Diana Marincu
Docteure en théorie et histoire de l’art, directrice artistique de la Fondation Art Encounters à Timisaora, Diana Marincu est la curatrice de l’exposition « Persona. Œuvres d’artistes roumains » au Mucem de Marseille.
Mis à jour le 10/05/2019
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L’exposition « Persona – Œuvres d’artistes roumains » rassemble huit artistes contemporains roumains qui questionnent les notions d’identité à travers le prisme du masque. Diana Marincu nous livre quelques pistes de lecture sur cette exposition qui offre un focus inédit sur les engagements artistiques de l’art roumain contemporain, à travers les œuvres de Ioana Bătrânu, Anca Benera et Arnold Estefan, Răzvan Botiș, Mircea Cantor, Olivia Mihălțianu, Anca Munteanu Rîmnic et Ioana Nemeș.
Quelle a été la genèse de cette exposition qui confronte des objets ethnographiques à des œuvres d’artistes contemporains roumains ?
J’ai découvert la collection ethnographique roumaine du Mucem, lors de ma première visite en 2017. En tant que curatrice, je pars toujours des œuvres et du contexte avant de définir une thématique. Parmi la grande diversité d’objets conservés, il m’est apparu que le motif récurrent le plus riche et le plus complexe était celui du masque. L’exposition se devait de créer une connexion entre la collection et l’art contemporain roumain, le masque apparaissait alors comme un merveilleux point de départ. J’ai alors choisi cinq masques traditionnels, me servant de base pour ma réflexion sur la notion d’identité.
Pourquoi le titre de « Persona » ?
Le mot « persona » est un mot latin qui signifie « le masque de l’acteur » mais aussi « le rôle, le personnage », cette idée m’a fascinée, ainsi que toutes ses déclinaisons modernes, notamment dans la langue française « personne », « personnage » … J’ai pensé que cela pourrait être très symbolique pour cette exposition qui aborde le sujet de l’identité.
Le mot « persona » m’a permis de jouer avec ces différentes notions : c’est une métaphore du thème de l’exposition et de la dualité présente dans les œuvres des artistes. C’est une exposition très riche qui pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses, en ouvrant au spectateur un champ plus vaste de possibilités et de réflexion.
Comment avez-vous sélectionné les huit artistes présentés dans l’exposition ?
J’ai réfléchi à des artistes intéressés par les notions d’appartenance et d’identité nationale ; comment définir l’identité, la construire ou la déconstruire, que ce soit à partir de critères géographiques, culturels ou symboliques. J’ai aussi choisi des artistes qui s’intéressaient aux traditions, et s’interrogeaient sur leurs adaptations de façon contemporaine, et ce à travers différents médiums (peinture, sculpture, dessin, photographie, installation, vidéo).
Comment se tissent les liens créés entre les œuvres et les objets ethnographiques ?
L’exposition s’ouvre sur Simulanta d’Anca Munteanu Rimnic qui fait face aux cinq masques de la collection. Elle donne le ton en optant pour l’affrontement, avec trois photographies grand format d’une performance où une danseuse lutte avec un tapis traditionnel roumain, comme pour se libérer de cet héritage symbolique et culturel. Inversement, l’installation d’Anca Benera et Arnold Estefan « Isa, por ës homou vogymuk (Indeed, we are all dust and ashes ) » ont une démarche d’appropriation : elle intègre un totem funéraire traditionnel en bois, kopjafa, récupéré par l’extrême droite aujourd’hui. Réalisé par un artisan transylvanien, il est ici ré-imaginé comme un symbole pour les groupes marginalisés, défavorisés ou persécutés par les régimes autoritaires – minorités ethniques et LGBT, journalistes ou travailleurs culturels. Il est intéressant de voir qu’un objet folklorique peut finalement porter des sujets politiques très actuels. Autre exemple de ce dialogue entre passé et présent : les « tapis volants » de Mircea Cantor, réalisés avec la tisseuse Victoria Baerbecaru, associant le symbole contemporain de l’avion à des motifs d’anges plus anciens.
Quelle place les traditions païennes incarnées par le masque occupent-elles dans la Roumanie contemporaine ?
Les traditions païennes appartiennent au passé et aux folklores locaux. Mais on peut encore observer dans certaines régions, entre Noël et l’Épiphanie, des parades d’ours et de masques pour chasser les mauvais esprits. Dans ces rites ancestraux, le masque marque une rupture entre l’année écoulée et la nouvelle année, mais aussi dans l’ordre des choses ; c’est ce symbole qui m’a intéressée pour l’exposition. Le masque est également présent dans l’exposition de Mircea Cantor au Musée de la Chasse et de la Nature, à travers les masques de la collection du Musée du paysan roumain de Bucarest. Ils apparaissent ici dans des dessins anciens de Ioana Bătrânu, dévoilés pour la première fois à l’occasion de cette exposition.
« Persona » repose sur une double temporalité entre passé et présent. Doit-on y voir une réflexion sur le rapport au temps et plus largement sur la notion de patrimoine culturel ?
Il y a en effet une réflexion sur le passé et la construction d’un discours sur l’identité nationale, mais c’est d’abord une exposition que j’ai souhaitée fluide et porteuse de questions très contemporaines. C’est pour cela que j’ai choisi des artistes de générations diverses, qui vivent en Roumanie et appartiennent aussi à la diaspora, ce qui permet de ne pas avoir une seule image figée du pays, mais offre des points de vue différents, intérieurs et extérieurs. Je crois que c’est une exposition qui ouvre la voie à des questions plus universelles sur la notion d’identité de nos jours et qu’on peut difficilement la définir à partir d’une aire géographique. Je pense qu’à défaut de subversion, cette jeune génération d’artistes est dotée d’un vrai regard et d’un esprit critique. C’est à mes yeux ce qui caractérise véritablement la nouvelle scène roumaine.
L’exposition « Persona » est présentée au Mucem du 5 avril au 23 juin dans le cadre de la saison France-Roumanie 2019.
La Saison France-Roumanie 2019 (novembre 2018-juillet 2019) est mise en œuvre par l’Institut français et, pour la Roumanie, par le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Culture et de l’Identité nationale, l’Institut culturel roumain, avec le soutien des ambassades de France et de Roumanie, des Alliances françaises et des autres ministères impliqués dans les deux pays.