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Création numérique

Céline Tricart

La VR permet à l’esprit humain de transcender la réalité.

Productrice et réalisatrice, Céline Tricart a notamment signé The Sun Ladies et The Key, des œuvres de réalité virtuelle primées dans les plus grands festivals tels que Tribeca, Sundance et la Mostra de Venise. Ses films délivrent des messages engagés, mêlant émotion et poésie.

Mis à jour le 09/03/2021

2 min

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Céline Tricart
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©Lucid dreams Productions

Quel parcours vous a mené à devenir réalisatrice, de votre enfance dans l’Isère jusqu’à la création de votre société de production Lucid Dreams Productions ?

J’ai commencé des études en art du spectacle à l’université Lumière-Lyon II puis intégré en 2008 l’École nationale supérieure Louis-Lumière, qui répondait à ma passion de la narration et des sciences. Je me suis ensuite formée aux nouvelles technologies – la 3D relief et la réalité virtuelle – pour finalement créer, en 2016, à Los Angeles ma société de production. En France, je travaillais déjà davantage sur des films américains qui se tournaient en Europe que sur des films français. À peine arrivée aux États-Unis, j’ai été embauchée comme experte 3D sur Transformer 4 de Michael Bay.  

Comment êtes-vous passée de la 3D à la réalité virtuelle ?

Tous ceux qui travaillaient dans la 3D relief en 2013 savaient déjà que la réalité virtuelle serait la prochaine étape ! Tout le contenu en VR de haute qualité est par définition en 3D relief. La transition a donc été très facile. D’autant que j’avais l’habitude d’adapter le langage du cinéma à ces nouvelles technologies. C’est en 2013 que j’ai découvert la VR, avec Tuscany House, une villa italienne que l’on pouvait visiter en se déplaçant grâce au clavier. Ça a été pour moi un moment très fort et ça m’a donné envie de m’intéresser de près à cette technologie, puis d’étudier le secteur, de suivre l’évolution du marché. En 2015, je me suis lancée, avec un premier film 360 appelé « Marriage Equality ».

 

Quel a été le point de départ de The Sun Ladies ? Pourquoi avoir choisi la VR ?

La productrice Maria Bello m’a contactée en 2016 pour faire un documentaire sur ces femmes yezidi qui combattent Daesh. Leur histoire m’a bouleversée. Quelques mois plus tard, nous tournions un film de 7 minutes en réalité virtuelle : un regard sur une unité de combat entièrement féminine, composée de femmes de la communauté yezidi qui se surnomment « Filles du Soleil ».

La réalité virtuelle nous a permis de donner une impression d’intimité : ces femmes sont devant nous et nous regardent droit dans les yeux. Elles nous racontent leur histoire comme elles nous souffleraient un secret au creux de l’oreille. L’écran est souvent un mur de séparation émotionnelle. La VR permet de surmonter cet obstacle, de ranimer nos émotions.

 

Le film interpelle les spectateurs avec une question très précise : « Qui serais-tu et que ferais-tu face à la violence extrême et inhumaine exercée à l’encontre de ceux que tu aimes ? ». Comment les spectateurs ont-ils réagi ? Il y a deux types de réaction : ceux qui versent une larme et ceux qui ont envie de taper dans un sac de boxe ! Pendant le tournage, je m’étais parfois sentie un peu parasite, avec la sensation de voler à ces femmes leur histoire, étant moi-même cinéaste et non pas journaliste. De retour à Los Angeles, je me suis demandé ce que je pouvais faire pour les aider, au-delà du film. Nous avons donc proposé aux spectateurs des festivals où le film était présenté d’écrire aux Sun Ladies. Nous avons collecté au final 4 500 messages ! Deux ans après le tournage, je suis repartie en Irak leur apporter ces lettres, que nous avons en partie fait traduire en kurde. Les Sun Ladies ont été émues en réalisant par la lecture de ces lettres que leur histoire est désormais connue dans le monde.

La VR est une machine à empathie, tout comme un livre ou un film peuvent l’être aussi.

Avec The Key, né grâce au programme Oculus VR for Good, vous proposez un autre regard sur la question des réfugiés. Expliquez-nous comment vous avez eu l’idée de mêler théâtre immersif, animation et VR. Oculus VR for Good met en partenariat un créateur avec une organisation caritative et dans mon cas, Friends of Refugees, basée à Atlanta. Mon expérience des Sun Ladies m’avait donné envie de proposer plus qu’un film 360° pour aborder le parcours du réfugié de façon « cachée », à travers une approche métaphorique. The Key est souvent présenté comme unescape game, une exploration artistique, mais ce n’est qu’à la fin que l’on découvre qu’au fond, il s’agit là du quotidien de millions de gens. Utiliser le théâtre immersif permet de créer une sorte de transition vers la VR, qui se fait par étapes avec The Key. Les gens ne savent pas que lorsqu’ils rentrent dans l’installation, ils sont déjà dans le monde de l’histoire. L’impact émotionnel est encore plus fort à la fin de l’expérience. Il n’y a pas de message, si ce n’est l’idée que l’on pourrait résumer ainsi : « Maintenant, vous savez. Voici un apercu des sentiments que l’on ressent lorsque l’on est réfugié. »

 

Vos œuvres parlent de l’humain et traitent de sujets de société. Chris Milk parlait de la VR comme d’une « machine à empathie ». Est-ce une expression que vous adopteriez aussi ?

La VR est une machine à empathie, tout comme un livre ou un film peuvent l’être aussi. Il est vrai qu’en contrôlant le champ de vision, la VR offre un accès privilégié aux mécanismes mentaux de l’émotion et de l’empathie, même si ce n’est pas si facile que cela à provoquer, comme avec les autres médiums. Il n’en reste pas moins que la VR a un potentiel extraordinaire : elle permet à l’esprit humain de transcender la réalité et de pouvoir créer autrement. C’est un outil précieux pour la visualisation des data dans le monde économique ou scientifique. Nous n’en sommes qu’aux débuts et nous n’avons pas compris un dixième de ce que l’on peut faire avec…  

Quelle sera pour vous la prochaine manière de raconter des histoires, après la VR ? J’ai une passion pour la narration, quel que soit le médium – du théâtre immersif, comme Sleep No More – au jeu vidéo. Ces quatre dernières années, j’ai été largement inspirée par des jeux vidéo indépendants, comme Journey ou The Witness. Des jeux très exploratoires, à la première personne, avec un sens poétique très fort. Je souhaite continuer à garder l’esprit ouvert et ne pas me spécialiser à outrance.  

Quels sont vos prochains projets de film ?

J’écris actuellement deux longs-métrages en préparation, dont un film d’action indépendant féministe, même si c’est actuellement très compliqué aux États-Unis de faire un film indépendant - il ne reste que des films micro budget ou des blockbusters. Cela va être difficile de se lancer mais il me tient à cœur de renouer avec ma passion des débuts : le cinéma. J’aimerais aussi créer un jeu vidéo indépendant.  

L'Institut français et l'artiste

The Key, de Céline Tricart, est présenté sur Culturevr.fr, plateforme de l'Institut français qui dresse un panorama de l'innovation culturelle en matière de réalité virtuelle.
 

L'institut français, LAB