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Adeline Rispal

Le textile renvoie à la métaphore des liens qui se tissent dans le travail long et patient de la construction européenne : faire, défaire, refaire, etc. L'Europe est par essence inachevée et a toujours besoin d’être tissée.

L’agence d’architecture Ateliers Adeline Rispal et ses partenaires (Si/Studio Irrésistible, design graphique, Les éclaireurs, design lumière, Innovision, conseil en ingénierie multimédia) ont conçu les aménagements scénographiques et artistiques de différents espaces des bâtiments Juste Lipse et Europa, à Bruxelles, dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne qui a débuté le 1er janvier 2022.  Adeline Rispal revient sur leur projet, intitulé L'Étoffe de l’Europe™, sa création et sa signification. L’Institut français exerce l’assistance à maîtrise d’ouvrage sur ce projet. 

Mis à jour le 17/01/2022

5 min

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Adeline Rispal
Crédits
Adeline-Rispal © STUDIO FALOUR

Pourriez-vous revenir brièvement pour nos lecteurs sur votre long parcours dans les domaines de l'architecture et de la scénographie ? 

Je suis architecte spécialisée en scénographie des lieux culturels et publics, notamment d’exposition muséale. J’ai fini mes études d’architecture en 1981 et, l’année suivante, je suis entrée chez Jean Nouvel pour travailler sur la conception et le suivi des travaux de l’Institut du Monde Arabe. Il m’a confié la direction de projet de la scénographie du musée deux ans plus tard. Cette expérience a été fondatrice pour moi et, depuis, j’ai toujours gardé un pied dans ces deux domaines : l’architecture et la scénographie, laquelle est aussi de l’architecture. Dans les deux cas, il s’agit de sublimer dans l’espace un projet politique, culturel, scientifique et de créer les lieux destinés à abriter ses activités humaines. Ce parcours s’ancre dans ma rencontre, à la fin de mes études, avec l'œuvre de Carlos Scarpa qui était, lui aussi, à la fois architecte, commissaire d’exposition et scénographe. La découverte de son travail au Castelvecchio de Vérone a changé ma perception et m'a permis de recentrer ma pratique d’architecte. En sortant de chez Jean Nouvel sept ans plus tard, j’ai créé mon agence avec deux autres architectes et nous nous sommes naturellement spécialisés dans les projets culturels. 

 

Les Ateliers Adeline Rispal ont gagné le concours pour la maîtrise d’œuvre des aménagements scénographiques et artistiques d’espaces dans les bâtiments du Conseil de l’Union européenne. Le projet que vous présentez, dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, s’intitule L'Étoffe de l’Europe. Pouvez-vous nous en dévoiler les grandes lignes ?

L’idée centrale de ce projet est de valoriser l’humanité de l’Europe et des Européens qui la font et en tissent la toile au quotidien. J’ai moi-même l’Europe dans le sang : ma mère est de Barcelone et je me suis, très jeune, davantage considérée comme européenne que française. Nous sommes tous le fruit des échanges millénaires au sein de l’Europe géographique, il fallait donc absolument exprimer et valoriser cette belle complexité qui nous enrichit et nous unit pour encore quelques millénaires. 

 

Pourquoi avoir choisi la symbolique de l’étoffe qui s’articule ici avec une réflexion sur les datas à travers la notion de data-tissage

Le textile renvoie à la métaphore des liens qui se tissent dans le travail long et patient de la construction européenne : faire, défaire, refaire, etc. L'Europe est par essence inachevée et a toujours besoin d’être tissée, de manière collaborative et volontaire, nous sommes tous les héros de l’Europe, d’où le mot étoffe. Le tissu est, de plus, un matériau vertueux, léger à transporter et d’empreinte écologique faible selon les matériaux qui le constituent. Il permet de transformer complètement un espace à peu de frais : si vous voulez transformer l’atmosphère de votre maison, la chose la plus simple à faire est de changer les rideaux. 

En ce qui concerne le data-tissage, nous sommes nous-mêmes très sensibles à l’histoire et aux sciences. Nous pensons que lorsque l’on s’appuie sur des données scientifiques, on s’approche un peu plus de la vérité, d’une représentation qui pourrait être commune à tous. Dans un projet aussi politique que L'Étoffe de l’Europe™, il nous fallait impérativement conserver cette rigueur, même si elle est aussi une utopie sans cesse remise en cause par les avancées scientifiques elles-mêmes. Nous avons décidé de tisser ensemble des dates, une chronologie et les symboles des états membres. Il y a toujours une valeur vertueuse dans les datas qui nous représentent en quelque sorte, et du data-design dont l’objet est de transformer du quantitatif en qualitatif pour mieux communiquer avec tous. La notion de data se manifeste aussi dans le travail de l’artiste digital Jacques Perconte qui sera à l’honneur dans cette entreprise d’aménagement. 

L'Étoffe de l’Europe™ © Luc Boegly
L'Étoffe de l’Europe™ © Luc Boegly
L'Étoffe de l’Europe™ © Luc Boegly
L'Étoffe de l’Europe™ © Luc Boegly
L'Étoffe de l’Europe™ © Luc Boegly

Comment ce projet reflète-t-il les grands axes du programme de la prochaine Présidence française au Conseil de l’Union Européenne ?

Cela faisait effectivement partie du cahier des charges. Cette présidence s’articulera autour de trois mots-clefs. Appartenance : renforcer le sentiment d’appartenance et, pour cela, rendre l’Europe désirable et qu’elle corresponde aux attentes de ses citoyens. Puissance, car il s’agit d’assumer la puissance politique de l’Europe face aux bouleversements géopolitiques actuels. Et enfin Relance, après ces deux années de Covid très éprouvantes. Nous traduisons tout cela dans notre projet scénographique et artistique et notamment dans la première installation. 

 

La scénographie L'Étoffe de l’Europe s’articule avec les bâtiments Juste Lipse et Europa. Comment avez-vous pris en compte les caractéristiques de ces deux ensembles architecturaux pour les faire coïncider avec votre projet ?

Nous aimons tisser les contraintes programmatiques, symboliques, historiques, architecturales, techniques, fonctionnelles et économiques des projets dont nous sommes en charge. Le bâtiment Juste Lipse est assez austère, c’est le marqueur, somme toute assez classique, de la puissance institutionnelle. Le second, Europa, est différent : l’architecte a choisi de jouer sur les formes et la couleur, ce qui donne quelque chose de plus dessiné. L’artiste belge Georges Meurant y a travaillé à partir de damiers de couleur sur les plafonds et sur les sols. Cela nous a beaucoup touchés et nous a poussés à utiliser la couleur pour apporter de l’optimisme dont nous avons besoin en ces temps troublés. Nous avons travaillé à partir des couleurs des différents drapeaux européens, avec un véritable apport de la part de nos partenaires designers du Studio Irrésistible pour créer l’esthétique rigoureuse et joyeuse d’un tissage qui va traverser et inspirer les interventions dans les différents espaces.

L’atrium du bâtiment Juste Lipse, dans lequel se trouve la première grande installation, soulevait quant à lui des enjeux du point de vue de l’espace, et notamment une problématique d’échelle : 1600 m2 sous une verrière à 20 mètres de hauteur. Nous voulions doubler cette échelle architecturale très imposante d’une seconde échelle, plus humaine, plus vivante. Nous avons donc décidé, malgré les nombreuses contraintes qui pesaient sur cet atrium, de proposer une installation textile assez ample, composée de deux demi-ailes de tissu non tissé imprimé qui se soulèvent et créent une sorte de berceau flottant au-dessus du sol jusqu’à environ 4 mètres et au sein duquel on se sent un humain parmi les humains. L’installation résonne non seulement avec l’idée d’appartenance que j’ai déjà évoquée mais également avec les autres concepts, de puissance dans l’ampleur du geste et de relance dans la dynamique de ce vaisseau commun. 

 

Le projet fait intervenir des créateurs et créatrices français, comme l’artiste digital Jacques Perconte et la créatrice textile Jeanne Goutelle. Comment avez-vous abordé ces différentes collaborations ?

Jeanne Goutelle nous a accompagnés dès l’étape du concours. Elle a créé, dans les espaces d’accueil de la présidence, des paravents en métal tissés de rubans textiles aux couleurs de la France, constitués de rubans textiles récupérés de l’industrie stéphanoise. L’idée étant ici d’habiter des espaces et de les rendre plus accueillants. Les fauteuils Hémicycle du designer Philippe Nigro, nouvellement édités par le Mobilier national, sont installés au cœur de ces espaces. Dans le bâtiment Juste Lipse, l’œuvre de Jacques Perconte, pionnier de l’art digital, est diffusée sur un rideau d’écrans LED de haute définition et ses photos sont accrochées sur des fonds bleu nuit. Ce sont des pièces qui tissent des paysages numériques et poétiques et résonnent avec les concepts qui traversent notre projet scénographique. 

Le projet fait également intervenir six artistes français émergents installés en Belgique dont les œuvres sont installées à l’étage 50 dans un grand hall qui dessert les bureaux et les salles de réunion de la présidence française : Léa Belooussovitch, Jérôme Bonvalot Vincent Chenut, Loup Lejeune, Elise Peroi et Lucien Roux.

L'Institut français et le projet

L’Institut français exerce l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour le projet L'Étoffe de l’Europe™. 

A l’occasion de la Présidence français du Conseil de l'Union européenne (PFUE) l’Institut français est particulièrement mobilisé pour œuvrer à la traduction des objectifs définis par le gouvernement pour cette Présidence. L’Institut français met en œuvre, en ce sens, une série de dispositifs et temps forts culturels qui contribuent à valoriser la créativité européenne. 

En savoir + sur la programmation culturelle de l'Institut français durant la PFUE 

L'institut français, LAB