Caetano Gotardo et Marco Dutra
S’ils travaillent ensemble depuis 21 ans, c'est à la Berlinale 2020 que Caetano Gotardo et Marco Dutra ont présenté leur premier long métrage, Todos os Mortos (Tous les morts), qu’ils ont co-réalisé. Les deux cinéastes nous parlent de l’état du cinéma brésilien, de leur lien avec la France et de leur participation à La Fabrique Cinéma.
Mis à jour le 15/06/2020
2 min
Vous avez travaillé ensemble par le passé, mais Todos os Mortos est votre première co-réalisation sur un long métrage. Quelle est la particularité de ce projet ?
Marco Dutra : Nous sommes devenus amis lorsque nous nous sommes rencontrés à l’école de cinéma de l’Université de São Paulo en 1999, et depuis, nous avons toujours travaillé ensemble. Todos os Mortos est notre premier long métrage, mais nous avons mené beaucoup de projets tous les deux : j’ai notamment composé la musique du premier long métrage de Caetano, Celui que nous laisserons, en 2015, et il a monté Les Bonnes Manières, que j’ai réalisé avec notre autre amie de l’école de cinéma, Juliana Rojas, en 2017. Nous avons également co-réalisé une pièce de théâtre juste avant de travailler sur son adaptation cinématographique : une interprétation des Noces de sang de Federico García Lorca qui combine cinéma et théâtre. L’idée était d’établir un dialogue entre le film de Carlos Saura datant de 1981, et notre interprétation de la pièce originale. Cette expérience n’a fait qu’accroître notre enthousiasme à l’idée de travailler ensemble sur Todos.
Quel a été le point de départ du scénario ?
Caetano Gotardo : Nous voulions revenir sur un moment de l’histoire brésilienne – la fin de l’esclavage et l’instauration de la République – ainsi que sur la façon dont ce qui a été mis en place à l’époque nous a conduits là où nous en sommes aujourd’hui : un système politique qui gouverne principalement pour l’élite et qui n’est pas capable de résoudre la fracture sociale.
Comment s’est passée la réalisation ?
C. G. : Il n’y a pas eu tellement de changement dans notre façon de faire – car nous avons toujours travaillé ensemble d’une manière ou d’une autre depuis que nous nous sommes rencontrés. Nous avons partagé tellement de moments que nous sommes sur la même longueur d’onde dans notre approche du cinéma. Chacun a ses préférences mais nous nous faisons aussi découvrir plein de choses. Nous savions déjà avant de faire ce film comment cela se passerait. Nous avons découvert, en le faisant, que nous savions vraiment travailler ensemble, c’est le plus important.
M. D. : Nous ne nous sommes pas réparti les tâches, nous avons tous les deux travaillé avec les acteurs, le directeur de la photographie et le reste de l’équipe. Toutes les décisions, nous les avons prises ensemble, et nos liens qui s’étaient construits au fil du temps se sont révélés utiles pendant le tournage : nous examinions une prise, nous n’avions presque pas besoin de nous parler, nous savions ce qu’il fallait changer. Tout s’est vraiment fait de manière naturelle.
Caetano avait aussi réalisé deux longs métrages à lui, mais ce qui est particulier dans celui-ci, c’est qu’il s’agit de notre premier film d’époque. C’était un défi parce que si nous voulions faire un film historique, ce n’était pas pour des raisons de fascination pour les costumes, les chevaux ou les vieux bâtiments. Nous voulions raconter une partie de l’histoire de notre pays qui nous a conduits là où nous en sommes aujourd’hui. Nous voulions étudier – et remettre en cause nos attentes vis-à-vis des films historiques. L’idée était de porter un regard critique sur les films d’époque, sans être terriblement précis dans la reconstitution de chaque petit détail.
Vous avez participé à La Fabrique Cinéma à Cannes en 2014. Cette expérience a-t-elle constitué un jalon dans le développement du film ?
C. G. : Au cours des dernières années, nous sommes entrés en relation avec tout un réseau de laboratoires et d’ateliers de production du monde entier. Nous avions entendu parler de La Fabrique Cinéma, qui nous intéressait fortement. Puis notre projet a été sélectionné pour le programme La Résidence de la Cinéfondation. J’ai alors vécu à Paris pendant quatre mois et demi, durant lesquels j’ai développé le scénario, et Marco m’y a rejoint un temps. Notre film a été le premier à participer à ces deux programmes : c’était intéressant parce qu’ils se complétaient très bien, et nous sommes allés à Cannes. L’idée de base de la résidence Cinéfondation est qu’ils vous permettent de développer librement votre scénario, tout en vous mettant en contact avec des producteurs pour présenter votre projet et le lancer sur les marchés. Et avec La Fabrique Cinéma, la mise en relation avec d’éventuels co-producteurs, distributeurs et programmateurs est encore plus large.
M. D. : Cannes a été un gros tremplin pour le projet. Nos producteurs brésiliens, Sara Silveira et Maria Ionescu, sont très intéressés par les co-productions avec d’autres pays. Ils prennent constamment le pouls des marchés et sont très au courant sur la façon faire vivre des films qu’il serait difficile de financer uniquement au Brésil. En outre, ils entretiennent de très bonnes relations avec la France. Un de nos films précédents, Les Bonnes Manières, était déjà une co-production avec la société française Good Fortune Films de Clément Duboin et Florence Cohen qui nous a accompagnés pour Todos os Mortos. Autre coïncidence autour de La Fabrique Cinéma : cette année-là, le parrain était Brésilien. Nous ne connaissions pas personnellement Walter Salles avant, et il a donc été bon de discuter du film avec lui aux côtés d’autres producteurs issus du monde entier. Et puis j’ai également rencontré à cette occasion-là mon mari, John Trengove, qui y développait son propre projet, Les Initiés !
Comment c’était, d’être programmé à la Berlinale 2020 ?
C. G. : La programmation de notre film à Berlin n’était pas isolée : ce sont 19 films brésiliens qui y étaient présentés toutes catégories confondues. À Rotterdam, un mois plus tôt, il y en avait aussi beaucoup, et puis l’année d’avant, Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, avait été en compétition à Cannes, et Invisible Life d'Eurídice Gusmão avait remporté le prix Un Certain Regard. On peut donc dire que le cinéma brésilien a atteint des sommets ces dernières années. Aller à Berlin était très bien pour nous, mais c’était aussi beau de voir que nous faisions partie d’un plus grand tout, qui touche aujourd’hui le cinéma brésilien.
M. D. : Les 19 films présentés sont le résultat d’un système de production très efficace, qui était puissant avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. À Berlin, on nous a demandé si nous pensions que l’embellie se poursuivrait et que nous aurions, disons, 25 films brésiliens programmés l’année prochaine, mais c’est impossible à dire...
C. G. : Certains films dont le financement a été obtenu il y a quelques années sont encore en cours de production, donc avec un peu de chance, il y aura des nouveaux films plus tard cette année ou l’année prochaine. Mais au-delà, nous ne savons pas encore quelles seront les conditions au Brésil en termes de production cinématographique.
Avez-vous des projets en cours ?
C. G. : Je suis en train de monter un film tourné avec mon téléphone – des images que j’ai accumulées depuis plus d’un an – et je profite maintenant du confinement pour m’occuper du montage. Mon mari, Gustavo Vinagre, est également en train de réaliser un film de confinement dans lequel je joue.
M. D. : De mon côté, je suis en train d’écrire deux histoires : une histoire de fantômes qui n’a pas encore de titre avec Juliana Rojas, et une histoire inspirée d’un beau roman brésilien, Bury Your Dead, dont on m’a passé commande au début de l’année. Avec Caetano, nous travaillons également une idée qui tourne autour de chansons que nous composons depuis 2001, et dont j’écris les mélodies et Caetano les paroles. Nous pourrions en faire une comédie musicale centré sur le personnage d’Ana et située sur un bateau. Jusqu’ici, c’est très enthousiasmant. Sans oublier la post-production d’une série d’horreur, Noturnos, que nous avons créée. De vraies montagnes russes folles et amusantes en six épisodes !
Todos os Mortos de Caetano Gotardo et Marco Dutra été soutenu par la Fabrique Cinéma de l’Institut français en 2014.
Ce programme accompagne de jeunes cinéastes de pays du Sud pour faciliter leur insertion sur le marché international du film. En savoir + sur La Fabrique Cinéma
Le film a également été soutenu dans le cadre de l’Aide aux cinémas du monde, qui apporte son soutien à des cinéastes étrangers sur des projets de films en coproduction avec la France, qu’il s’agisse de longs métrages de fiction, d’animation ou de documentaires de création. En savoir + sur l’Aide aux cinémas du monde