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Constance Guisset présente « Surprise Party » à Milan

Ce n’est pas la même chose de regarder des objets sur des socles blancs, où d’emmener les gens dans une histoire où on voit le sérieux du travail, mais sans avoir besoin de le démontrer.

Designer et scénographe reconnue, Constance Guisset présente, du 18 avril au 13 mai 2023, Surprise Party, une exposition en forme de rétrospective à l’Institut français de Milan. 

Publié le 04/05/2023

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Constance Guisset
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© Felipe Ribon

Vous avez un parcours atypique, puisque vous êtes passée à la fois par l’ESSEC, par Sciences-Po et même par le Japon, avant d'intégrer l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle. Comment cela impacte-t-il votre pratique de designer aujourd’hui ? 

Constance Guisset : Je dirais que ça a commencé en classes préparatoires, où j’ai appris à travailler avec méthode, à m’organiser. Le métier de designer est assez intense, il requiert une véritable polyvalence, on doit sans cesse passer d’une tâche à une autre. Pour le reste, cela relève plutôt de mes expériences de vie, de mes rencontres, qui renforcent l’empathie et permettent de se mettre à la place des autres, de comprendre des logiques politiques, ou de marché. Mais pour être honnête, je ne pense pas souvent à mon parcours : aujourd’hui, je suis avant tout designer. Ce sont peut-être mes voyages qui m’ont avant tout inspirée, notamment quand je suis partie en Inde, ou au Japon, où j’ai appris le japonais. Autant de moments qui ont eu une influence sur mon regard et mon esthétique. Tout cela forme un terreau que je cultive. On ne sait pas toujours à partir de quel substrat la plante va pousser, mais en tout cas les plantes de la création poussent sur ce terreau très varié. 

 

Dans le cadre de la 61e édition du Salon du Meuble de Milan, vous exposez, depuis le 18 avril et jusqu’au 13 mai 2023 à l'Institut français de Milan, une monographie intitulée Surprise Party. Pouvez-vous nous expliquer ce titre ?

Mes expositions sont toujours contextuelles. Surprise Party a lieu pendant la foire de Milan, qui est un véritable lieu de rassemblement pour tous les designers. C’est donc l’occasion de célébrer plus d’une dizaine d’années de travail et de plonger directement dans cette atmosphère. Surprise Party est une exposition rétrospective, qui sera donc pour beaucoup de gens l’occasion de découvrir mon travail. Le titre renvoie évidemment à quelque chose de léger : je voulais proposer des moments de surprises, de la musique, des jeux sur les lumières, beaucoup de choses à voir. Souvent les gens pensent que les designers travaillent des objets en couleur, alors qu’en réalité on trouve d’abord volumétries, et les couleurs arrivent dans un second temps. Dans cette exposition, je montre donc aussi des objets en noir et blanc, et ensuite comment la lumière leur apporte de la couleur. Il y a donc beaucoup de jeux là-dedans, d’humour. Il faut avoir une certaine légèreté dans la façon dont on regarde son propre travail : je n’ai pas honte, par exemple, d’aimer les boules disco. Ce n’est pas la même chose de regarder des objets sur des socles blancs, où d’emmener les gens dans une histoire où on voit le sérieux du travail, mais sans avoir besoin de le démontrer. 

 

Le titre Surprise Party fait d’ailleus écho au projet Ball Theater – La fête n’est pas finie, qui sera présenté au sein du Pavillon français de 18ème Exposition Internationale d’architecture – La Biennale di Venezia 2023.

Je pense que c’est lié à l’actualité, à la crise du Covid que nous venons de traverser. Vous savez, il y a cette formule : « la bamboche, c’est terminé », qui peut s’appliquer à de nombreuses choses, et qui témoigne d’un désir de restreindre la liberté contre laquelle je me rebelle bien sûr profondément. Au contraire, on assiste aujourd’hui à un véritable désir de respiration, de célébration. Y compris pour célébrer la chance que l’on a d’exposer, de pouvoir montrer son travail. Aujourd’hui, les préoccupations écologiques nous poussent d’ailleurs à nous questionner sur le fait de savoir si cela fait toujours sens de continuer à produire. Mais on se rend aussi compte que la création est toujours nécessaire, qu’elle nous permet d’avancer. Créer est toujours une fête, et c’est dans ce sens-là effectivement que « la fête n’est pas finie » : nous n’avons pas dit notre dernier mot. 

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Constance Guisset
Constance Guisset © Charlotte Robin
Constance Guisset

Le programme évoque le monde du spectacle, que vous connaissez bien, puisque vous avez réalisé plusieurs scénographies. Comment souhaitez-vous développer cet aspect ? 

J’ai une grande appétence pour le spectacle, pour ces moments où l’on décroche du réel pour faire l’expérience d’un moment de grâce, d’une extase. Le spectacle permet cela, il suffit même parfois simplement d’une minute. C’est la même chose pour une scénographie : on peut amener les gens dans une atmosphère presque immédiatement. Ce n’est peut-être pas anodin, puisque mon mémoire était déjà consacré à la notion de surprise. J’ai toujours aimé la magie, sans m’en rendre compte, jusqu’à ce que Angelin Preljocaj me le fasse remarquer. Et l’architecture d’intérieur, c’est aussi du spectacle, c’est en tout cas comme ça que je traite les espaces : comme des moments de spectacle. 

 

Est-ce que le public pourra également interagir avec les objets ? 

Par le passé, j’ai fait plusieurs expositions où le public pouvait essayer les choses. Ce sera encore le cas. Je pense à une exposition que j’avais fait au Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains, à Lausanne, où j’avais utilisé deux salles avec les mêmes objets, d’un côté en noir et blanc et de l’autre en couleur, comme en miroir. La perception était totalement différente. Ce qui recoupe aussi la question du genre, puisque certaines couleurs vont être jugées féminines. Ce type de décalage est très intéressant. A Montpellier, au Musée Fabre, j’avais également fait une exposition où les objets parlaient entre eux : ils étaient disposés à côté d’objets du XVIIIe, et avec l’aide de comédiens et d’un travail sur la lumière on les faisait dialoguer. Dans ce cas, le fait de choisir une voix masculine ou féminine pouvait changer complètement la perception de ces objets. 

 

Quelle vision du design défendez-vous ? Selon vous, comment les objets influencent-ils notre vision du monde ?

C’est plutôt notre perception qui change la nature des objets. Si j’étais un homme, par exemple, on ne dirait pas que mon travail est féminin, comme c’est souvent arrivé. Mais dès que l’on commence à défendre la délicatesse et la douceur, par idéologie, parce que l’on pense que le monde pourrait être différent, et que cela passe par les objets, on est abordé dans l’optique d’une logique féminine. Revendiquer un espace apaisant, c’est très différent, c’est se demander ce qu’on peut faire pour que les gens s’y sentent bien. Et tout à coup, dans ce type d’espace, le comportement des gens change. 

L'institut français, LAB