Diriger un centre de langue : Magaly Losange (IF du Nigéria) et Romain Chrétien (IF de Roumanie)
Magaly Losange est Attachée de coopération pour le français (ACPF) et Directrice déléguée de l’Institut français du Nigéria. Romain Chrétien est Directeur national des cours et des examens à l’Institut français de Roumanie. Nous les retrouvions à Paris, en mars 2024 à l’occasion du Séminaire Langue française organisé par l'Institut français. Ils nous offrent un tour d’horizon des missions, objectifs et défis liés à la promotion et à l’enseignement du français au sein du réseau culturel français à l’étranger.
Mis à jour le 20/06/2024
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En quoi consistent vos missions quotidiennes ?
Magaly : Mon poste d’ACPF et de Directrice déléguée demande de porter une double casquette, et donc il y a rarement des missions qui se ressemblent. En tant qu’ACPF, je dirais que les deux principales missions sont la coopération éducative et linguistique, avec des acteurs qui sont essentiellement des ministères de l’Éducation, puisque le Nigéria est un pays fédéré : 36 États, donc 36 ministères. Nous essayons de collaborer plus étroitement avec une dizaine d’entre eux pour accompagner la formation des enseignants, l’équipement des écoles et, de manière plus globale, les campagnes de plaidoyer pour le rayonnement de la langue française.
De l’autre côté, les missions liées à direction déléguée de l’Institut français relèvent essentiellement du marketing. L’objectif est de développer l’offre de cours au sein de l’Institut français du Nigéria.
Et puis il y a une troisième casquette, qui est la coordination des 10 Alliances Françaises réparties un peu partout dans le pays. On essaie actuellement de se coordonner pour mettre en place la démarche qualité. Nous travaillons à créer une communication globale et partagée.
Concernant mes motivations, je me souviens que quand j’ai répondu à l’offre d’emploi, j’avais plusieurs possibilités, et celle-ci était la seule qui faisait le lien entre le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France et un Institut français. Ce qui m’a plu, c’est la perspective d’être en contact avec le public, de tester directement auprès des apprenants de l’Institut tout ce qui doit être mis en place dans un contexte d’apprentissage et d’enseignement du français.
Ce qui me motive aussi, c’est cette énergie qui caractérise le Nigéria, qui n’est pas un pays facile, qui est un pays qui peut faire peur, mais dans lequel tout est possible. On a des partenaires qui sont extrêmement dynamiques et réceptifs. En très peu de temps, on peut voir l’impact de ce que l’on fait.
Romain : Mon quotidien, c’est du pilotage : pilotage de projets, pilotage de stratégies, pilotage d’équipes. J’apprécie particulièrement cette casquette de pilote, parce qu’elle implique que l'on avance ensemble. Le pilote seul ne peut pas aller bien loin si derrière il n’y a pas une équipe qui est formée, compétente et motivée.
Dans le détail, ma mission principale est de réfléchir à une stratégie pour promouvoir l’offre de cours de langue française proposée par l’Institut français de Roumanie. Nous sommes sur quatre villes, situées dans quatre zones bien identifiées, et nous travaillons à développer une réflexion davantage nationale. On a le besoin de se détacher quelque peu des contraintes locales pour se concentrer sur les composantes d’une offre de cours innovante en 2024. C’est notre principale question, et mon travail est d’y répondre.
À quel(s) défi(s) majeur(s) êtes-vous actuellement confrontés pour promouvoir et développer la langue française dans votre pays d’exercice ?
Magaly : Si je reviens sur l’une des missions principales – la coopération éducative et linguistique –, la plus grosse difficulté relève de la conjoncture actuelle du pays, où l’éducation est un secteur en crise. Il y a très peu d’investissements, très peu de volonté politique d’accompagner et d’aider les écoles publiques, avec en parallèle un problème de déscolarisation massif lié à l’insécurité. En réaction, on observe que le système privé est très performant, avec des établissements qui sont d’un niveau égal à ce qu’on pourrait voir aux USA ou dans les pays nordiques.
Nous devons être en capacité perpétuelle de jongler et d’adapter nos discours par rapport à ces deux contextes. Pour en revenir au système public, quand tu fais face à de telles carences, montrer l’importance de la langue française alors que tout manque est aussi un grand défi.
Romain : La Roumanie est une zone francophone, une terre francophone. Il y a de la francophonie et de la francophilie donc ça semble tout de suite très simple. C’est même acquis. Et en fait, c’est le danger. Puisque c’est acquis, le public ne se pose plus la question de pourquoi le français ou la francophonie, et il perd là un peu d’intérêt pour le sujet. Il y a un manque de projection sur le long terme.
Notre volonté, c’est de faire prendre conscience aux jeunes publics que ce n’est pas parce qu’ils sont en Roumanie qu’ils auront un accès facile et inné à la langue. Le système scolaire leur facilite l’accès, le système universitaire parfois aussi ; le réseau des Instituts français et des Alliances Françaises est là pour leur offrir une ouverture à la langue française et aux cultures francophones. Nous voulons leur dire : « Sautez sur ces opportunités, allez-y ! ».
Nous parlions ce matin (lors du Séminaire Langue française organisé à Paris par l'Institut français), autour d’une table ronde, de l’impact de l’espagnol qui est très fort et qui est perçu comme une langue moderne, mais c’est une réflexion à court terme. En Roumanie, les opportunités professionnelles se trouvent grâce à la langue française et ça, c’est miser sur le long terme.
Pourriez-vous nous partager un projet impulsé ou en voie d’être développé afin de renforcer l’attractivité de la langue ?
Magaly : Nous avons un projet Création Africa, qui nous permet d’avoir des écoles pilotes dans cinq états. Il a débuté l’année dernière et devrait s’achever en décembre. Avec ces écoles pilotes, on essaie de créer un cadre idéal d’enseignement et de diffusion du français. Cela se fait au moyen de la formation des enseignants – en France et, régulièrement, au Nigéria –, de l’achat de manuels et d’équipement informatique.
L’idée, à l’issue de ce projet, est de présenter les résultats, de montrer l’impact et de convaincre autant que possible les ministères de l’Éducation de ces États de poursuivre le travail entamé et ce, de manière plus large, pour inspirer les autres États à faire la même chose avec leurs propres moyens, même s'ils sont limités.
Romain : En tant que directeur de centre de langue, mes objectifs sont très axés sur la pédagogie.
Un de nos projets actuels est de rénover totalement notre offre de cours en ligne. Il y a un vrai besoin en Roumanie, puisqu’on ne touche pas une grande partie de nos cibles qui se situent en dehors de nos villes de résidence. Nous sommes sur quatre villes, auxquelles il faut ajouter cinq Alliances françaises. Le réseau couvre neuf axes urbains assez importants, mais il exclut un potentiel public que l’on touche très difficilement aujourd’hui. Un travail assez conséquent est actuellement fourni pour les cibler et répondre à leurs besoins au moyen d’une offre de cours en ligne caractérisée par sa souplesse et son dynamisme. C’est une proposition innovante, 100 % dématérialisée, forte de ressources très créatives qui va séduire la jeunesse grâce à son caractère novateur.
Il y a quelque chose à développer sur l’offre en ligne, c’est là où l’on peut mettre ce qu’on attend de nous. Le côté « nouvelle langue française » passera par ce prisme-là.
Dans nos salles de cours, on sait faire. On sait utiliser des tableaux blancs interactifs (TBI), on sait acheter du mobilier attractif, on sait intégrer du ludique... ce qui n'est pas toujours le cas en distanciel, même si on a appris beaucoup de choses grâce ou à cause de la pandémie. Nous sommes allés très vite en peu de temps donc il faut rentabiliser cela. Je pense qu’il y a aussi un public qui a pris goût à l’innovation mise en œuvre ces dernières années, et je pense que maintenant on peut aller encore plus loin. Il ne faut pas se reposer sur ce qu’on a fait entre 2020 et 2024 dans le réseau. On a réussi à faire cela, mais on peut faire encore mieux, et c’est ce que je voudrais démontrer avec cette nouvelle offre de cours en ligne.
Que vous a apporté votre participation au Séminaire Langue française 2024 ?
Magaly : Ce qui m’a motivée, c’est que j’avais pu deviner que certaines personnes présentes seraient des collègues avec lesquels je souhaitais échanger depuis très longtemps. Je me suis dit que c’était une occasion unique de les rencontrer.
C’était la première fois que je participais au Séminaire Langue française, et je suis très contente d’être venue. Je repars avec beaucoup d’idées et surtout, je repars avec un sentiment de fierté, qui est rattaché à toute cette coopération qu’on met en place sur nos territoires respectifs.
Au quotidien, on peut s’interroger sur l’impact et l’intérêt de ce qu’on fait, et j'ai vraiment senti, durant ce séminaire, quelque chose qui m’a portée et qui je l’espère va continuer à me porter.
Romain : C’était ma première participation car j’ai rejoint le réseau il y a un an et demi. J’ai voulu prendre part à ces rencontres car j’avais besoin de respirer, de m’asseoir, de prendre le temps de faire une pause et de m’interroger sur ce que je fais. Et puis j’avais l’envie de partager ça avec les collègues parfois croisés au sein de webinaires ou avec qui j'ai des échanges à distance.
Partager, c’est le mot. On parle beaucoup d’ « Équipe France » dans nos postes, et ce matin, quand on a joué à définir ce qu’on ressentait au terme de ces trois jours de Séminaire, j’ai osé le mot « Famille ». On est aussi une « Famille France », avec des pays extrêmement proches ou éloignés géographiquement, mais partageant les mêmes questions autour de la langue française.