David Foenkinos
Romancier et cinéaste, David Foenkinos construit depuis plus de 15 ans une œuvre où absurde et mélancolie s’entremêlent. il évoque son travail d’écriture et les enjeux de l’adaptation littéraire au cinéma.
Mis à jour le 20/02/2019
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S’il raconte souvent, avec humour, qu’il s’est mis à écrire faute d’avoir réussi à former un groupe de rock, David Foenkinos n’en est pas moins devenu un des romanciers français les plus traduits et lus à l’étranger. Passionné de cinéma, comme son frère Stéphane avec lequel il cosigne chacun de ses films, David Foenkinos voit dans la littérature et le 7e art deux façons singulières de raconter des histoires.
Qu’il adapte son propre travail avec La Délicatesse ou signe une œuvre originale avec Jalouse (2017), le regard affectueux de David Foenkinos accompagne des personnages décalés, hantés par le manque d’amour ou l’absence d’un être cher. Pour nous, il analyse avec acuité les liens entre ces deux arts et décrypte la mécanique qui les unit.
Comment passe-t-on de la littérature au cinéma ?
Mon passage de la littérature au cinéma s’est fait très progressivement. Si, en 2005, j’avais réalisé avec mon frère Stéphane Une histoire de pieds, un premier court-métrage assez loufoque, nous avions surtout beaucoup de projets qui ne se sont pas concrétisés. Il était directeur de casting, j’écrivais des romans et nous adorions le cinéma, mais réaliser un film n’a rien d’évident : il s’agit d’une entreprise collective qui engage de grosses sommes d’argent et de nombreuses personnes sur une longue durée.
Puis, en 2009, en lisant La Délicatesse, Stéphane m’a dit : « Arrêtons de chercher une idée, il faut adapter ton livre. » Je n’avais jamais pensé en faire un film, mais il m’a convaincu et, d’une certaine façon, cela faisait écho à mon désir de rester auprès des personnages du roman. Il se trouve que nous sommes arrivés au bon moment : Audrey Tautou, qui ne tourne qu’un long-métrage par an, a aimé le rôle de Nathalie et voulait participer à l’aventure du premier film d’un auteur. Par la suite, tout s’est enchaîné de manière idéale.
Écrire, filmer : qu’est-ce qui rapproche ces deux gestes ?
Le point commun entre le film et le roman est le récit, l’envie de décrire des personnages et de les faire traverser une histoire. Que l’on soit dans l’imaginaire pur, comme en littérature, ou face au réel, comme au cinéma, l’énergie reste la même.
Ce qui est magnifique au cinéma, c’est lorsque l’imaginaire entre dans le réel. Par exemple, quand je créé dans La Délicatesse un personnage comme Nathalie puis que j’ai face à moi Audrey Tautou, une actrice impressionnante, qui l’incarne et en parle comme si elle la connaissait mieux que l’auteur, ce que j’avais imaginé prend corps et je trouve cela magique.

Des Souvenirs (2014) au prochain Mystère Henry Pick (2019), vos livres sont régulièrement repris au cinéma. Quel regard portez-vous sur le travail d’adaptation ?
Lorsque l’on adapte soi-même son roman, on n’a pas peur d’être dépossédé de son travail. Pourtant dans ce cas aussi, il faut accepter de produire autre chose. Pour La Délicatesse, il a été nécessaire d’inventer beaucoup de scènes et de remodeler certains personnages afin que l’univers romanesque devienne un univers visuel.
C’est le même processus lorsqu’un autre cinéaste adapte l’un de mes romans et cela ne me pose aucun problème. Je n’exige pas de droit de regard et je ne mets pas les pieds sur le tournage, car personne ne m’a obligé à céder les droits d’adaptation. Il m’arrive de refuser, mais dès que j’accepte, je considère que l’œuvre appartient pleinement au cinéaste.
Pourtant, on entend souvent dire qu’adapter, c’est trahir…
L’idée de trahison dans l’adaptation est liée au spectateur qui aborde souvent le film dans un sentiment de comparaison. C’est tout à fait normal car le lecteur se fait son propre film. Face aux images, il y a donc toujours la possibilité d’être déçu, de voir son propre imaginaire « trahi » par celui d’un autre. C’est une des raisons pour lesquelles il s’est écoulé six ans entre mon premier et mon second long-métrage. Après La Délicatesse, Stéphane et moi n’avons pas voulu adapter un de mes romans parce que nous voulions être jugés sur notre vision de cinéastes et non pas par comparaison avec le livre.
Je dois dire aussi que j’ai été plutôt gâté par les adaptations de mes romans. Quand je vois Les Souvenirs, par exemple, je suis séduit par la manière dont Jean-Paul Rouve a apporté sa personnalité et son humour au récit. Je ne le vois pas comme une histoire que j’ai inventée, mais comme son œuvre à lui. Il a fait un film sublime qui me suggère que c’est une chance formidable d’être accompagné du talent des autres.
Jalouse (2017) est votre premier long-métrage basé sur un scénario original. Qu’est-ce que cela a changé dans votre manière d’écrire ?
Le scénario original est plus dur à écrire parce qu’il faut tout inventer. C’est sûrement pour cela que tant de cinéastes se tournent vers la littérature. La base qu’elle fournit permet de créer, d’ajouter et d’exprimer sa singularité.
Toutefois, il me semble qu’il y a des sujets qui se prêtent mieux au cinéma qu’au roman et Jalouse en constitue un bon exemple. Au départ, le film était axé sur la relation mère/fille et cela donnait quelque chose d’assez dur. En discutant avec nos producteurs, Stéphane et moi avons compris qu’il s’agissait d’une impasse et qu’il était plus intéressant de filmer une femme incapable de faire face au bonheur des autres. Il y a quelque chose d’extrêmement visuel dans cette rivalité entre une mère en crise et sa fille, infiniment belle et jeune. Cela peut se montrer en deux images et faire jaillir une vraie force comique qui donne son ton au film. Ce sentiment m’a porté vers un scénario plutôt qu’un livre, mais un autre auteur aurait peut-être pu en faire un roman. D’ailleurs, quand je fais des dédicaces, certains spectateurs me parlent du « roman » Jalouse, comme si j’avais encore adapté un de mes ouvrages !

Pour finir, parlons justement des lecteurs et des spectateurs. Le rapport au public est-il différent du livre au cinéma ?
Auteur et lecteur fonctionnent en duo, dans un rapport très direct. Au cinéma, le travail est davantage collectif, et j’aime beaucoup entendre les spectateurs nous parler de ce qui les touche dans le projet, du jeu des acteurs ou des choix de décoration que nous avons pu faire.
Et à l’étranger ?
À l’international, le public ne me connaît pas, il ne s’intéresse qu’à l’œuvre qu’on lui propose et c’est très agréable. Je suis toujours curieux de voir la façon dont les émotions sont perçues dans des pays qui ont des codes différents. Je me souviens d’une projection de La Délicatesse au Japon, où la salle était très calme. J’étais défait, persuadé que le film leur avait déplu, quand une femme est venue me voir pour me dire : « Oh, j’ai tellement ri ! ». Là-bas, le rire est pudique, silencieux. En ce sens, une projection ou une dédicace à l’étranger ne me fait pas toujours redécouvrir mon œuvre, mais elle m’enrichit humainement à travers ce que je découvre des publics que je rencontre. Pour un écrivain, il n’y a rien de plus précieux.

Du 12 au 15 novembre 2018, David Foenkinos est parti à la rencontre du public thaïlandais et vietnamien. Il est intervenu notamment à l’Alliance française de Bangkok et à l’Institut d’échanges culturels avec la France d’Ho Chi Minh Ville, sur le thème du passage de « L’écrit à l’écran ».
Deux de ses films, Les Souvenirs et Jalouse, ont été projetés avec le soutien de l’Institut français.
L’Institut français propose un catalogue de plus de 2 500 titres permettant au réseau culturel et à ses partenaires de diffuser des films français dans le monde.