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Cinéma

Cécilia Cenciarelli

Aujourd’hui, restaurer un film, c’est étendre notre connaissance et prendre davantage conscience d’un canon cinématographique qui évolue encore.

Cécilia Cenciarelli travaille pour la Cineteca di Bologna (Cinémathèque de Bologne). Responsable des projets Chaplin et Keaton, elle figure parmi les directeurs du festival Il Cinema Ritrovato. 

Mis à jour le 21/09/2021

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Cécilia Cenciarelli
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La Cineteca di Bologna restaure des films signés de quelques-uns des plus grands réalisateurs de tous les temps, parmi lesquels Mastroianni, Fellini, Truffaut et Chaplin, mais aussi des films tombés dans l’oubli et peu connus du grand public. Comment choisissez-vous les films que vous restaurez ?

Différentes raisons poussent à restaurer un film, par exemple lorsqu’on sait que certains éléments sont en danger, ou qu’il ne reste qu’un seul exemplaire de la pellicule. Qu’il s’agisse d’un chef-d'œuvre ou d’un joyau méconnu, c’est tout aussi important. Nous avons un partenariat très spécifique avec The Film Foundation, créée par Martin Scorsese au début des années1990. Après avoir concentré nos efforts sur le patrimoine cinématographique américain, nous avons progressivement compris qu’il fallait restaurer des films tels que ceux de Truffaut et Fellini, afin de préserver la mémoire de ces véritables génies du cinéma pour les générations à venir. Nous avons également réalisé que des pans entiers de l’histoire du cinéma sont méconnus de la plupart des gens. Aujourd’hui, restaurer un film, c’est étendre notre connaissance et prendre davantage conscience d’un canon cinématographique qui évolue encore. 

 

Pourquoi les vieux films sont-ils si fragiles, et à quels types de dommages êtes-vous confrontée ?

Les pellicules sont constituées d’un matériau très fragile, et ne subsistent qu’un siècle environ même si on les conserve dans des conditions optimales. À l’usure normale due à la poussière, aux salissures et aux rayures, il faut ajouter des problèmes liés de manière spécifique à la situation géographique. Une chaleur humide entraîne des moisissures, tandis qu’une chaleur sèche a des répercussions sur les couleurs. Il y a également des problèmes de nature totalement différente, en rapport avec le montage. Le film peut avoir été censuré ou coupé, et alors il faut comparer toutes les sources qui existent encore. 

 

Vous êtes responsable du département de la recherche et des projets spéciaux. À quoi travaillez-vous actuellement ?

Le département que je supervise gère une grande diversité de projets stimulants qui, souvent, nous amènent à travailler en collaboration avec d’autres départements de la Cineteca ainsi que d’autres partenaires étrangers. Nous apprenons en permanence. Je travaille toujours sur le projet Chaplin, qui a mené à la restauration de l’ensemble des films de Charlie Chaplin et à la digitalisation et au catalogage de ses nombreuses archives, constituées de documents papier et de photos de plateau. Je m’investis énormément dans le projet World Cinema, un programme spécial lancé en 2007 par Martin Scorsese et The Film Foundation, dont la Cineteca est partenaire depuis le début. Et puis n’oublions pas Il Cinema Ritrovato

 

Le festival Il Cinema Ritrovato présente des chefs-d'œuvre unanimement reconnus mais aussi des œuvres de réalisateurs moins connus, et permet aux cinéphiles de voir des films qu’ils n’auraient jamais eu l’opportunité de découvrir autrement. Quels films avez-vous été particulièrement heureuse de présenter cette année ?

Je me réjouis vraiment que le festival se déroule dans des salles de spectacle avec de vrais spectateurs, assis dans l’obscurité en face d’un écran, en respectant la distanciation sociale ! Il Cinema Ritrovato est tout le contraire d’un voyage organisé de groupe, il s’agit d’oser se perdre et d’apprécier la découverte. Cette année, le festival regorge de surprises, allant de la projection par lampe à arc  de films du début des années 1900 jusqu’à George Stevens, et des maîtres du cinéma parallèle indien jusqu’au regard de Volker Schlöndorff sur Romy Schneider.

Les artistes utilisent de plus en plus l’histoire du cinéma pour réaliser de nouveaux films, ils s’appuient sur des éléments d’archive pour faire entendre une nouvelle voix.

Le festival est réputé, entre autres, pour présenter des films muets accompagnés de musiques jouées en direct. Cela demande des compétences très spécifiques. Comment trouvez-vous vos musiciens ?

Même si les spécialistes travaillant dans ce domaine sont peu nombreux, nous en connaissons un certain nombre. Il y a ceux qui improvisent, le plus souvent des pianistes, mais nous essayons aussi d’expérimenter, avec une harpe et des instruments à percussion. Nous organisons également des événements spéciaux nocturnes, qui sont accompagnés par l’orchestre de l’Opéra de Bologne. Pour ces événements, nous demandons à ce que de nouvelles partitions musicales soient composées. La musique accompagnant le cinéma muet donne une voix à ce que l’on n’entend pas : la pluie, les rires, les canons ou les trains. Il s’agit d’un art très spécial, mais nous avons la chance d’effectuer ce type de présentation depuis pas mal de temps, et n’avons donc jamais de problèmes pour trouver des musiciens. 

 

Vous diffusez certains films en streaming pour ceux qui ne peuvent pas se rendre au festival. Est-ce une initiative que vous poursuivrez après la pandémie, afin d’élargir votre public ?

Nous avons expérimenté la diffusion en streaming l’an dernier parce que personne ne pouvait voyager. Nous avons décidé de reconduire l’expérience cette année car bon nombre des membres les plus fidèles de notre public n'ont toujours pas pu venir, surtout en provenance d’Inde. Le nombre de spectateurs est limité, il s’agit uniquement des personnes qui achètent une accréditation pour le festival. Je pense que nous pourrions poursuivre cette initiative, qui permet effectivement de toucher un public plus large. Notre festival réunit une communauté d’amoureux du cinéma, et certains membres vivent très loin. 

 

La Cineteca di Bologna, partenaire du Pavillon français à la Biennale de Venise 2022 pour le projet de Zineb Sedira, aide et conseille également l’artiste dans sa recherche cinématographique. De quelle manière aidez-vous Zineb Sedira ?

Zineb Sedira travaille avec des spécialistes et des archivistes italiens, algériens et français.  Elle souhaitait faire quelque chose qui ait une âme algérienne, car elle est d’origine algérienne, mais comme la Biennale se déroule en Italie et que cette tâche lui a été assignée par le gouvernement français, elle a décidé de présenter un cinéma imprégné de toutes ces cultures. Elle nous a indiqué ce qu’elle voulait représenter de manière très immatérielle et nous avons essayé de traduire sa vision et de lui suggérer quelques films à regarder. C’est une autre manière d’utiliser la restauration aujourd’hui. Les artistes utilisent de plus en plus l’histoire du cinéma pour réaliser de nouveaux films, ils s’appuient sur des éléments d’archive pour faire entendre une nouvelle voix. 

 

Vous êtes également impliquée dans le projet African Film Heritage (« Patrimoine cinématographique africain »), un partenariat entre la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes), The Film Foundation de Martin Scorsese, la Cineteca di Bologna et l’UNESCO. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

Le cinéma africain naît véritablement dans les années 1960, à peu près au moment de l’indépendance, c’est-à-dire quand les Africains ont pu pour la première fois se regarder au lieu d’être regardés par les autres. Le cinéma est devenu le prolongement naturel d’une tradition orale historique, un moyen de communiquer avec n’importe qui. Hélas, les réalisateurs africains ont toujours dû s’en remettre à des laboratoires étrangers pour développer leurs films, c'est l’une des raisons pour lesquelles nous avons perdu la trace des négatifs originaux de tant de films africains. Le projet African Film Heritage a été créé pour retrouver et restaurer le cinéma africain. C’est également la FEPACI qui sélectionne les films restaurés dans le cadre du projet. C’est un véritable voyage d'exploration pour nous. Je suis extrêmement heureuse des dernières restaurations effectuées dans le cadre du projet : Lumumba, la mort du prophète, un film de Raoul Peck (1990), qui vient d’être diffusé en première au festival de Cannes, et Sambizanga, de Sarah Maldoror (1992), qui a été projeté au festival Il Cinema Ritrovato pour la première fois depuis de nombreuses années. 

L'Institut français et la Cineteca di Bologna

Certains films restaurés dans le cadre du projet African Film Heritage sont diffusés à l'international par l'Institut français. 

L’Institut français propose un catalogue de plus de 2 500 titres permettant au réseau culturel et à ses partenaires de diffuser des films français dans le monde. Découvrir IFcinema 


 


 

L'institut français, LAB