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Photographie

Christoph Wiesner

La création, située par essence dans les marges, ouvre une autre voie que celle tracée par l’ordre établi.

Transition, intentions, horizons le nouveau directeur des Rencontres d’Arles, Christoph Wiesner, revient sur la 52e édition d’un festival sous haute tension. 

Mis à jour le 19/10/2021

5 min

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Christoph Wiesner
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Christoph Wiesner © Cassandre Colas

La Galerie Esther Schipper à Berlin, la Galerie Yvon Lambert à Paris, la foire Paris Photo… Votre parcours a fait de vous un expert du marché de l’art. Comment se porte celui de la photographie en France ?

En 1997 suite à la création de Paris Photo par Rik Gadella, Jean-Luc Monterosso directeur de la Maison européenne de la photographie, estimait alors que la seule chose qui manquait jusqu’alors à la photographie, c’était une place de marché. Elle est aujourd’hui acquise, grâce à nos voisins européens, bien que les Américains conservent leur avance. Cette supériorité remonte à la création du département photo au MoMA de New York en 1940. Il suffit parfois d’une volonté pour changer la donne. Les Rencontres d’Arles sont nées en 1969 sous celle conjuguée de Lucien Clergue, de Jean-Maurice Rouquette et de Michel Tournier. 

 

En septembre 2020, après une année blanche et entre deux confinements, vous reprenez la direction des Rencontres d’Arles à la suite de Sam Stourdzé, nommé à la Villa Médicis. Quel regard portez-vous sur ce passage de relais délicat ?

Nous avions évidemment imaginé un autre scénario, selon le modèle éprouvé consistant à accompagner le directeur sortant durant sa dernière édition. Sam Stourdzé et moi-même avons eu de bons moments d’échange même s’il a fallu composer avec les impératifs que la période imposait. J’ai dû redéfinir un mode opératoire en adéquation avec l’engagement des Rencontres auprès de ses acteurs : artistes, institutions, partenaires, tutelles, mécènes... La transition se devait d’être fluide compte tenu du contexte, pour le moins traumatique.

 

Trente-cinq expositions figuraient cet été au programme, contre cinquante en 2019. Concentrée, l’édition a recyclé de nombreux projets avortés en 2020. Comment avez-vous composé avec cet héritage ?

Sam Stourdzé m’a laissé l’entière liberté de reprendre ou de supprimer ce que je voulais de son programme. Je n’ai pas touché à certaines expositions clés, comme Masculinités, déjà présentée au Barbican Centre de Londres. J’en ai repensé d’autres, comme celle de Pieter Hugo dont le titre Être présent évoque ce bref instant où le photographe communie avec son sujet : elle devait à l’origine se concentrer sur sa série La Cucaracha, qui avait depuis beaucoup tourné. Nous l’avons élargie au thème du portrait. Le temps a aussi joué en notre faveur pour l’exposition Charlotte Perriand : la commissaire Damarice Amao a pu se plonger en profondeur dans les archives de l’architecte, grâce à la complicité de sa fille, Pernette Perriand, et de Jacques Barsac. Les rapprochements entre sa collection de tirages, de négatifs ou de magazines, et ses photomontages, nous permettent de mieux comprendre sa méthode et son engagement : elle avait déjà dans les années 30 intégré à sa pratique le pouvoir de l’image.

 

De l’affiche officielle remise à l’endroit à la rétrospective Sabine Weiss, précédente lauréate du Prix Women in Motion, cette 52e édition navigue entre rupture et continuité.

Il n’y a ni hasard, ni fulgurance : les choses se construisent au fil du temps. Pieter Hugo figurait parmi les Prix Découverte en 2008. Smith exposait au Parc des Ateliers en 2012. Avec le recul, on s’aperçoit de résurgences. Ce qui m’intéresse, c’est de m’inscrire dans un mouvement plus vaste qui rejoint le mode de développement d’une carrière artistique.

 

Identité, genre… Les débats de société agitent le festival. Est-ce la marque d’un engagement personnel ou le simple reflet de la photographie produite par l’époque ?

Un peu des deux. J’ai suivi de près la remise à l'honneur d’artistes féminines invisibilisées : les expositions Elles@centrepompidou, Couples modernes au Centre Pompidou Metz, ou Les avant-gardes féministes des années 1970, une exposition itinérante placée sous le commissariat de Gabriele Schor, directrice de la collection Verbund, composée en majeure partie d’artistes femmes, la plupart photographes ou ayant utilisé la photographie comme medium de restitution d’une autre pratique artistique. Les Rencontres participent à cet effort, notamment à travers le Prix Women In Motion créé en partenariat avec Kering, et remis cette année à Liz Johnson Arthur pour l’ensemble de sa carrière. À notre mesure, nous œuvrons à faire de l’exception la norme : poster des garde-fous en imposant des quotas, c’est bien, apprendre à exercer son sens critique, c’est mieux. Une mission que remplit par exemple l’exposition The New Black Vanguard, imaginée par Antwaun Sargent sur la représentation du corps noir en photographie, entre art et mode.

Iframe

Haut lieu du festival et cœur battant de la ville, l’église des Frères-Prêcheurs a cette année accueilli le Prix Découverte Louis Roederer, d’ordinaire présenté au parc des Ateliers puis à Ground Control. Une nouvelle géographie à valeur de consécration pour la scène émergente.

Arles est une ville chargée d’histoire. Chaque directeur des Rencontres a joué différemment avec la mémoire et la carte des lieux. Accueillir la jeune création au sein d’un espace réservé aux photographes consacrés comme Martin Parr, Michael Wolff ou Paul Graham, est un geste fort. Avec plus de mille mètres carrés, l’église des Frères Prêcheurs, la plus vaste du centre, pouvait facilement réunir les dix projets du Prix Découverte Louis Roederer dans la nouvelle scénographie. Celle-ci permet une lecture dynamique et croisée d’œuvres a priori éloignées. Le commissariat dédié, confié cette année à Sonia Voss, apporte plus de clarté encore à l’ensemble. Je tiens à ce que les jeunes talents bénéficient d’une visibilité et d’un accompagnement sur le long terme, dans l’idée d’un mentorat. Les Rencontres sont une plateforme à laquelle est associé un réseau que je souhaite activer davantage.

 

Dans votre édito, vous comparez les “éclats démultipliés saisis par les photographes” à une constellation résiliente. Si l’heure est à la prise de conscience, il semble que vous teniez surtout à adresser un message d’espoir aux festivaliers.

Pendant le confinement, j’ai relu La Survivance des Lucioles de George Didi-Huberman, un ouvrage lumineux qui analyse le texte de 1975 de Pasolini annonçant la “disparition” des lucioles, images des contre-pouvoirs. La création, située par essence dans les marges, ouvre une autre voie que celle tracée par l’ordre établi. C’est en ce sens que j’ai choisi pour affiche une image un peu mystérieuse de Smith montrant un corps humain, un être vivant et indéfinissable regardant vers le ciel, ébloui.

 

Le partage est une valeur cardinale de l’événement. En quoi ces 52e “rencontres internationales” en sont la preuve ?

Malgré le contexte, nous sommes parvenus à maintenir les expositions de Pieter Hugo, originaire d’Afrique du Sud, de Sim Chi Yin, lauréate du Jimei x Arles Discovery Award, venue de Singapour, ou celle consacrée au soulèvement populaire soudanais, grâce au soutien sans faille de l’Institut français. L’une des artistes, Eythar Gubara, a d’ailleurs obtenu le Prix de la Photo Madame Figaro Arles. Nous avons, dans le prolongement de la bourse de recherche curatoriale ouverte aux ressortissants d’un pays africain, lancé l’an dernier une bourse de production inédite pour les artistes d’Asie du Sud, en partenariat avec la Serendipity Arts Foundation à New Delhi. Si l’Amérique latine est dans notre radar, nous cherchons aussi, à travers le Grand Arles Express, à resserrer les liens qui nous unissent aux institutions régionales. La pandémie nous a appris à regarder autour de nous, et par chance, la ville d’Arles est en pleine mutation : l’ouverture de la Fondation Luma, celle de la Fondation Lee Ufan prévue en 2022, sont autant d’opportunités de densifier nos collaborations sur le territoire.

 

Vous aurez l’an prochain les coudées franches. Sous quel(s) signe(s) envisagez-vous de placer l’édition 2022 ?

Il est encore trop tôt pour le dire (rires). Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura des résonances : ce n’est pas parce que le Soudan était cette année mis en lumière, ou que l’exposition New Black Vanguard présentait des artistes nigérians, que l’Afrique sera rayée de la carte. Cela étant, je tiens à restituer la dimension kaléidoscopique de la création. La scène d’Asie du Sud, les liens entre photographie et performance sont des sujets que je souhaite explorer.

L'Institut français et les Rencontres d'Arles

Dans le cadre de la Saison Africa 2020, l’exposition Sibadala Sibancane, de Lebogang Tlhako, a été présentée lors des Rencontres d’Arles 2021.

Dans le cadre de la saison Africa 2020, les Rencontres d’Arles et l’Institut français ont également lancé une bourse de recherche curatoriale ouverte aux commissaires d’exposition du continent africain souhaitant réaliser un projet inédit d’exposition en lien avec l’image / la photographie et s’inscrivant sur le territoire. 

En savoir + sur la Saison Africa2020

Voir le site de la Saison Africa2020 

L'institut français, LAB