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Cécile Debray

« Les artistes sont les sismographes de notre époque »

Cécile Debray signe cette année encore la curation de ¡Viva Villa!, qui met en lumière les résidents de la Casa de Velázquez, de la Villa Médicis et de la Villa Kujoyama, à découvrir à Avignon à la Collection Lambert du 11 octobre au 10 novembre 2019. Directrice du musée de l’Orangerie, figure emblématique de l’art contemporain en France, Cécile Debray a été commissaire de plusieurs grandes expositions internationales – dont, tout récemment, « Préhistoire, une énigme moderne », au Centre Pompidou, au côté de Rémy Labrusse et de Maria Stavrinaki.

Mis à jour le 04/05/2022

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Après une édition à Paris en 2016 et 2017, et à Marseille en 2018, le festival ¡Viva Villa! s’installe à Avignon au sein de la Collection Lambert. Pourquoi ce choix ?

C’est l’appétence d’Yvon Lambert, galeriste et marchand d'art contemporain français, pour la jeune création qui est à l’origine de cette invitation à investir les murs de la Collection Lambert : une proposition que nous avons bien sûr accueillie avec beaucoup d’enthousiasme, parce qu’elle permettait d’entrer dans un lieu muséal très identifié sur la scène de l’art contemporain. En tant que festival de résidences d’artistes, ¡Viva Villa! s’intègre aussi parfaitement dans la politique de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui accueille toute l’année un nombre significatif de résidences artistiques.

 

Vous êtes conservatrice générale du patrimoine et directrice du musée de l’Orangerie. Quel a été votre rôle de commissaire d’exposition de ¡Viva Villa! ? 

Mon rôle en tant que commissaire d’exposition est de choisir les œuvres des résidents et lauréats des trois villas afin de proposer une exposition et un festival qui mette en valeur ces artistes tout en offrant un parcours lisible et stimulant pour le public. La thématique du festival n’émane pas de mon seul regard mais plutôt de ce qui se dégage des travaux et des réflexions des artistes.

J’orchestre une présentation transdisciplinaire autour d’un fil narratif commun qui reflète les préoccupations d’une génération d’artistes, celles d’une époque.

 

Cette édition 2019 est centrée sur « La fin des forêts ». Comment cette thématique a-t-elle émergé ?

La thématique générale se dessine en général après mes premières visites des ateliers à Rome, à Madrid et à Kyoto. Elle s’affine ensuite à travers le choix des œuvres, leur mise en relation. Toutefois, il n’est jamais demandé aux artistes de créer une œuvre spécifiquement pour ¡Viva Villa!. La genèse du festival ne doit pas perturber le temps de la résidence. Je préfère montrer des œuvres plus anciennes qui n’ont pas été faites pendant la résidence que de venir empêcher une réflexion indépendante du festival. Certains, néanmoins, ont fait le choix d’adapter des créations pour le format du festival ; et nous en sommes très heureux !

Comme beaucoup, ces derniers mois, nombre d’artistes se sont saisis de la question de l’anthropocène, des désordres écologiques et politiques. Par ailleurs, cet hiver, des tempêtes ont abattu des pins centenaires de la Villa Médicis à Rome. Cet événement s’est retrouvé sous différentes formes dans les réalisations des artistes de la résidence italienne. Coïncidence ou pas, du côté des deux autres villas, à la Villa Kujoyama comme à la Casa de Velázquez, des artistes ont abordé la notion d’effondrement, la flore sous la forme d’herbiers, d’écrans, d’objets recyclés, d’enquête/installation sur des plantes invasives comme l’eucalyptus sur les côtes espagnoles ou portugaises… La question de la nature et du paysage dans sa dimension écologique, historique et politique, s’est donc imposée comme un fil directeur entre les différentes recherches issues des trois résidences.

La question de la nature et du paysage dans sa dimension écologique, historique et politique, s’est donc imposée comme fil directeur.

Est-il dans l’ADN du festival de s’inscrire dans les problématiques sociétales contemporaines ?

Les artistes sont les sismographes de notre époque, ils ont une sensibilité exacerbée et c’est en cela qu’ils sont si passionnants. Le festival offre le reflet de leurs recherches – recherches en prise avec le monde. Travailler avec ces jeunes artistes, c’est prendre à la fois le pouls de la création et de la vision que propose la nouvelle génération.  

Chacune des trois villas semble avoir ses spécificités. Quelle serait celle de la Villa Kujoyama ?

La résidence à la Villa Kujoyama, notamment du fait de sa situation au Japon, est très tournée vers les métiers d’art. J’ai été frappée cette année par les créations de trois lauréats qui ont chacun à leur façon questionné le végétal. Samy Rio a travaillé sur le bambou en tant que designer, Sandrine Rozier sur l’indigo, en proposant une sorte d’herbier pour étudier la teinture et les techniques japonaises. Quant à Martine Rey, elle s’est concentrée sur la laque japonaise, d’origine végétale. Elle a récolté des végétaux et questionné la laque sur différents supports. Il y aura également, au sein du festival, l’installation du chorégraphe Emmanuel Guillaud avec des projections d’impressions et d’ornements végétaux sur le corps du danseur Takao Kawaguchi. Mais aussi les mots sensibles d’Arnaud Ryckner et la danse encore – très représentée à la Villa Kujoyama où le dialogue avec le Buto est facilité – à travers le travail de Nach, de Camille Mutel… et également d’autres artistes, très talentueux.

 

La programmation touche à la fois à l’histoire de l’art, à la littérature, à la photographie, à la danse… Pourquoi cette volonté d’un carrefour pluridisciplinaire ?

La pluridisciplinarité du festival ne fait que refléter celle des résidences elles-mêmes. L’objectif de ¡Viva Villa! est de permettre à ces différentes disciplines de s’exprimer et se rencontrer à travers le festival, l’exposition ou encore le catalogue. Les écrivains et les historiens d’art, dont l’outil de création est l’écriture bénéficient d’une place de choix dans le catalogue. Les plasticiens voient leurs œuvres déployées dans l’exposition qui est présentée au public pendant quatre semaines. Quant à l’art vivant – danse, théâtre, composition musicale ou encore marionnettes –, il sera à l’honneur durant le week-end d’inauguration en forme de festival : les espaces de la Collection Lambert seront investis pendant trois jours par des performances, des concerts, des lectures…

 

Comment la scénographie de l’exposition s’est-elle organisée ?

La Collection Lambert est un espace épuré, une boîte blanche que nous avons souhaité respecter. Nous avons fait appel au scénographe Joris Lipsch qui, entouré par une équipe technique, a aménagé les espaces a minima, en concertation avec chacun des artistes. Toutes les techniques sont mêlées – peintures, vidéos, installations, sculptures –, ordonnées selon le parcours en cinq sections thématiques : Présent anthropocène / Effondrement ; Imaginaires écologiques / Herbiers ; Vestiges / Rémanences ; Mémoire d’éléphant / Anamorphoses.

Ange Leccia, un des premiers pensionnaires de la Villa Kujoyama – il y était en résidence en 1992 – et ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, nous fait l’amitié, pour l’occasion, de recomposer un de ses premiers films sur les fameux pins de la Villa Médicis : le parcours de l’exposition débutera ainsi avec cette grande vidéo, présence tutélaire et bienveillante dont je lui suis très reconnaissante.

L'Institut français et le projet

La Villa Kujoyama, partenaire de ¡Viva Villa!, est un établissement de l’Institut français du Japon. Elle bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller qui en est le mécène principal, et de l’Institut français. En savoir + sur le programme de résidences à la Villa Kujoyama

L'institut français, LAB