de rencontres
Rencontre
Design

Caroline Naphegyi & Sam Baron

Le design est un acte militant qui permet d’entrevoir les possibles d’un monde meilleur.

Caroline Naphegyi, est directrice de Design for change, membre du comité artistique du plan de relance national destiné à la jeune création et ex directrice de la programmation de Lille Metropole World Design Capital 2020, Sam Baron, directeur créatif et designer. C’est en duo qu’ils ont élaboré la proposition de la France à la Biennale de design de Porto, qui se déroule du 2 juin au 25 juillet 2021. Commissaires du pavillon français, ils ont imaginé une exposition dans laquelle ils réinventent le lien avec le public à l’heure de la crise sanitaire.

Mis à jour le 29/07/2021

5 min

Image
Rencontre : Caroline Naphegyi & Sam Baron
Crédits
Caroline Naphegyi et Sam Baron à la Porto Design Biennale 2021 © Renato Cruz Santos

Cette année, la thématique de la Biennale de design de Porto s’intitule Alter realities. Comment avez-vous abordé cette thématique ? 

Sam Baron : Nous nous sommes demandés comment le design, qui est une pratique qui permet normalement d’envisager des futurs possibles, pouvait être au service de cette possible “autre réalité”. 

Caroline Naphegyi : Nous étions convaincus qu’une exposition réunissant des designers français ne serait pas une réponse pertinente à l’invitation qui nous a été faite par le commissaire général Alastair Fuad-Luke, de travailler sur des « alter-réalités ». Nous avons souhaité prendre en considération le fait que ni l’un ni l’autre n’étions de Porto ou de Matosinhos (ville limitrophe de Porto où se déroule la Biennale), ni ne vivions à Porto. En tant que pays invité, nous voulions signifier que nous étions étrangers à ces villes et souhaitions les donner à découvrir au travers d'un parcours reliant quatre sites investis pour l’occasion. Nous avons voulu inviter les visiteurs de la biennale à vivre d’autres réalités, et pas seulement à en être spectateurs. Le nouveau confinement de janvier au Portugal nous a freiné dans notre élan et nous avons dû revoir notre manière de travailler.

 

Comment le Covid a-t-il transformé votre projet ?

Sam Baron : Au début, nous avions prévu de réunir plusieurs personnes qui ne se connaissaient pas à passer cinq jours à Porto pour réfléchir ensemble sur ce qu’est le design et sur comment on peut répondre à la question de l’alter-réalité. Puisque cet atelier n’a pas été possible, on a réajusté notre proposition.   

Caroline Naphegyi : La crise sanitaire nous a habitués à interagir avec les autres via des outils numériques. Nous ressentons tous le manque de contacts physiques avec nos amis, collègues, l’absence d’interactions avec la ville, ses rues animées, ses commerces, ses lieux culturels. C’est la raison pour laquelle nous avons adressé à une soixantaine de Français et Portugais des objets d’usages quotidiens, accompagnés d’un court texte et de quelques questions. La matérialité de ces objets invitait à les reconsidérer, à les laisser stimuler notre imaginaire, réveiller nos souvenirs. En retour, nous attendions de chacun des participants, une idée, un texte, un poème, un dessin… L’évocation d’une autre réalité à partager avec les visiteurs de la biennale.

 

Parmi cette soixantaine de Français et Portugais, il y a des médecins, des prêtres, des critiques, et des designers : pourquoi avoir choisi des profils si différents ?

Sam Baron : Nous voulions montrer que le design pouvait parler à tous. Que l’on soit docteur, chercheur, philosophe ou architecte, tout le monde a un rapport au design. En tant qu’êtres humains, nous sommes tous sensibles, et nous avons tous notre façon à nous de penser et de réagir. C’est cela que l’on veut partager. Montrer la capacité du design à être un langage qui rassemble des idées. Dans un temps de pandémie où les rapports humains sont beaucoup plus limités, une des seules choses qui nous reste pour entretenir les liens humains, c’est d’envoyer quelque chose, une carte postale, des fleurs…

Image
Autre Monde - Porto Design Biennale 2021
© Renato Cruz Santos

Le projet français se nomme Autre : pourquoi avoir choisi ce nom ?

Sam Baron : Au Portugal, nous sommes invités, nous sommes “l’autre”. Et nous avons invité d’autres gens à participer, qui sont « des autres » pour nous. « L’autre » est un étranger et en même temps, celui qui est différent, qui apporte une différence. « L’Autre », c’est une réalité différente. Quelque chose qui est autre, c’est quelque chose auquel on n’est pas forcément habitué, qui apporte une découverte. Le mot permet des lectures diverses alors qu’il est assez simple. En cinq lettres, il réussit à être extrêmement généreux et ouvert.

Caroline Naphegyi : Autre est une proposition alternative à Alter (d’alter-réalités) et se décline en plusieurs dispositifs liés d’une part aux propositions des invités à qui nous avons adressé le cadavre exquis, et d’autre part aux partenariats que nous avons noués à Porto avec le Musée Soares dos Reis, la Radio Estação et JCDecaux.

 

Pourquoi avoir choisi de travailler en partenariat avec JCDecaux ?

Sam Baron : JCDecaux a toujours été très sensible au design et a toujours collaboré avec des designers. Cette entreprise a également une capacité de diffusion immense, extrêmement démocratique. Vous pouvez habiter dans la banlieue ou dans le cœur historique de Porto, il y aura devant vous un panneau JCDecaux. Collaborer avec eux permet d’infiltrer les villes de façon imparable. C’était intéressant pour nous, parce que cela nous permet de diffuser nos messages : un alphabet réalisé sur mesure pour la biennale, des phrases dites dans les émissions de Radio Estação ou par les personnes qui ont reçu la boîte que l’on diffusera durant la biennale. On ne fait pas de publicité, mais on utilise leur grande capacité de diffusion.

Image
Autre - Porto Design biennale 2021
© Renato Cruz Santos

Que souhaitez-vous dire du design avec cette intervention française ?

Caroline Naphegyi : Nous souhaitions sortir du cadre traditionnel des expositions et toucher un public qui ne connaît pas particulièrement le design. Radio Estação, par exemple, est une radio expérimentale conçue par l’équipe des musées municipaux de Porto. Grâce à l’Institut français et plus particulièrement aux relations de Silvia Balea, son attachée culturelle à Lisbonne, nous avons obtenu un partenariat avec RFI et radio Alfa. Chaque semaine pendant la durée de la biennale, nous invitons à s’exprimer différentes personnalités sur leur propres alter-réalités : les philosophes Fabienne Brugère et Emanuele Coccia, philosophe, le politologue Sébastien Thiéry, le designer André Cruz, le prévisionniste Lidewij Edelkoort ou encore l’entrepreneur Emmanuel Druon. Les journalistes portugais de RFI, Miguel Martins et Liliana Henriques ont résumé chacune des interviews par un récit en portugais. 

Sam Baron : Le design est une pratique essentielle pour le futur et doit être, selon moi, de plus en plus intégré dans la société. Peut-être qu’avant, le design était une approche de la beauté et des arts décoratifs. Aujourd’hui, je pense qu’il est intéressant de voir que le design va plus loin. Il n’est pas seulement dans la formalisation des choses, mais dans comment on met en place des idées, des pensées, comment on réfléchit de façons différentes, ensemble.  

 

Peut-on dire que ce projet trouve sa raison d’être en temps de pandémie ?

Caroline Naphegyi : La pandémie a positivement impacté notre manière de travailler, je dis positivement car elle nous a forcé à nous réinventer en tant que commissaires. Au-delà de notre proposition, une biennale c’est avant tout un porte-voix qui porte la voix plus loin quelle qu’en soit l’expression : une exposition, une prise de parole sur les ondes radio ou tout autant d’opportunités de proposer des actions et visions alternatives au monde dans lequel nous vivons. La pandémie a marqué un temps d’arrêt, une prise de conscience que le monde consumériste était une des causes principales de la crise économique et climatique. On a alors pensé qu’il y aurait un avant et un après. C’est bien de cet après, de cette nouvelle réalité dont il est question, celle qu’il faut d’urgence inventer. C’est aussi autour de ces alter-réalités que Ruedi et Vera Baur ont imaginés 24h de dialogue avec des designers des quatre coins du globe : “L’heure est venue de commencer à créer, tant par nos imaginaires qu’avec nos mains et nos corps, des alternatives possibles à ce monde d’aujourd’hui, de penser les possibles imaginaires futurs ainsi que leur application”. Le design est un acte militant qui permet d’entrevoir les possibles d’un monde meilleur. 

Image
Autre - Porto Design Biennale 2021
© Renato Cruz Santos
L'Institut français et le projet

Le programme de la France, pays invité à la Porto Design Biennale 2021, est une proposition du duo de commissaires Caroline Naphegyi et Sam Baron, en partenariat avec l’Institut français du Portugal et l’Ambassade de France au Portugal

Caroline Naphegyi et Sam Baron participent à la Nuit des Alter-réalités, organisée les 13 et 14 juillet 2021 par l'association Civic City en partenariat avec l'Institut français et l’Institut français du Portugal. 

L'institut français, LAB