Benoit Baume et Victoire Thevenin
Benoit Baume est le fondateur du magazine de photo Fisheye et du VR Arles festival. Victoire Thevenin est la directrice artistique du VR Arles festival. Ensemble, ils évoquent l’évolution de l’évènement, qui devient « Les Ailleurs » et prendra ses quartiers à la Gaîté Lyrique à Paris à partir du 21 mai, ainsi que leur nouveau projet, le « Palais Augmenté ».
Mis à jour le 10/06/2021
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Comment vous êtes-vous rencontrés ? Quels univers vous ont rapprochés et conduits à collaborer ?
Victoire Thevenin (VT) : Lorsque je travaillais pour mk2, j'étais en lien avec les manifestations et lieux culturels qui mettaient la réalité virtuelle à l’honneur. Le VR Arles Festival m'a d'emblée intriguée. A ma connaissance, c'était le seul événement qui avait relevé le défi de partager le meilleur des créations virtuelles avec un large public. Benoît ayant fondé le VR Arles Festival, je l'ai naturellement rencontré et ensemble, nous avons réfléchi à son développement.
Ce sont les cultures immersives qui nous ont rapprochés. Fisheye soutenait ces nouvelles créations grâce à un studio de production, un festival, une résidence d’écriture, un incubateur. Benoît avait déjà collaboré dans ce domaine avec, entre autres, le Palais de Tokyo. Moi, je venais du cinéma et avait accompagné le développement des projets immersifs de mk2. Nous avions pour intérêt commun d'explorer les nouvelles formes d'expression artistique en lien avec l'image.
Benoit Baume (BB) : En 2016, en partenariat avec les Rencontres de la photographie d’Arles, vous avez initié le VR Arles festival qui se propose de présenter le meilleur de la création immersive contemporaine. Quel est son ADN ? Pourquoi vous êtes-vous tournés vers le médium de la réalité virtuelle ?
La technologie de la réalité virtuelle remonte aux années 50 avec l'américain Morton Heilig. Elle est revenue dans les années 80 avec l'essor du jeu vidéo, puis avec les smartphones qui ont permis le développement des casques de réalité virtuelle. Dès 2014, j'ai produit chez Fisheye des expériences immersives avec de la vidéo 360. Très vite, j'ai voulu montrer tout ce que l'on pouvait créer autour de ce medium. Venant de la photo, j'ai proposé au festival des Rencontres d'Arles d'inclure la vidéo. C'est ainsi que j'ai initié VR Arles, pour mélanger des univers très différents autour de l'image.
VT : Vous avez rejoint le VR Arles festival comme directrice artistique en janvier 2019. Ce festival se définit comme « le panorama des possibilités du média immersif ». : De quoi s'agit-il ? Quelles perspectives ouvre le média immersif ? Comment se traduit cette exploration du potentiel artistique et culturel de la réalité virtuelle ?
Aujourd'hui, on assiste à des échanges très féconds entre des champs créatifs variés qui s’approprient, pratiquent et souvent détournent les nouveaux outils numériques immersifs. Il n'y a pas « un » mais « des » médias immersifs : c'est par exemple la réalité virtuelle dans le casque, la réalité augmentée par les écrans et bientôt avec des lunettes, le son immersif binaural (qui recrée avec un casque audio la sensation des sons dans l'espace).
Les artistes inventent de nouvelles écritures qui immergent le public dans des mondes virtuels multi-sensoriels, des espaces interactifs ; ils créent de nouveaux récits au fort potentiel transformatif. Ces expériences sont souvent le fruit de collaborations entre artistes, auteurs et technologistes. Il y a une réelle effervescence créative et cela se traduit entre autres par l’exposition de plus en plus régulière d’œuvres virtuelles dans des institutions artistiques prestigieuses. Ces mondes virtuels sont un peu comme un terrain de jeu pour s'entraîner à créer un « présent plus épais ».
BB et VT : Pour son édition 2021, le VR Arles festival se transforme en « Les Ailleurs » et se tiendra à Paris d'avril à juin 2021, à la Gaîté Lyrique. Ce changement de ville et de nom marque-t-il l’envie de donner une orientation nouvelle au festival ?
Ce n'est pas un festival qui se délocalise mais un « label » qui se transforme et se développe, « Les Ailleurs » témoigne d’une volonté d'ouverture. L’appellation « VR » (virtual reality) est devenue trop restrictive. Nous souhaitons ouvrir « Les Ailleurs » à d'autres technologies et à d'autres formes d'expression dans le champ de l'immersif. On parle de « réalité mixte ». La réalité mixte est la fusion de mondes réels et virtuels pour produire de nouveaux environnements au sein desquels les objets physiques et numériques coexistent et interagissent en temps réel.
A la Gaité Lyrique, nous explorons le voyage virtuel à travers trois parcours thématiques : Voyages sauvages, Transports intimes, Dimensions parallèles. Si, confinement oblige, nous avons appris à voyager et nous perdre avec le virtuel sous toutes ses formes, la nouvelle économie de l’attention brouille souvent les pistes et nous fait oublier la question de la destination : où aller ? Quels sont les voyages virtuels lointains ou proches qui nous feront ou nous déferont ?
BB : Vous avez co-organisé à Arles, en partenariat avec l'Institut Français, une résidence d’écriture dédiée aux narrations immersives organisées, VR Arles. Sur quoi repose-t-elle ?
Le fil rouge de VR Arles est de décloisonner les champs artistiques. Aujourd'hui, en réalité virtuelle, nous avons des expériences documentaires, fictionnelles, performatives, avec des projets d'auteurs transdisciplinaires issus du spectacle vivant et des arts plastiques. L'objet de la résidence est d'accueillir à Arles ces artistes pour leur faire bénéficier de l'expérience et de l'infrastructure du festival. Elle offre aussi la possibilité d'inviter des intervenants sur des journées thématiques qui vont leur donner des clés d'entrée pour leur permettre d'avancer dans l'écriture et le développement de leurs projets, collaboratifs pour la plupart. Nous avons co-construit cette résidence avec l'Institut français depuis le début. L'Institut français est très impliqué et nos équipes sont en parfaite symbiose. La résidence est maintenant également soutenue par la région Sud qui y voit une vraie opportunité de fédérer l'écosystème numérique et créatif local, autour de ces nouvelles créations.
BB et VT : Quelles actions vous semblent prioritaires pour accompagner l’émergence de nouveaux auteurs et de projets innovants dans le champ de la VR ?
Accompagner les auteurs dans la conception de projets immersifs, faciliter le décloisonnement des champs artistiques, permettre à ces œuvres d'être partagées avec des publics variés et mener des actions pédagogiques sont nos priorités.
BB et VT : Vous travaillez tous deux sur un nouvel événement : le « Palais Augmenté », le 1er festival dédié à la réalité augmentée, organisé en coproduction avec le Grand Palais. Quel est ce projet ?
La réalité augmentée (RA) n’est pour le moment possible que par nos écrans de téléphone. C’est moins immersif que via un casque, mais plus accessible. Ce festival met en lumière la création artistique en RA, qui donne à voir des réalités hybrides et multiples entrelacées. Ce qui nous a intéressé est d’imaginer des œuvres qui vont venir habiter un espace aussi monumental que celui du Grand Palais Éphémère. Nous avons invité six artistes du virtuel qui ont créé des œuvres en RA spécialement pour le festival. L’intention est de questionner notre manière de percevoir l'espace et d'interagir avec lui. Les propositions artistiques sont assez fascinantes. Une œuvre interroge l’esprit des lieux, matérialisé en une créature géante interagissant avec le public, quand une autre révèle l’invisible des relations inter-espèces en transformant l’espace du Grand Palais en un conservatoire immense !

Le festival "Les Ailleurs" est un évènement partenaire des Digital Crossroads, un cycle de rencontres professionnelles en ligne organisé par l’Institut français.