Prune Engler, nouvelle Présidente de l’Aide aux cinémas du monde

Publié le 17 octobre 2022

Prune Engler
Prune Engler © Jean-Michel Sicot

Déléguée générale du festival international du film de La Rochelle de 2022 à 2018, Prune Engler a succédé à Charles Tesson en tant que présidente de la commission de l’Aide aux cinémas du monde (ACM), une aide cogérée par l’Institut français et le CNC - Centre national du cinéma et de l’image animée. Alors que l'ACM célèbre cette année ses 10 ans, elle nous parle de cette nouvelle affectation, des enjeux auxquels l'aide est confrontée, mais aussi de son expérience et de sa passion pour le cinéma. 

Il est passionnant d'avoir accès à l'imaginaire, voire aux obsessions des cinéastes qui nous confient leurs projets.


Pouvez-vous nous raconter la naissance de votre passion pour le cinéma ? Quels ont été les réalisateurs qui ont marqué votre vie ? 

Quand j'étais petite, j'ai pu voir en famille, au Cinéma Monge, quelques films "grand public" - "Sissi face à son destin", "Joselito, l'enfant à la voix d'or"- auxquels je n'ai strictement rien compris. Mais comme j'avais la chance de vivre dans le Quartier Latin, j'ai pu, par la suite, accéder aux salles de la rue Champollion. Et là, la malle aux trésors s'est ouverte : A moi Pier Paolo Pasolini, Eric Rohmer, Werner Herzog, Robert Bresson, Jean-Luc Godard, Kurosawa et Mizoguchi... Elle ne s'est jamais refermée.

De quelle manière avez-vous décidé de travailler dans le milieu du cinéma ? Aviez-vous l'envie de créer, d'écrire ou de réaliser auparavant ? 

J'ai très tôt ressenti le besoin de travailler sur des tournages, en équipe. Je n'étais pas dans un désir de création mais de découverte. L'univers de la fabrication des films me fascinait et j'ai accepté toutes les propositions que l'on a pu me faire à l'époque, plus c'était disparate et plus ça me plaisait : secrétaire de production, agence de comédiens, castings, costumes, script et puis, quelques semaines par an, j'accompagnais le tout jeune Festival International du Film de La Rochelle...

J'aimais énormément l'aspect collectif et artisanal de toutes ces fonctions.

Vous avez été déléguée générale du festival international du film de La Rochelle de 2002 à 2018. Que retenez-vous de cette expérience ?

Ce n'est pas la période pendant laquelle j'ai été déléguée générale qui a le plus compté pour moi, mais la date à partir de laquelle j'ai commencé à travailler pour ce festival, en 1977. Si l'on m'avait dit un jour que, finalement, je lui consacrerais ma vie professionnelle, 42 années, je ne l'aurais évidemment jamais cru !

J'étais donc très jeune et, avec Jean-Loup Passek (les films de l'Est et du Nord européens) auquel j'ai succédé en 2002, Jacques Grant (le cinéma allemand avec R.W. Fassbinder), Christian Depuyper (le cinéma italien avec Nanni Moretti et bien d’autres) nous avons inventé notre métier dans le plaisir et l'insouciance, voire l'inconscience... Le cinéma muet était également déjà très présent et a fait l'objet d'une programmation régulière dès les premières années.

Il est passionnant d'avoir accès à l'imaginaire, voire aux obsessions des cinéastes qui nous confient leurs projets. Cela m'a permis de m'ouvrir à des cinématographies encore peu connues à l'époque et tout simplement d'apprendre à regarder et à écouter un film en étant littéralement aux aguets de ses qualités et de ce qu'il pourrait apporter à nos spectateurs en termes de poésie, de nouveauté, d'émerveillement.

Lorsque je suis devenue déléguée générale, je me suis retrouvée au cœur de l'organisation, mais ce qui comptait le plus pour moi, c'était la programmation du festival, de rechercher son équilibre et sa cohérence d'une année sur l'autre. 

Il y a un souci d'ouverture dans le choix des aides, où il est indispensable de ne pas se cantonner à un genre précis en accueillant toutes les formes de cinéma.


En 2021, vous avez succédé à Charles Tesson en tant que Présidente de l'Aide aux cinémas du monde, co-gérée par le Centre national du cinéma et de l'image animée et l’Institut français, qui soutient des projets de long métrage destinés à une première exploitation en salle. Quel est votre rôle dans ce dispositif ? 

Je suis présidente des trois collèges, affectés respectivement aux premiers et seconds films, aux autres et à ceux déjà réalisés, en voie de finition, qui n'ont pas bénéficié de l'aide. Les scénarios et les films peuvent concerner des œuvres de fiction, des documentaires et/ou des films d'animation. C'est un rôle qui est loin d'être solitaire, les décisions sont prises collectivement même si j'en ai la responsabilité. Je travaille avec des personnes remarquables qu'elles soient lectrices, membres des commissions ou faisant partie des équipes du CNC et de l'Institut français. 

Entre membres et lecteurs, avec mes vice-présidents, nous échangeons le plus possible, tenant compte des arguments des uns et des autres. C'est un exercice hautement démocratique qui nous autorise le doute et aussi de parfois changer d'avis. 

Comment sélectionnez-vous les films qui sont et seront soutenus par l'Aide aux cinémas du monde ? Votre expérience de déléguée générale du festival international du film de La Rochelle est-elle un atout pour cette tâche ? 

D'une certaine façon, cela m'aide car il est important de s'intéresser à des cinématographies peu connues, à des pays où il est difficile de faire des films pour des raisons politiques, économiques ou techniques. Nous sommes également vigilants à ce que les femmes soient écoutées et aidées. Nous voulons éviter les idées reçues, remettre en question nos propres a priori et nos jugements. Il y a un souci d'ouverture dans le choix des aides, où il est indispensable de ne pas se cantonner à un genre précis en accueillant toutes les formes de cinéma. Nous regardons également les travaux précédents des réalisateurs afin de percevoir tous les indices qui nous parviennent sur les qualités du cinéaste que nous allons aider. 

L'Aide aux cinémas du monde célèbre cette année ses 10 ans. À quels enjeux est-elle confrontée pour l'avenir ? 

C'est une question difficile car je ne suis là que depuis un an : il me manque donc une vision d'ensemble du travail qui a été fait depuis la création de l'aide. Ce que je peux souhaiter, c'est qu'elle perdure, car elle est très importante, connue dans le monde entier, et il s'agit d'un outil exceptionnel, unique au monde. Il faut que le degré d'exigence sur la qualité des films se poursuive puisque ces longs-métrages sont extrêmement nombreux à être sélectionnés dans des grands festivals. C'est une reconnaissance du travail de l'aide, qui est formidable et nécessaire. Il est donc essentiel de garder une attention aiguë aux projets qui nous sont présentés et d'être également vigilants afin qu'ils échappent au formatage parfois anticipé d'éventuelles sélections dans les festivals internationaux. 

Les festivals rencontrent encore leur public, c'est-à-dire qu'ils parviennent, en privilégiant la projection des films en salles, à perpétuer cette tradition d'échanges entre passionnés.


Après avoir été accueilli par la Fabrique cinéma de l'Institut français, puis avoir reçu le soutien de l'Aide aux cinémas du monde, La Jauría, d'Andrés Ramirez Pulido, a obtenu le Grand Prix de la Semaine de la critique lors de la dernière édition du Festival de Cannes. Que pensez-vous de ce film ? Conseillerez-vous d'autres longs-métrages accompagnés par le dispositif plus ou moins récemment ? 

La Jauria a été sélectionné par Charles Tesson et son équipe. Je ne connais donc pas les critères qui ont présidé à ce choix. Il m'est plus facile d'évoquer deux films que nous avons aidés récemment, issus du 3èmecollège - qui venaient donc pour une aide à la finition - et qui concernent plus directement l'Institut français. 

Il s'agit d'As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen, l'un des grands succès de l'été puisqu'il a déjà totalisé plus de 250 000 entrées. C'est un film particulièrement prenant qui joue sur l'attrait des films de genre, le thriller (pour la tension qui s'y exprime constamment), le western (pour son ancrage dans une nature encore sauvage et des affrontements quasi claniques) et qui met en scène des personnages dont la complexité se déploie et évolue au cours du récit. 

Le second film est Plan 75 de Chie Hayakawa qui agite une problématique aussi cruciale au Japon qu'en Europe. Il évoque la fin de la vie que l'on propose de planifier pour le "bien" des personnes vieillissantes autant que pour celui d'une société avide de rentabilité. 

Selon vous, à quoi est due la baisse de fréquentation des salles et quelles seraient les actions à mettre en avant pour permettre la reprise de la fréquentation ? Est-ce que la diversité des sélections de l'Aide aux cinémas du monde peut être un facteur de relance ? 

Il se trouve que les festivals rencontrent encore leur public, c'est-à-dire qu'ils parviennent, en privilégiant la projection des films en salles, à perpétuer cette tradition d'échanges entre passionnés. Cela continue donc à fonctionner dans les festivals. Pour la question des salles, c'est une problématique très complexe, qu'il est impossible de survoler. Cela reste mystérieux de savoir pourquoi un film marche. Dans le cas d'As Bestas, par exemple, il y a deux très bons acteurs, que le public a sans doute eu beaucoup de plaisir à voir jouer, mais les choses sont plus compliquées que cela. Même si cela est difficile aujourd'hui de se placer dans la peau d'un exploitant, il y a beaucoup de travail à faire pour amener les spectateurs vers des films peut-être moins accessibles, au premier abord. Pour le moment, je ne peux que m'associer à la désolation du milieu qui constate cette perte et espérer qu'elle ne soit que provisoire. 

Que souhaitez-vous à l’Aide aux cinémas du monde pour les années à venir ? 

Qu'elle puisse bénéficier de plus de moyens encore afin d'honorer sa splendide mission. 

Qu'elle brille comme un phare aux yeux de cinéastes qui sans elle, le plus souvent, auraient toutes les peines du monde - et ceci malgré leur talent et leur courage- à fabriquer les images et les sons qui nous parlent et nous bouleversent. 

L'Institut français

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L'aide aux cinémas du monde (ACM) est une aide sélective cogérée par le Centre national du cinéma et de l’image animée et l’Institut français, réservée à des projets de long métrage de fiction, d'animation, ou de documentaire de création destinés à une première exploitation en salle de spectacle cinématographique. Elle peut être accordée avant réalisation, ou après réalisation (pour les projets non retenus pour une aide avant réalisation). 
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