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Costa Gavras

Le dénominateur commun de mes films : la résistance

Icône du cinéma militant et président de la Cinémathèque française, le réalisateur Costa Gavras a repoussé les limites du cinéma français et redéfini le genre du polar dès les années 1960. En avril 2019, à l’occasion des 50 ans de Z, son film culte, l’Institut français diffuse ses quatre premiers films : Compartiments tueurs, Un homme de trop, Z et L’Aveu. Costa Gavras interroge à travers ses personnages notre vision de la liberté, mettant ainsi en lumière les évènements politiques de l’histoire moderne.

Mis à jour le 30/09/2019

2 min

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Costa-Gavras
Crédits
Costa Gavras © Unifrance

Comment êtes-vous devenu cinéaste ?

Je suis devenu cinéaste par passion, par l’amour du cinéma et l’envie de raconter des histoires avec des images. Dès que je suis arrivé en France, mon projet était de faire des études de Lettres et, éventuellement, d’écrire un jour. Je suis entré à la Sorbonne en me disant que c’était la meilleure méthode pour apprendre le français. C'est là que j'ai commencé à lire les grands classiques français : Balzac, Hugo, Zola… J'ai ensuite découvert la Cinémathèque française et j'ai compris qu'il n'y avait pas que des films de divertissement au cinéma : il subsiste aussi un cinéma très classique qui n'était pas présent en Grèce, pays d’où je venais. Après un bref concours destiné aux étrangers j'ai été accepté à l’IDHEC (devenu la La FEMIS — École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, ndlr) et ça a été pour moi une totale révélation de connaître ce nouvel instrument d’écriture qu’était le cinéma.

À la fin de mon cursus, je devais faire un stage de deux semaines. J'ai travaillé sur un film d’Yvan Grey à Paris et il m'a proposé d'être son deuxième assistant. J'ai ensuite suivi le parcours habituel : je suis passé premier assistant-réalisateur puis réalisateur. À travers ces expériences, j'ai découvert le cinéma classique et populaire en travaillant avec Henri Verneuil ou Jacques Demy de la Nouvelle Vague, m’ouvrant à une vision encore plus large du cinéma français.

 

« Je suis tombé par hasard sur ce livre de Sébastien Japrisot, Compartiments Tueurs, et j’ai décidé de l’adapter en images. »

Pour Compartiment tueurs, votre premier film, vous parvenez à rassembler de jeunes espoirs et des pointures du cinéma. Quel regard portez-vous sur ce tournage aujourd'hui ?

Parallèlement à l’assistanat, j’allais beaucoup au cinéma et je me passionnais, d’une manière générale, aux arts et à la littérature. Un jour je suis tombé par hasard sur ce livre de Sébastien Japrisot, Compartiment Tueurs, et j’ai décidé de l’adapter en images. J'étais très intéressé par les différents personnages car ils me permettaient d’explorer différentes parties de la société. Au départ, c'était un exercice : je n’avais pas les droits et je ne connaissais même pas l’écrivain. Mais un producteur a beaucoup aimé mon adaptation et m'a demandé de faire le film, ce qui m’avait beaucoup surpris à l’époque.

Comme je connaissais beaucoup d’acteurs, j’ai commencé à les contacter : ils ont tout de suite accepté. Par exemple, j'avais rencontré Simone Signoret sur un film de René Clément et je m'étais lié d'amitié avec elle. Un jour, alors que je voulais proposer un des rôles à sa fille Catherine, elle m'a invité à la campagne avec Yves Montand, et a lu mon scénario. Elle préférait que sa fille passe d'abord le bac et m'a proposé de jouer dedans, à sa place. Cela m’avait surpris car c’était un très petit rôle ! Yves Montand m’a également demandé s’il pouvait avoir un rôle. C’est devenu une sorte d’avalanche, les acteurs ont suivi les uns après les autres. Jusqu’à créer comme une famille. Nous nous connaissions tous avant, mais le film nous a encore plus réunis. C'était un film très unique, au succès français comme international, celui qui m’a ouvert la voie pour les films suivants.

 

On parle moins de votre deuxième film, Un homme de trop, qui n'a pas connu, à l'époque le succès escompté. Pourquoi selon vous ?

Un homme de trop, c’est une histoire très paradoxale : j’ai fait ce film avec tous les moyens possibles que peut avoir un metteur en scène qui commence, avec de formidables acteurs. Pourtant, à l'époque, le film n'a vraiment pas touché les spectateurs. C'était un échec total. Très curieusement, Un homme de trop est resté dans les boîtes pendant des années. C'est lorsque mes films ont été édités dans des coffrets DVD en 2016 que les critiques l'ont revu et ont émis de formidables retours. De même lorsqu’il est repassé à la télévision, il a rassemblé des millions spectateurs et aujourd’hui on me demande souvent si on peut le passer dans de petits festivals.

 

Cette année 2019, nous célébrons aussi les cinquante ans de Z, votre troisième film. Quel effet cela vous fait ?

Z est une autre histoire paradoxale ! Au début, aucun producteur, distributeur et financier ne voulait de ce film. On me disait qu’il n’y avait pas d’histoire d’amour, pas de femmes, que certains personnages apparaissaient puis disparaissaient, qu’Yves Montand (censé être la grande vedette) n’était pas assez présent… Le film avait tout contre lui car il n'était pas calibré pour être un long-métrage à succès, selon les critères habituels. Pourtant, les acteurs ont tous accepté de jouer dedans, dans des conditions exceptionnelles. Ça a été une grande surprise de voir que si le film ne marchait pas les premiers jours, le bouche-à-oreille a fait son effet et a attiré de nombreux spectateurs.

Au final, le film s'est vu diffusé pendant 40 semaines à Paris. Aujourd’hui, le film est encore très souvent projeté à la télévision et les gens me parlent encore beaucoup de lui. Il y a parfois des miracles imprévisibles et incontrôlables avec le cinéma. Je crois qu’il vaudrait mieux faire confiance aux auteurs qu’aux financiers.

On a souvent désigné mes films comme "politiques" mais c'était avant tout des histoires humaines, avec des personnages qui prenaient des positions politiques ou sociales.

On vous désigne souvent comme un cinéaste engagé. Pour vous, le cinéma était-il un moyen d'éveiller les consciences ?

Je n’ai jamais voulu changer le monde. Ma seule envie a toujours été de raconter des histoires qui me touchaient, profondément. Je n’oublie jamais que, quand on va au cinéma, on va au spectacle ; on ne vient pas écouter un discours politique ou académique. On a souvent désigné mes films comme "politiques" mais c'était avant tout des histoires humaines, avec des personnages qui prenaient des positions politiques ou sociales. Leur dénominateur commun reste la résistance ; oser faire face aux choses qui ne nous conviennent pas, qui ne sont pas éthiques ou justes.

 

Quels rôles doivent, selon vous, avoir le cinéma et les artistes ?

Le cinéma joue un rôle essentiel dans la société : il est d’après moi un moyen de connaître le monde, et l’autre. Les artistes, s’adressant à des milliers, parfois des millions de personnes ont par conséquent des responsabilités : ils ont un impact direct sur elles. Il en va de même pour le metteur en scène : il se doit de respecter la logique et l'éthique de l'histoire sans la manipuler pour des raisons dramatiques afin que ce soit plus attractif pour le public. Après il arrive ce qu’il arrive : on ne peut jamais tout contrôler et tout avoir.

Nous faisons confiance aux consciences et aux talents de chacun.

 

Quels sont les histoires qui vous inspirent aujourd’hui et vos prochains projets ?

Je suis en train de terminer un projet, sélectionné à la Mostra de Venise qui se tiendra fin août, Adults in the Room, qui met en avant la crise grecque, et les coûts qu’elle engendre. Que ce soit sur le plan social ou économique, c’est une véritable catastrophe pour la Grèce, et au-delà. Car ce long-métrage est surtout un film sur l’Europe : les personnages participent à la construction de l’Europe, et de la monnaie européenne. Ce film est lui-même complexe financièrement, mais on a réussi à le faire !

L'Institut français et le réalisateur

Quatre films de Costa Gavras sont diffusés à l'international par l'Institut français : Compartiment tueurs (1965), Un homme de trop (1966), Z (1968) et L’Aveu (1969). Du 1er septembre au 6 octobre, le cycle Costa Gavras est programmé à Taïwan. En savoir + sur le cycle Costa Gavras

L’Institut français propose un catalogue de plus de 2 500 titres permettant au réseau culturel et à ses partenaires de diffuser des films français dans le monde. En savoir + sur le catalogue cinéma

 

 

L'institut français, LAB