Claire David
Depuis 2018, l’Académie Charles-Dullin propose une formation en ligne tournée, entre autres, vers la formation à la mise en scène avec des MOOC (cours en ligne) et des masterclasses. Invitée au festival d'Avignon 2021 pour présenter la masterclasse « Théâtres en Afrique francophone subsaharienne », Claire David, directrice éditoriale et artistique de l'Académie Charles-Dullin, évoque ces projets, mais aussi l'état actuel des écritures francophones.
Mis à jour le 16/12/2021
5 min
Avant d'être directrice de l'académie Charles-Dullin, vous éditez des pièces de théâtre au sein d'Actes Sud-Papiers depuis plus de 30 ans. Quel regard portez-vous sur les écritures dramaturgiques francophones ?
En tant qu'éditrice, l'origine de la langue m'importe moins que l'écriture elle-même. En prenant un peu de recul, je m'aperçois aussi que je suis très attachée aux pièces qui me racontent une histoire. Mon prisme d'analyse ne représente donc pas forcément la totalité du spectre de ce qu'on appelle la francophonie. Au début de mon activité, je recevais d'ailleurs assez peu de textes d'auteurs francophones. Des événements comme Les Francophonies en Limousin ont permis à ces œuvres de circuler et leur ont donné de la visibilité. Je trouve ces textes très riches, libres, peut-être moins engoncés dans des références littéraires. D'un autre côté, il s'agit d'une écriture de théâtre à vif, portée parfois par l'urgence de dire, de dénoncer. Pour moi, cela s'oppose parfois au temps nécessaire de l'écriture qui exige un mouvement de recul. Le théâtre s’allie difficilement avec une écriture « à chaud ». Selon moi, on peut attendre de lui force d’analyse, point de vue, et résilience.
Qu'est-ce qui, du coup, fait leur singularité ?
Il me semble que ces écritures francophones tiennent à l'existence d’un théâtre de formes innovantes, assez peu connues en Europe comme le théâtre « forum », le théâtre d'intervention sociale et le théâtre éducatif. A partir d'une question de santé, de société ou de politique, elles font l’état des lieux d’une problématique et de ses enjeux pour faire débat, enseigner, permettre une prise de conscience. Elles contribuent par ailleurs à la paix sociale et participent à enrichir la pratique de la langue française. Le théâtre participe aussi à une forme d’'intégration professionnelle.
Y a-t-il des noms, des mouvements qui émergent ?
Les auteurs de la francophonie que je publie, Ahmed Madani, Nasser Djemaï, Amine Adjina, Nancy Huston, ou Wajdi Mouawad, écrivent en français, vivent en France, mais se font souvent l’écho de leur double culture. Cette dimension offre une richesse particulière à leurs textes ainsi qu’un questionnement identitaire. Je vois aussi émerger des écritures plus militantes, dans le sillage de textes comme Traces de Felwine Sarr ou Le Iench d'Eva Doumbia. Ces auteurs portent un théâtre politique qui dénonce et vient s’ancrer dans une vision postcoloniale de l’art.
À côté de votre activité d'éditrice, vous faites partie de ceux qui ont élaboré le nouveau projet de formation de l'académie Charles-Dullin lancé en 2018. Qu'est-ce qui vous a guidé dans cette démarche ?
J'ai fait les 3 années de l'école Charles Dullin, dans les années 80, pour devenir actrice avant de me rendre compte que je ne pourrai jamais faire ce métier ! Vingt ans plus tard, on m'a demandé d'intégrer le conseil d'administration pour sauver l'établissement, rongé par de nombreux problèmes. Très vite, il nous est apparu que la meilleure solution était de l’arrêter, ce qui fut le cas en 2011. Nous avons ensuite échangé avec tous les responsables de la formation en France, mais aussi les dramaturges afin de comprendre ce qui était nécessaire de réinventer. Si la France est extrêmement bien dotée en école d'acteurs aux méthodes variées, peu d'établissements forment au métier de metteur en scène pourtant devenu indispensable à la création de spectacles depuis la fin du XXe siècle. Dans l’histoire du théâtre, le metteur en scène a souvent été un acteur descendu du plateau. Or, diriger un spectacle est aujourd’hui une petite entreprise et demande de nombreuses compétences outre la direction d’acteur, des notions techniques comme la lumière ou la scénographie mais aussi administrative...Le metteur en scène est aussi le porteur du projet. C’est lui qui va mettre sur un plateau son désir de spectacle et c’est lui qui va être l’interlocuteur principal. Au-delà de cette figure, je crois que le metteur en scène correspond aussi à tous ceux qui font des spectacles, que cela soit les 15 000 troupes de théâtre amateur que compte la France, les instituteurs, les éducateurs, les enseignants… Tous ceux qui font des représentations sont concernés par notre formation.
Quelles sont vos offres et comment répondent-elles aux besoins des metteurs en scène d'aujourd'hui ?
Le principe fondateur de l'Académie est d'ouvrir le regard sur la diversité des manières de pratiquer la mise en scène. Je cite souvent la phrase de Zola qui dit « il n’y a pas un théâtre mais des théâtres, cherchez le vôtre ». Et pour cela, il faut entrer dans l'atelier des autres et montrer – ce en quoi la vidéo nous aide beaucoup – cette diversité des pratiques et des esthétiques. Tout est une question de justesse. Nous proposons donc des MOOC (des cours en ligne), qui livrent une approche la plus exhaustive possible sur un sujet fondamental de la mise en scène, et nous proposons aussi des masterclasses qui laissent la place à la vision subjective d'un auteur. Ces sujets sont : la direction d’acteurs, lire le théâtre, l’espace scénique, le rapport au public, le métier de metteur en scène et ses tendances, concevoir et diriger un projet de spectacle (administratif).
Tout le monde peut souscrire à nos offres : aucun prérequis n’est attendu si ce n’est une connexion internet. Il s’agit de vidéos à visionner (24 par MOOC), construites dans un but de transmission de savoir à partir de l’expérience des plus grands metteurs en scène.
Pour des candidats en voie de professionnalisation, ces cours se complètent par des interviews de metteurs en scène en activité, des exercices, un tutorat en ligne, la délivrance d'un certificat, puis la possibilité de stages en immersion au sein de théâtres partenaires.
Depuis notre ouverture il y a 3 ans, 11 000 candidats ont suivi les cours, on trouve des intermittents, notamment sur l'offre professionnalisante, mais aussi des étudiants en art, des jeunes en phase d'orientation ou de simples curieux souhaitant se cultiver et découvrir les coulisses d’un métier. 90 pays sont représentés, 2/3 de candidats sont en France. Deux de nos 6 MOOCS sont sous-titrés en anglais et en français.
La masterclasse « Théâtres en Afrique » que vous présentez à Avignon en 2021, s'inscrit dans cette logique. De quoi s'agit-il ?
Cela est né d'un partenariat avec Jacques Banyankindagiye, qui a utilisé nos MOOC pour créer une école de théâtre au Burundi en septembre 2020. À la suite de cette expérience, l'Agence Française de Développement et l'Institut français nous ont commandé une masterclasse spéciale sur les théâtres en Afrique francophone subsaharienne. L'idée était à la fois de réaliser un état des lieux des pratiques, mais aussi de favoriser une mise en réseau des acteurs de ce bassin culturel. On a donc réalisé une trentaine d'entretiens vidéos avec des dramaturges, artistes et entrepreneurs culturels issus de 16 pays. Ces contenus sont accompagnés de trois programmes introductifs avec l'anthropologue Sylvie Chalaye, qui propose une histoire des théâtres africains au XXe siècle. Se dessine un théâtre où la force de l’imaginaire devient un instrument de liberté.
Un tel projet s'inscrit-il toujours dans l'esprit de « laboratoire d'essais dramatiques » voulu par Charles Dullin ?
Évidemment ! Au-delà de la richesse des pratiques que cette masterclasse met en valeur, il y a l'idée de décoloniser les esprits. Les auteurs francophones africains portent en eux une force de l'imaginaire, une volonté d'innovation qui tient en partie aux carcans politiques et sociaux qui règnent dans leurs pays d'origine. Cette masterclasse nous pousse à faire un pas de côté, à quitter notre grille de lecture européenne pour nous confronter à d'autres pratiques. Et c'est cela qui permet d'enrichir le regard des artistes. Jean-Louis Barrault disait que Charles Dullin, avec son école, était un jardinier d’hommes… Je pense que notre nouvelle école invite à se trouver soi-même grâce à la découverte de l’autre. Apprendre à voir, c’est enrichir son propre geste artistique et être toujours en recherche.
L'Institut français est partenaire des MOOCs de l'Académie Charles-Dullin.
La masterclasse « Théâtres en Afrique », présentée par Claire David lors du Festival d'Avignon, fait notamment suite au webinaire de l'Institut français sur les écritures francophones.