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Développer la lecture par le plaisir : un entretien avec Kouassi Sylvestre Kouakou, lauréat 2023 du projet Ressources éducatives

L’enfant a le droit de lire ce qu’il veut, il a le droit de ne pas terminer un livre, il a le droit de lire où il veut, et la lecture ne doit jamais être une punition.

Chef du département de Bibliothéconomie de l’EBAD (École de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes) à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Kouassi Sylvestre Kouakou pilote le projet ForMeL, qui vise à développer des activités d’animations autour de la littérature jeunesse en se fondant sur l’idée que la lecture doit rester avant tout un plaisir. Dans cet entretien, il nous présente ce projet et son avenir, nous parle du rôle joué par l’EBAD et fait le point sur la structuration du réseau de lecture publique au Sénégal. 

ForMeL est un projet soutenu dans le cadre de l’appel à projets Lire pour apprendre 2023 du projetRessources éducatives

Mis à jour le 20/03/2024

2 min

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Pr Sylvestre KOUAKOU
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Vous avez coordonné le projet ForMeL (Formation à la Médiation autour du Livre Jeunesse), lauréat de l’appel à projets « Ressources éducatives - Lire pour apprendre » 2023. Pourriez-vous nous parler de la genèse de ce projet et nous le présenter ?

Le projet naît de plusieurs constats. D’abord, des retours de la part des enseignants, qui relèvent que les élèves lisent de moins en moins, et que cela n’est pas sans conséquence sur leurs résultats scolaires. L’absence d’une activité de lecture régulière engendre une pauvreté de vocabulaire et une défaillance dans la capacité d’analyse et de compréhension des énoncés. En 2021, nous avons donc mené une étude auprès de 200 élèves du niveau collège et lycée. Il est alors apparu clairement que les élèves ne lisaient que pendant l’année scolaire, et principalement les ouvrages au programme. On est donc dans une situation où la lecture est contrainte. Cette étude montrait également que le fait de lire était étroitement corrélé aux résultats scolaires, les lecteurs assidus faisant partie des meilleurs élèves.

Nous avons donc décidé de faire de l’acquisition de solides compétences de lecture, dès le préscolaire et le primaire, une priorité. Or, au Sénégal les bibliothèques sont quasi-inexistantes, ou alors ne disposent que d’un fonds documentaire très pauvre et de locaux vétustes, peu attrayants pour les enfants. Les personnels de ces bibliothèques ne sont pas véritablement formés : il s’agit la plupart du temps d’enseignants à la retraite. Quant aux enseignants qui mettent en place des coins de lecture au sein de leurs classes, ils nous ont confié manquer d’outils pour faciliter une approche ludique de la lecture. L’EBAD a donc décidé de s’engager pour accompagner l’école dans la mise en place de mécanismes permettant de mieux gérer les bibliothèques et susciter chez les élèves l’envie de lire. Depuis quatre ans, nous formons des instituteurs, même si cela s'est avéré très insuffisant au vu des besoins. Le projet ForMeL s’inscrit dans cette continuité, en développant les compétences de lecture chez les élèves à travers un apprentissage qui passe par le plaisir et non par la contrainte. 

Il est apparu clairement que les élèves ne lisaient que pendant l’année scolaire, et principalement les ouvrages au programme. On est donc dans une situation où la lecture est contrainte.

Le projet comporte deux volets, axés autour de la formation des enseignants, et de la rédaction d’un outil didactique intitulé « Guide d’animation autour du livre : donner envie de lire aux enfants ». Pouvez-vous nous détailler cet aspect ? 

Le projet ForMeL se décline en deux axes orientés formation de formateurs et conception d’un outil didactique. 

Le premier axe s’articule autour de la formation de 40 directeurs d’école et leurs adjoints autour de la bibliothéconomie jeunesse et de la médiation documentaire. Trois modules ont été abordés au cours de ces formations : (1) initiation à la littérature jeunesse et à sa médiation (2) donner envie de lire et prévenir l'illettrisme, et enfin (3) réaménager des espaces de lecture jeunesse et la conception d’animations autour du livre. 

Le deuxième axe consiste à rédiger un « Guide d’animation autour du livre : donner envie de lire aux enfants ». Ce guide conçu suivant une approche co-constructive entre les enseignants-chercheurs en bibliothéconomie, bibliothécaires et les acteurs du monde de l’éducation liste une dizaine de principes pour que l’enfant ne ressente plus la lecture comme une contrainte. L’enfant a le droit de lire ce qu’il veut, il a le droit de ne pas terminer un livre, il a le droit de lire où il veut, et la lecture ne doit jamais être une punition. L’enfant, enfin, a le droit au bovarysme, c'est-à-dire le droit de s’identifier aux personnages. L’idée étant moins de miser sur la dimension pédagogique de la lecture que sur ses fonctions ludiques, sociales et affectives. Nous insistons également sur les aménagements à réaliser dans les bibliothèques scolaires, et proposons 26 fiches d’animation qui visent à permettre aux enfants de découvrir des livres de manière interactive, créative et ludique. 

Entretien avec Pr Sylvestre KOUAKOU coordonnateur du guide d’animation autour du livre jeunesse​
Entretien avec Pr Sylvestre KOUAKOU coordonnateur du guide d’animation autour du livre jeunesse​

Pourriez-vous nous parler de la structuration du réseau de lecture publique au Sénégal ? 

Au Sénégal, la lecture publique est sous la tutelle du Ministère de la Culture, qui coordonne le réseau national qui lui-même est organisé de façon régionale. Chaque région dispose d’une bibliothèque régionale et de Centre de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) : un projet impulsé par l’Organisation Internationale de la Francophonie, en particulier à destination du monde rural. Un autre réseau de CLAC est d’ailleurs géré par l’Organisation du Monde Islamique pour l’Éducation, les Sciences et la Culture, sur le même modèle, mais focalisé sur la langue arabe. On trouve enfin des bibliothèques associatives ou appartenant aux collectivités locales, et enfin, celles gérées par des partenaires étrangers. Ces dernières, celles de l’Institut français, des Alliances Françaises, du Goethe-Institut ou encore de l’Institut Confucius, sont les plus fréquentées, en raison de leur fonds documentaire très fourni et leur cadre souvent agréable. 

 

Quels sont les besoins et les objectifs à court et à plus long terme du programme ForMeL ? Quel a été le rôle de l’EBAD et des différents partenaires institutionnels sur ce projet ? 

Le premier volet est en effet institutionnel et politique : nous avons besoin d’une nouvelle loi-cadre relative au développement de la lecture publique au Sénégal, le décret en vigueur, qui date de 1967, étant dépassé. Aujourd’hui, la politique nationale se concentre sur les dons d’ouvrages et sur l’organisation d’un salon du livre, ce qui n’est pas mal en soi, mais qui demeure insuffisant. Le réseau que je viens de vous décrire ne fonctionne pas vraiment, il est très disparate et ses différentes strates ne communiquent pas entre elles. Le second volet est la professionnalisation du personnel : seulement 15% sont formés par l’EBAD, ce qui déteint sur la gestion de ces espaces de lecture. Il faut aussi accélérer le recrutement, car l’EBAD a déjà formé des bibliothécaires qui sont encore sans poste. Il faudrait également remédier au fait que les établissements existants n’ont pas de budget d’acquisition, et ne vivent que par les dons d’ouvrages qui ne correspondent pas toujours aux besoins de leurs usagers. La bibliothèque doit être un lieu qui évolue, un espace de socialisation qui reflète les préoccupations de ses lecteurs. 

Il faudrait remédier au fait que les établissements existants n’ont pas de budget d’acquisition, et ne vivent que par les dons d’ouvrages qui ne correspondent pas toujours aux besoins de leurs usagers.

Comment la formation et le guide ont-ils été accueillis par le public cible ? Comment envisagez-vous désormais l’avenir de ce projet ? 

Tout cela a été mis en place il y a seulement un mois. À chaud, les retours des enseignants étaient cependant très positifs, notamment en ce qui concerne la transition d’une lecture contrainte à une lecture-plaisir. En ce qui concerne la suite, nous envisageons justement de mettre en place une phase pilote d’expérimentation du guide, en visitant des établissements pour avoir des retours d’expérience. Nous voudrions également le ré-imprimer en un nombre beaucoup plus conséquent d’exemplaires, pour pouvoir toucher d’autres académies, en plus de celle de Dakar qui était concernée par cette première phase. Enfin, nous misons sur la mise en place d’une formation en bibliothéconomie jeunesse. 

L’Institut français et le projet

Depuis 2020, l’appel à projets Lire pour apprendre accompagne et finance des projets, tels que ForMeL, pour encourager la création et la diffusion de littérature de jeunesse destinée aux élèves du primaire et du secondaire de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne francophone. 

L’appel s’inscrit dans le cadre du projet Ressources éducatives, initié et financé par l’Agence française de développement (AFD) et mis en œuvre par l’Institut français et l’UNESCO. 

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Guide d’animation autour du livre : donner envie de lire aux enfants

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