, avec la recherche comme point de départ. 

Ayant grandi entre plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest tout en étant imprégnée d’éléments de la culture occidentale, de ses études supérieures (2016-2022) à la Architectural Association à Londres, et de ses voyages, son travail explore les parallèles et les espaces intermédiaires entre les cultures, leurs identités et leurs marqueurs visuels. 


Comment ces conversations transforment-elles notre compréhension des relations historiques entre ces régions ?

Ces conversations font voler en éclats les récits simplistes. Le Brésil n'est pas simplement un récepteur passif du colonialisme européen, c'est un acteur complexe qui a à la fois absorbé et perpétué des modèles coloniaux. Le triangle n'est pas équilatéral, le pouvoir ne circule pas de manière uniforme. Ce qui émerge est beaucoup plus nuancé. Nous examinons comment les formes architecturales ont voyagé avec les personnes réduites en esclavage et ont été transformées en outils de résistance, mais aussi comment les motifs textiles codaient des messages que les autorités coloniales ne pouvaient pas déchiffrer et comment la nourriture est devenue un lieu à la fois d'oppression et d'invention. 

Quels sont les objectifs à long terme de cette initiative, notamment en termes de collaboration entre les régions ?

Plus important encore, nous ne traitons pas ces histoires comme achevées. Les mêmes voies navigables qui transportaient les navires coloniaux transportent aujourd'hui des pétroliers et des porte-conteneurs. Les ports qui traitaient les personnes réduites en esclavage brassent maintenant différentes formes de travail et de ressources. En réunissant des praticiens de ces trois points du triangle, nous n’analysons pas seulement le passé – nous imaginons des futurs différents pour ces côtes connectées. Notre objectif est d'établir des liens durables entre ces régions qui, nous l'espérons, déboucheront sur des collaborations imprévues. Ces connexions transatlantiques enrichies permettront l'émergence de nouvelles formes d'échange culturel et intellectuel au-delà des relations historiques.

Les résidences Institut français x Cité internationale des arts

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Le programme de résidences Institut français x Cité internationale des arts s’adresse aux artistes, professionnelles et professionnels de la culture résidant à l’étranger depuis au moins 5 ans, qui souhaitent développer un projet de recherche et de création à Paris, lors d’une résidence de trois, six ou neuf mois. 

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