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Dora Bouchoucha, marraine de la 15ème édition de la Fabrique Cinéma de l'Institut français

Le travail réalisé par la Fabrique Cinéma depuis quinze ans est formidable, c’est un tremplin extraordinaire.

Productrice et figure majeure du cinéma tunisien et international, Dora Bouchoucha est la marraine de la 15ème édition de la Fabrique Cinéma de l’Institut français, dans le cadre du Festival de Cannes. 

Mis à jour le 17/05/2023

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Dora Bouchoucha
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© Mustapha Azab

Vous êtes productrice de films depuis 1994. Comment vous êtes-vous engagée dans cette voie ? 

Dora Bouchoucha : Au début, je n’avais pas du tout en tête de devenir productrice. Je suis enseignante, je viens de la littérature, et c’est d’ailleurs peut-être pour cela que je suis restée très engagée dans cet aspect du cinéma : le texte. J’ai commencé en traduisant des sous-titres, des scénarios, avant de travailler avec l’un des plus grands producteurs tunisiens, Ahmed Attia, pour qui je lisais des scénarios, comme Les Silences du palais de Moufida Tlatli. Un jour, j’ai lu un scénario qui me plaisait beaucoup mais qui ne l’intéressait pas, j’ai donc décidé de le produire moi-même. 

 

Votre action en faveur du cinéma émergent, et en particulier des cinémas tunisiens et africains, vous a valu de nombreux hommages et récompenses. Que vous inspire tout ce chemin accompli ? 

Dora Bouchoucha : Ce qui m’intéresse, c’est l’accompagnement, en particulier en ce qui concerne le travail sur le texte. La qualité du scénario reste en effet pour moi l’une des meilleures garanties pour obtenir un bon film. C’est pour cela que j’ai monté les ateliers Sud Écriture en 1997, ce qui a causé un peu d’incompréhension à l’époque car l’écritn’était pas beaucoup valorisé dans le cinéma. Finalement, nous avons aujourd’hui de plus en plus de demandes, et beaucoup de films que nous avons accompagnés ont fait leur chemin, ont été sélectionnés à Cannes, à Venise ou à Berlin, avant de sortir en salle. Cela fait ainsi une bonne dizaine d’années que les cinémas africains et arabes connaissent une dynamique ascendante, avec quatorze films programmés cette année au Festival de Cannes. À un niveau plus personnel, je suis également très heureuse de voir qu’avec ma collègue Lina Chaabane, plusieurs films que nous avons accompagnés à travers des ateliers Sud Écriture, sans pour autant les produire, sont programmés à Cannes. C’est un processus qui dure parfois de trois à quatre ans. Sur un continent où il n’y a pas beaucoup d’écoles de cinéma, il est important de rencontrer des figures qui nous permettent d’avancer, comme c’était mon cas avec Ahmed Attia, qui m’a beaucoup aidée. La récompense de ce travail, c’est de voir autant de talents émerger à travers cette génération. 

Ce qui m’intéresse, c’est l’accompagnement, en particulier en ce qui concerne le travail sur le texte. La qualité du scénario reste en effet pour moi l’une des meilleures garanties pour obtenir un bon film.

Vous êtes la marraine de la 15ème édition de la Fabrique Cinéma de l’Institut français, un programme de repérage et de valorisation de cinéastes et producteurs des pays du Sud et émergents. 10 projets de longs-métrages de fiction recevront, durant le Festival de Cannes, un accompagnement sur mesure. Comment vous inscrivez-vous dans ce programme et quel est votre rôle auprès des réalisateurs et producteurs ? 

Dora Bouchoucha : Le travail réalisé par la Fabrique Cinéma depuis quinze ans est formidable, c’est un tremplin extraordinaire. Une dizaine de binômes composés de réalisateurs et de producteurs bénéficieront d’un accompagnement qui est crucial, et qui correspond à ce que j’essaye de faire depuis des années à travers différents labs, comme Sud Ecriture, le Ouaga Film Lab et d’autres. Il s’agit de leur mettre le pied à l’étrier pour que ces jeunes originaires du Sud puissent se frayer un chemin dans un milieu qui n’est pas facile quand on est débutant. 

C’est un programme à la carte qui les familiarise avec toutes les étapes de la fabrication d’un film. Ils vont voir beaucoup d’intervenants qui vont les encadrer mais en tant que marraine je serai leur mentor principal et je vais partager avec eux mon expérience en espérant que cette rencontre leur sera bénéfique. 

Ce sont des talents qui expriment une nouvelle vision du monde qui leur est propre, et il est important de travailler avec eux sur leur intention première, sans qu’il n’y ait de recette magique sur la bonne façon de raconter une histoire. Une fois que l’intention est maîtrisée, le reste est plus facile. 

 

Parmi les projets sélectionnés par la Fabrique cinéma de l’Institut français, se trouve un long-métrage tunisien (Le Procès de Leïla de Charlie Kouka, produit par Cyrine Sellami (Nomadis Images). Comment la situation du cinéma tunisien évolue-t-elle ces dernières années ? 

Dora Bouchoucha : Je suis la coproductrice de ce beau projet dont nous avons accompagné l’écriture. C’est un film intéressant, qui raconte l’histoire d’une sorte de Jeanne d’Arc tunisienne qui utilise une lecture très intelligente de sa religion, l’islam, pour s’affranchir et s’affirmer. 

En ce qui concerne la situation plus globale du pays, malgré de nombreuses difficultés, le cinéma tunisien connaît actuellement un dynamisme très important. En revanche, certaines lois dans le pays qui datent des années 60 doivent être changées, parce qu’elles entravent le travail des  cinéastes. L’obligation d’avoir une carte professionnelle pour obtenir tout simplement une autorisation de tournage, est par exemple une aberration. La législation qui concerne le cinéma en général doit être profondément modifiée, pour faciliter le dynamisme de notre beau cinéma. 

Malgré de nombreuses difficultés, le cinéma tunisien connaît actuellement un dynamisme très important.

Au sein de la sélection, on retrouve également un long-métrage nigérian, une première pour la Fabrique. Quel regard portez-vous plus globalement sur le cinéma africain aujourd’hui ? 

Dora Bouchoucha : Nous avons déjà accompagné, dans le cadre du Ouaga Film Lab un film nigérian : Mami Wata, une belle œuvre de C.J. 'Fiery' Obasi, qui a gagné plusieurs prix. Petit à petit, un cinéma indépendant se structure au Nigeria, très différent des productions Nollywood qui se diffusent sur le continent. Plus largement, les films africains sont de plus en plus nombreux dans les grands festivals internationaux. Auparavant, ce cinéma se limitait à quelques noms connus, comme Idrissa Ouedraogo, Souleymane Cissé, Mahamat Saleh Haroun ou Abderrahmane Sissako. Mais ces dernières années, en partie grâce à des initiatives professionnalisantes comme le Ouaga Film Lab, Sud Ecriture, de plus en plus de projets se frayent un chemin jusqu’aux plus grands festivals. Il est important que des figures émergent, ce qui permet ensuite l’apparition de fonds au niveau des États. C’est par exemple ce qui s’est passé au Niger avec Aïcha Macky, ou au Sénégal avec Alain Gomis, où des fonds d’aide ont récemment été mis en place grâce à leur succès. 

 

Avez-vous d’autres projets sur lesquels vous travaillez actuellement ? 

Dora Bouchoucha : Je travaille en binôme avec ma collègue Lina Chaabane. Nous produisons peu de films, mais toujours dès les prémisses de chaque projet. Nous travaillons ensuite en étroite collaboration avec le réalisateur ou la réalisatrice, que nous suivons pour certains d’entre eux depuis près de vingt ans. C’est le cas de Raja Amari ou de Mohamed Ben Attia, dont nous accompagnons actuellement le dernier film, Les Ordinaires. Nous travaillons aussi en ce moment en tant que coproductrices, sur un film du réalisateur algérien Karim Moussaoui et du réalisateur égyptien Morad Mostafa dont le dernier court-métrage est sélectionné cette année à la semaine de la critique. 

L'institut français, LAB