Malou Lévêque, lauréate du prix Institut français des jeunes internationaux au festival Premiers plans d’Angers
Publié le 1 avril 2025
Réalisatrice et co-créatrice de la compagnie de théâtre de rue Quasar/Quasar, Malou Lévêque vient de réaliser son premier court métrage, La Vérité, multi-récompensé au Festival Premiers Plans d'Angers. Alors qu'il a reçu le prix du public, le prix des bibliothécaires ou encore le prix Institut français des jeunes internationaux, la cinéaste nous raconte l'histoire du film, la rencontre avec ses deux acteurs principaux, ainsi que le retentissement de cette reconnaissance soudaine.
J'ai écrit les dialogues du film en premier : je voyais des images dans ma tête, mais j'entendais surtout ces jeunes parler et cela m'a aidé pour écrire des dialogues réalistes.
Diplômée de l'ENSAV de Toulouse en 2015, vous êtes réalisatrice. À quelle époque remontent vos premiers souvenirs de cinéma ? Quels sont les artistes qui vous ont donné envie de passer derrière la caméra ?
Mes premières envies de cinéma sont nées grâce à un festival de cinéma, qui avait lieu à Salon-de-Provence, pas loin du village où j'habitais. J'y allais avec ma mère lorsque j'étais au collège, puis au lycée, et je pouvais découvrir des films d'art et d'essai. Parallèlement, j'ai commencé à réaliser des petits films pour m'amuser comme des clips avec des copines. Au moment du lycée, l'idée est devenue de plus en plus sérieuse et je me suis dirigée vers la filière littérature et cinéma. Pour la question des inspirations, c'est toujours difficile de répondre, car il y en a plein : je pourrais citer Wim Wenders, Jim Jarmusch ou encore Wong Kar-wai, mais j'ai aussi énormément aimé un film plus récent, Gagarine, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. J'y ai reconnu des choses qui me plaisent dans le cinéma, dans cette façon de filmer les cités de manière poétique, différente de ce que l'on peut voir au quotidien.
Comment est né le projet de votre premier court métrage, La Vérité ?
Pendant la fin de mes études, j'ai été assistante-réalisatrice sur le film Corniche Kennedy de Dominique Cabrera, tourné à Marseille. Avant le tournage j’ai accompagné la réalisatrice pour retranscrire des entretiens, j’ai un peu coaché les jeunes acteurs non-professionnels parce que j’avais une expérience du théâtre, puis durant le tournage, la productrice m'a demandé si je voulais réaliser une sorte de making of du film : j'ai alors proposé de réaliser un documentaire sur ces jeunes-là, présent dans les bonus du DVD. Ma rencontre avec eux m'a beaucoup inspirée pour écrire La Vérité, même si ce ne sont pas du tout leurs vies que j'ai transposées. Il y a différentes choses qui m'ont marqué, notamment des filles aux caractères forts que j'admirais beaucoup ou encore des garçons avec une sensibilité qu'ils ne pouvaient pas trop avouer. C’est cette contradiction qui m'a donné envie d'écrire cette histoire. J'ai pourtant mis des années avant d’écrire le scénario et c'est finalement en trouvant un dictionnaire de mots intraduisibles que j'ai eu le déclic, en imaginant ces mots comme une clé pour ouvrir un dialogue impossible.
Le film va pouvoir être vu à l'étranger : alors qu'il parle de multiculturalité et d'humanité commune, au milieu de tous ces différents langages qui ne se comprennent pas forcément, ça a beaucoup de sens pour moi.
Dans La Vérité, vous travaillez sur la langue et l'importance des mots pour raconter l'amitié entre deux adolescents. De quelle manière s'est construit le scénario du film ?
J'ai écrit les dialogues en premier : je voyais des images dans ma tête, mais j'entendais surtout ces jeunes parler et cela m'a aidé pour écrire des dialogues réalistes. J'ai vraiment écrit ce qui me venait de cette confrontation entre ces deux personnages. La première scène écrite est celle où ils se retrouvent tous les deux pour la première fois et ont cet échange tendu, avec néanmoins une complicité sous-jacente. Au fur et à mesure, j'ai réfléchi à une mise en scène autour de ça, car le scénario ressemblait juste à une conversation de vingt minutes. Il fallait penser à la mise en espace, au corps, et c'est en le faisant lire autour de moi que j'ai commencé à avoir des retours qui allaient dans ce sens-là. La deuxième étape a été de trouver le décor : je voulais que le film soit tourné à Marseille, en bord de mer, puisque j'avais envie qu'il commence dans une cité pour aller ensuite à la mer. Le fait de trouver l'endroit en particulier m'a beaucoup aidée, notamment avec l'escalier que l'on voit dans le film ou encore la scène du gouffre. La mise en espace était essentielle : ça parle beaucoup de langage mais l'important dans tout ça, reste quand même les non-dits, c’est d’ailleurs pour ça qu’en répétition on a beaucoup travaillé sur le corps et l’espace. Enfin, avant de tourner, nous avons relu le scénario avec les comédiens et les comédiennes, ce qui nous a permis de faire un ajustement de vocabulaire dans leurs expressions.
Vos acteurs Oumnia Hanader et Billel Meguellati ont reçu le Prix d’interprétation au Festival du court métrage d'Auch 2024. Comment avez-vous fait leur connaissance et décidé de travailler avec eux ?
La directrice de casting a fait des castings sauvages, ainsi qu'un appel à candidatures par les réseaux sociaux, tout en utilisant sa base de données et ses propres connaissances. Pour les personnages principaux, Billel a lui-même déposé sa candidature, il a vu passer l'annonce et a réalisé une vidéo, où il se présentait. En ce qui concerne Oumnia, c'était un peu particulier car la première vidéo que j'ai vu avait été envoyée à mon producteur, mais elle y passait un casting pour un tout autre film que le mien. Je trouvais qu'elle jouait très bien, mais je ne savais pas, avec cet essai, si elle pouvait interpréter le personnage de Dounia. Par ailleurs, ils étaient tous les deux plus âgés que ce que j'avais imaginé à l'écriture du scénario : ils avaient vingt-trois et vingt-six ans alors que j'avais envisagé des personnages plus jeunes. C'est ce détail-là qui m'a fait les mettre de côté au début sans les éliminer complètement. Comme je ne trouvais pas, j'ai fini par me dire que, puisqu'ils étaient tous les deux plus âgés, il y avait peut-être quelque chose à faire. Quand ils se sont rencontrés, ça a très bien marché entre eux et ça a confirmé qu'ils étaient le bon choix. Ils avaient une sincérité et une proximité avec leurs personnages qui faisaient que j'avais l'impression qu'ils les comprenaient vraiment et surtout qu’ils saisissaient en eux le sens profond du film, et c'était très important. Par exemple Oumnia a tout de suite été intéressée par les mots intraduisibles et ça a beaucoup joué dans l’interprétation de son personnage qui découvre avec émerveillement la sensibilité de Keny.
La Vérité a été largement primé au Festival Premiers Plans d'Angers, notamment avec le prix Institut français des jeunes internationaux. Que représente cette reconnaissance ?
Évidemment, ça fait très plaisir ! Les différents prix veulent dire que ça touche des publics différents et je trouve ça génial car, dans ce film, j'ai voulu être dans un milieu social précis, tout en restant universelle. En plus, le prix des jeunes internationaux est super puisque l'on parle de langage, de cultures différentes et de jeunes donc le prix est totalement cohérent. Le film va aussi pouvoir être vu à l'étranger : alors qu'il parle de multiculturalité et d'humanité commune, au milieu de tous ces différents langages qui ne se comprennent pas forcément, ça a beaucoup de sens pour moi.
Suite à ce prix, le film pourra être diffusé dans les établissements du réseau culturel français à l’étranger. Pensez-vous que l’histoire résonnera de la même manière partout dans le monde ?
C'est très difficile à dire car je ne peux pas prétendre savoir s'il va marcher partout de la même manière. Je pense quand même que ce sera différent, notamment si l'on n'a pas la connaissance de la France et du rapport de Marseille à l'Algérie, certaines choses ne vont pas résonner d'une façon similaire. J'ai tout de même cherché une certaine universalité dans ce qui essaie d'être transmis au-delà des mots par ces jeunes-là donc j'espère vraiment que ça pourra fonctionner aussi. À Lisbonne, par exemple, il a gagné le prix du meilleur court métrage donc cela a dû parler et, en Allemagne, où j'étais présente, cela a eu l'air de résonner aussi.
Quels sont vos futurs projets ? Avez-vous déjà en tête une envie de long métrage ?
J'ai une idée de long métrage documentaire, qui continuerait à aborder le thème du langage et de l'entre-deux. C’était déjà important dans La Vérité, où j’abordais l’entre-deux, entre la vulgarité et la poésie, la féminité et la masculinité, la France et l’Algérie.
J’ai envie de creuser ce thème du « milieu » à trouver, de la place qu’on choisit ou non d’occuper dans la société, donc j’y travaille…
En parallèle, j'ai aussi une compagnie de théâtre de rue et nous sommes en début de création de notre prochain spectacle, qui parle d’ailleurs d’un autre thème important pour moi et déjà présent dans La Vérité : celui des stéréotypes et des jugements qu’on porte au quotidien les uns sur les autres, ou sur nous-mêmes.
Il me semble important de déconstruire des idées reçues qui enferment les gens dans des cases, ne faisant que diviser davantage la société, et pour moi tout artiste a une responsabilité dans l’image du monde qu’il choisit de diffuser, c’est pourquoi je pense que mon travail continuera à aller dans ce sens et à toujours questionner notre regard.
IFcinéma
IFcinéma s’adresse au réseau des établissements culturels français à l’étranger, (Instituts français, Alliances Françaises, SCAC, etc..) à ses partenaires (festivals, médiathèques, salles de cinéma, ciné-clubs, etc.) ainsi qu’aux enseignants.
2 catalogues sont proposés pour l’organisation de projections : un catalogue de films français (Cinéma français) et un catalogue de films africains de la Cinémathèque Afrique.
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