Debashish Paul, artiste en résidence à la Cité internationale des arts
Debashish Paul est un artiste indien connu pour son style unique de performance fondé, en partie, sur des tenues très élaborées. Son travail porte sur les questions de genre et d’identité. Il explore différents médiums, y compris le dessin, la sculpture, l’artisanat et même la danse. Il est actuellement à Paris, dans le cadre du programme de résidences de l’Institut français à la Cité internationale des arts, et nous en dit plus sur ses recherches.
Mis à jour le 25/07/2023
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Vous abordez les problèmes de l’identité queer dans une société dominée par les normes hétérosexuelles. Comment et pourquoi en êtes-vous venu à traiter principalement ce thème ?
Pour bien vous l’expliquer, je dois remonter à mon enfance. Mes amis et mon entourage se moquaient de mes manières et de mon apparence efféminées. J’en ai beaucoup souffert. J’ai commencé à me détester et à passer beaucoup de temps seul. À cette époque, je me suis bâti un monde imaginaire. J’ai commencé à créer des poupées et à jouer avec elles, à leur fabriquer des vêtements, à leur confectionner des colliers avec des fleurs. Ma souffrance a été ma motivation, elle m’a poussé à trouver ma voix intérieure. C’est peut-être à ce moment-là qu’a commencé mon grand voyage, celui qui me permettrait de me sentir bien dans ma peau. Mes sœurs se maquillaient et se mettaient sur leur trente-et-un. Je les imitais, et parfois je m’habillais en femme. J’aimais tout ça. Beaucoup de tisserands vivent dans mon village et ils font de magnifiques saris (une tenue traditionnelle indienne). J’avais l’impression qu’avec ces couleurs, mon corps intérieur se parait lui aussi de nouvelles teintes.
Depuis, alors que je lançais mon parcours artistique, j’ai passé beaucoup de temps dans la nature, pour découvrir qui je suis et dépasser le sentiment de culpabilité profondément ancré en moi et lié à mon identité gay/queer. Aujourd’hui, je comprends que le corps et la nature sont connectés. Je partage mon histoire par le biais de mon art. L’art pour moi est un voyage libre.
Comment réagit-on à votre travail en Inde ?
Les artistes et les amateurs d’art comprennent la souffrance liée à l’identité queer. Avec l’art, il m’est bien plus facile de parler de mon individualité et de l’exprimer. Le monde de l’art accepte mon travail, mais ce n’est pas le cas de la société indienne. Ma famille n’est toujours pas au courant de mon identité. Je ne peux pas leur en parler, car dans mon village, la communauté queer n’est pas acceptée.
C’est grâce à mon art que j’ai réussi, il y a trois ans, à faire mon coming out à ma conservatrice, pendant mon master. Elle m’a beaucoup aidé et m’a donné la force de définir mon identité.
Récemment, vous avez commencé à utiliser des costumes sculpturaux non genrés. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Lorsque j’ai commencé à utiliser des costumes, la magie de la mode m’a vraiment aidé à cacher mon corps, un corps dans lequel je ne me sentais pas bien et que la société n’acceptait pas. Avec les costumes, je peux révéler mes désirs les plus profonds et mon identité intérieure. En tant qu’artiste, je ne souhaite pas me limiter à un genre ou à un type de corps en particulier. Ce que j’ai en moi, mon corps intérieur, ne connaît aucune limite et dépasse les questions de genre. Il évolue en fonction de mes émotions.
Je me suis produit à la Dutch Warehouse à Kochi, là où le fleuve rencontre la mer. Depuis mon enfance, le Gange m’a toujours accompagné. Il coule dans mon village. Son courant donne un sens à mon corps intérieur, il rend tout plus fluide et me donne un sentiment de liberté. Les costumes sont souvent en accord avec le lieu/l’endroit où je me trouve.

Pour votre nouveau projet « Kas’ – To Shine/ Enlightenment » vous allez relier les villes de Varanasi et de Paris et leur fleuve respectif, le Gange et la Seine. Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Varanasi et Paris partagent beaucoup de points communs. Ce sont deux villes qui ont grandi autour d’un fleuve. Comme Paris, Varanasi est une ville très riche culturellement. Les visiteurs s’y rendent pour découvrir de nouvelles choses et profiter de différents divertissements. On les appelle toutes les deux « ville lumière ». Avec mon corps et mes émotions, je pense que je peux me connecter à ces deux villes. Paris est le berceau d’une culture et de philosophies riches. Je pense que ces savoirs peuvent m’aider à atteindre l’éveil spirituel. Ce projet dépasse l’art. Il va m’aider à mieux me connaître. Grâce à ma pratique artistique, je vais pouvoir connaître l’éveil spirituel, qui est, selon l’hindouisme, l’ultime voyage.
Les pèlerins hindous se rendent à Varanasi pour connaître cet éveil spirituel. La ville est connue pour sa scène musicale et littéraire ainsi que pour la danse classique. J’ai également puisé mon inspiration dans sa mythologie. La plupart des hindous croient en Shiva. L’une de ses rūpa (formes) est Ardhanarishvara (moitié homme et moitié femme). Le corps de Shiva est alors également divisé en deux, il est moitié homme et moitié femme. La partie droite représente souvent Shiva, le côté masculin, et la partie gauche Parvati, le côté féminin. Ardhanarishvarareprésente la synthèse et le lien indissociable entre les énergies masculines et féminines de l’univers. Cette mythologie m’inspire énormément. En chacun de nous existent un côté masculin et un côté féminin.
J’espère que les visiteurs arriveront à se connecter à cette spiritualité. Lorsque je me produis, le plus dur est d’emmener le public , de ne faire qu’un avec lui. Mon corps récent portera Varanasi et mon corps présent portera des souvenirs de Paris. Avec mon corps, je veux faire fusionner les deux villes.
Vous avez reçu le prix PAIR (Praf Artist in Residence), remis par la Prameya Art Foundation et l’Institut français en Inde. Avec ce prix, vous avez obtenu une résidence de trois mois à Paris. Vous y travaillez dans le cadre d’un programme de résidences de l’Institut français à la Cité internationale des arts. Quelle sera l’influence de cette résidence sur vos recherches ?
Paris compte tellement de musées et dispose d’une scène culturelle si riche. Je vais aussi rencontrer de nombreux artistes différents à la Cité internationale des arts. Tout cela va me permettre d’apprendre et de faire évoluer ma pratique. Je veux aussi voir comment mon corps va réagir dans un nouveau pays. Je veux profiter de cette résidence pour développer un nouveau personnage, ou plusieurs. Je crée de nouveaux personnages pour tous mes projets et je veux découvrir quels seront les effets de ce nouvel environnement et de cette nouvelle culture sur ces personnages.
J’ai hâte de rencontrer des artistes, des penseurs, des amateurs d’art et d’autres acteurs de la scène culturelle et d’échanger avec eux. C’est la première fois que je quitte mon pays. Je sais que ce sera très important pour moi.

Vous êtes connu pour votre utilisation de différents médiums. Quelle forme va prendre votre projet « Kas’ » ?
Tous les différents médiums, que ce soit les photos, les vidéos ou les costumes, sont des outils qui me permettent de partager mon histoire. Ensemble, ils forment un tout unique. Lors de ma résidence, je vais utiliser tous ces médiums, mais je ne sais pas encore quelle forme mon projet prendra. J’ai envie d’apprendre de nouvelles choses. Mon costume sera inspiré par mon environnement, et sera enrichi par d’autres médiums.
Quels sont vos projets d’avenir pour l’après-résidence ?
Je n’ai pas de projet pour l’instant. Je n’aime pas trop prévoir, je préfère quand les choses se passent naturellement. Les nouvelles situations me permettent toujours d’apprendre et donc de trouver de l’inspiration pour mes prochains travaux. Ce que je vais créer à Paris m’aidera pour mes futurs projets.