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Langue française

Diriger un centre de langue au sein du réseau culturel français à l’étranger

Le défi est de convaincre nos publics que le français est une langue d’avenir, que l’Institut français est un partenaire pour l’avenir.

Isaline Gailliegue est directrice du Centre de langue de l’Institut français de Djibouti, dans le cadre d’un contrat de Volontariat International (VI) débuté il y a six mois. Romuald Prouteau est lui en poste à l’Institut français du Maroc depuis un an et demi. Basé à Rabat, il coordonne les Centres de langue à l'échelle nationale. Nous avons échangé avec eux dans le cadre du Séminaire Langue française organisé par l’Institut français Paris en mars dernier. Au fil des échanges, ils nous partagent leur quotidien, leurs missions ainsi que les défis à relever au sein du réseau culturel français à l’étranger. 

Mis à jour le 17/06/2024

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Isaline et Romuald : Diriger un Centre de langue au sein du réseau culturel français à l’étranger
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En quoi consistent vos missions quotidiennes et quelle est votre motivation à y prendre part ? 

Isaline : Mes missions quotidiennes sont centrées autour de la relance du Centre de langue, qui est en perte de vitesse. Nous cherchons en priorité à apporter un accompagnement pédagogique aux professeurs de l’Institut français de Djibouti, ainsi qu’aux enseignants de et français présents dans le pays. Il y a d’énormes besoins en formation, puisque le français est langue d’enseignement, et que les qualifications des professeurs sont de plus en plus faibles. 

Ce qui m’a motivée à prendre part à un Volontariat International, c’est la découverte de nouvelles missions, d’un nouveau pays, ainsi que des enjeux liés à la coopération éducative internationale. 

Romuald : Le cœur de ma mission est de coordonner le réseau des Centres de langue, des projets et des actions, avec les équipes, dans le but de développer l’activité des cours et des certifications de l’Institut français du Maroc. Notre réseau est doté de douze antennes. Certains Centres de langue sont de grosses machines, tandis que d’autres sont de plus petites structures. Malgré cette hétérogénéité, nous cherchons à mener des actions de manière mutualisée pour en optimiser l’impact. L’objectif est de faire de notre réseau une force. 

Ce qui me motive au quotidien, c’est l’aventure humaine et professionnelle. Aventure humaine car c’est en équipe que l’on peut conduire nos projets, avec une finalité stratégique à l’esprit. Et c’est un plaisir de travailler avec les équipes de l’IFM qui sont très chouettes ! Aventure professionnelle car, quand on impulse un projet, on a envie d’aller en ligne droite ascendante, depuis le point de départ vers celui d’arrivée. Mais ça se passe rarement comme ça ! Chaque projet est une aventure. Et chaque projet est une pièce de puzzle, qui doit faire sens et qu’il faut ciseler, afin qu’elle prenne sa place dans la mise en œuvre de la stratégie globale. C’est aussi cette dynamique, cette réflexion permanente qui est très motivante. 

À Djibouti, la langue française est la langue de l’éducation, mais elle n’est pas parlée au quotidien dans les foyers familiaux.

À quels défi(s) majeur(s) êtes-vous actuellement confrontés pour promouvoir et développer la langue française dans votre pays d’exercice ? 

Isaline : Le défi principal est la sensibilisation aux besoins en formation des professeurs. Un travail est également à fournir pour faire prendre conscience aux apprenants du niveau attendu lors des certifications DELF – Diplôme d’Études en Langue Française – et DALF – Diplôme Approfondi en Langue Française. Le taux d’échec à l’examen est assez important.

L’autre défi majeur est de couvrir les besoins en apprentissage de la population étrangère présente – notamment militaire –, afin qu’elle puisse communiquer avec les locaux. Il y a un enjeu de fidélisation auprès des représentants pour que des formations s’inscrivent sur le long terme dans les bases militaires. Il s’agit d’un public présent sur des périodes courtes – trois à six mois –, il est donc important de pérenniser les cycles de formation.

Romuald : Le premier défi à relever est celui de savoir sélectionner ses défis. Il faut parvenir à prioriser nos missions car on ne peut pas travailler sur tout malgré notre motivation et notre enthousiasme. Il est important également de fédérer tout le monde autour d’objectifs communs. Sur les douze responsables des Centres de langue, les envies et les réalités de terrain sont parfois très différentes. Un autre gros challenge en interne est de faire réseau pour maximiser l’impact de nos actions. Tout marche mieux si l’on est coordonnés et qu’on avance de front. En externe, le défi est de convaincre nos publics, ainsi que ceux qui ne sont pas encore nos publics, que le français est une langue d’avenir, que l’Institut français est un partenaire pour l’avenir. 

L’enjeu stratégique de fond est de passer d’une logique réceptive – où le public venait nous voir sans que nous ne fassions de gros efforts en termes d’attractivité –, à une logique de conquête. C’est une situation assez récente pour l’IF Maroc. Cela change les façons de travailler, les angles d’approche, et il faut que ce changement s’opère à la fois dans l’organisation de nos services comme dans les pratiques professionnelles individuelles, sur l’ensemble du réseau de l’IFM. 

Depuis septembre 2023, nous avons lancé une stratégie de communication digitale concernant les activités de nos centres de langue.

Pourriez-vous nous partager un projet impulsé ou en voie d’être développé afin de renforcer l’attractivité de la langue ? 

Isaline : Dix jours après mon arrivée, j’ai constitué, avec le Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle(COCAC), le projet « Sport et langue », en résonance avec les JOP 2024. Notre volonté était de coopérer davantage avec les institutions éducatives locales pour donner envie aux enfants d’aimer le français. À Djibouti, la langue française est la langue de l’éducation, mais elle n’est pas parlée au quotidien dans les foyers familiaux. Nous avons voulu montrer qu’elle pouvait sortir du cadre scolaire, qu’on pouvait aussi s’amuser en français.

On a donc construit un projet de commentateur sportif, qui a été soutenu par le Fonds Langue Française 2024 – Appel à projets piloté par l’Institut français Paris. On a proposé des ateliers de rédaction d’articles de presse sportive, de création autour des valeurs de l’Olympisme. 

Nous portons ce projet comme témoin de quelque chose qui peut être plus grand et, pourquoi pas, pérennisé avec le support des autorités locales. C’est une porte ouverte pour renforcer nos liens. 

Romuald : Depuis septembre 2023, nous avons lancé une stratégie de communication digitale concernant les activités de nos centres de langue, avec une mise en œuvre opérationnelle. Pour cela, on a fait appel à un prestataire externe, qu’on a appris à connaître, et qui apprend aussi à nous connaître : notre offre, notre métier, l’essentiel de nos missions. Notre monde est souvent un peu étranger aux agences de communication locales, qui ont l’habitude de fournir des prestations à des entreprises dans des domaines plus classiques de vente de produits. Notre produit à nous, c’est la formation. Il s’agit d’un produit spécifique, qualitatif, qui engage les gens sur du long terme. Ce peuvent être de vrais projets de vie lorsque des étudiants suivent une formation linguistique pour pouvoir poursuivre leurs études en France ou dans un pays francophone.

Concrètement, en termes de performance sur le réseau, cette stratégie nous a permis de gagner en quatre mois près de dix mille abonnés sur nos réseaux sociaux, qui sont donc rentrés dans notre tunnel de ventes. Chacun de nos posts ou presque nous permet de créer un lien vers notre site web, qui a dû devenir marchand, ce qu’il n’était pas auparavant. On a donc effectué une refonte de nos pages de cours et certifications pour que la navigation et l’acte d’achat soient simplifiés. Aujourd’hui la structure de nos pages est bonne, nous sommes contents. Mais il nous reste encore pas mal de travail afin d’améliorer la conversion en ligne : pour les certifications nous sommes bien, pour les cours nous sommes bien mieux qu’auparavant, mais il nous reste du chemin à faire. 

Tout ce que l’on met en place se fait dans une démarche d’amélioration continue. Et même si nous souhaiterions pouvoir aller plus vite -sur ce projet spécifiquement ou d’autres-, nos sujets sont nombreux : certains projets passent ponctuellement en priorité par rapport à d’autres… 

J’ai vraiment été marqué par notre visite de l’exposition permanente de la Cité internationale de Villers-Cotterêts. Je pense qu’il y a un peu de génie dans la tête des commissaires qui ont créé cette exposition.

Que vous a apporté votre participation au Séminaire Langue française 2024 ? 

Isaline : 

Étant en Volontariat International, il s’agit de ma première opportunité de participer au Séminaire Langue Française. Ce qui m’a motivée à candidater, c’est la perspective d’obtenir davantage d’outils pour renforcer la coopération avec le MENFOP – le ministère de l’Éducation de Djibouti. Je souhaitais également rencontrer mes collègues, sentir que je ne suis pas la seule à porter ces enjeux. 

J’ai appris beaucoup de choses lors de ces trois journées à Paris et Villers-Cotterêts. Je repars avec la perspective de valoriser les ressources en ligne mises à disposition par l’Institut français auprès de la communauté enseignante.

Romuald : 

C’est la deuxième ou troisième fois que je participe à ce format de rencontres. À chaque fois, je trouve que c’est un vrai moment d’échange, de partage d’expériences et de bonnes pratiques avec les collègues. Les rencontres sont toujours très riches. Humainement, c’est aussi le plaisir de retrouver des collègues qui sont devenus parfois des amis et que l’on n’a pas croisés depuis longtemps. 

Concernant cette édition, j’ai vraiment été marqué par notre visite de l’exposition permanente de la Cité internationale de la langue française. Je pense qu’il y a un peu de génie dans la tête des commissaires qui ont créé cette exposition. J’ai été assez bluffé. C’est extrêmement stimulant. Quand on parle de réfléchir à comment cette exposition va pouvoir se diffuser dans le réseau, ça donne envie de faire partie de l’équipe qui va se gratter la tête sur ce sujet. 

L'institut français, LAB