Vous êtes français mais vous êtes installé à Rosario. Quel est votre parcours et comment avez-vous découvert l’Argentine ?  

Dans le cadre de mon master « Coordinateur de projet de solidarité internationale et locale », j’ai passé un an en Roumanie au sein d’une fondation qui vient en aide aux enfants des rues. J’y ai rencontré mon conjoint Argentin, qui lui travaillait pour une autre ONG. C’est comme cela qu’a débuté mon histoire avec l’Argentine, où j’ai décidé de m’installer après avoir terminé mon master en France. 

Un peu plus tard, en 2017, j’ai effectué un voyage en Bolivie où l’on m’a parlé du deuxième plus grand lac asséché et disparu au monde, le lac Poopó. J’ai tout de suite été intrigué, car avant mon Master j’avais obtenu un BTS en gestion et maîtrise de l’eau. En m’intéressant à ce lac et sa disparition, j’ai rencontré un ancien pêcheur et le Président de la fédération des coopératives de pêche du lac. Je me suis alors fait passer pour un photo-journaliste, ce qui était complètement faux, et ensemble nous avons fait le tour du lac en passant par les différents villages qui s’y trouvent. Les orphelins du Poopó : récits d’un lac disparu, mon premier projet photographique, est né de cette aventure. 

Jusqu’alors je faisais de la photographie, notamment lors de mes voyages, mais il s’agissait seulement d’une passion. Une exposition et un livre sont nés de ce projet Les orphelins du Poopó, avec le soutien de la maison d’édition argentine Listocalisto, ce qui m’a donné la confiance et la légitimité pour traiter d’autres thématiques. 

Justement, pouvez-vous nous présenter votre projet Sport Friendly qui intéresse particulièrement l’Institut français et le réseau culturel français à l’étranger ?  

En 2019 j’ai découvert les Yaguaretés, une équipe multisports basée à Rosario. Elle accueille toutes les diversités et crée un espace où elles peuvent s’exprimer. Les entraînements se font d’ailleurs dans l’espace public, ce qui permet de fonctionner sans aucune cotisation et donc de supprimer cette première barrière à l’entrée pour les plus défavorisés. J’ai trouvé le club des Yaguaretés et sa démarche fantastiques. Je me suis senti bien au sein de cette équipe, avec laquelle j’ai pu apprendre le volley même si je n’étais pas très bon au départ. 

A travers les Yaguaretés, j’ai ensuite découvert que d’autres clubs partout en Argentine partagent les mêmes valeurs. Ce sont des équipes portées par des membres de la communauté LGBT, mais ouvertes à toutes et tous. A travers le prisme LGBT, j’ai donc pu traiter de la diversité au sens large car les joueuses et joueurs sont hommes, femmes, non-binaires, transgenres, homosexuels, hétérosexuels, petits, grands, en situation de handicap, de toutes les corpulences, de tous les milieux sociaux…

J’ai eu envie de rendre ces équipes plus visibles en développant un projet à l’échelle nationale. En même temps que je jouais au volley avec eux, j’ai commencé à photographier les Yaguaretés et à travailler l’esthétique du projet Sport Friendly : un flash, à la manière d’un coup de projecteur sur les joueurs, leur identité et leurs revendications sociales. Par la suite, je me suis mis à voyager dans toute l’Argentine à la rencontre d’autres équipes sportives portées par des membres de la communauté LGBTQI+. 

En tant qu’artiste, il est important pour moi de travailler des thématiques qui me touchent et me concernent directement. Avant ce projet, j’avais toujours détesté le sport, particulièrement la logique compétitive qui est enseignée à l’école. Puisque je n’étais pas bon élève en sport, même mes propres amis ne me voulaient pas dans leur équipe par peur d’avoir une mauvaise note à la fin du trimestre. Grâce au projet Sport Friendly, j’ai désormais trouvé ma place sur les terrains de sport. Pas nécessairement comme joueur, mais sinon comme photographe. 

A l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques 2024, l’Institut français s’associe à vous pour décliner le projet Sport Friendly et proposer au réseau culturel français à l’étranger de créer de manière collaborative un album et une exposition internationale. Comment cela se passe-t-il concrètement ?  

Les discriminations n’ont malheureusement pas de frontières et on retrouve des équipes inclusives dans de nombreux pays, du moins lorsque la législation le permet. L’idée est donc de faire résonner le projet plus largement, avec 18 Instituts français et Alliances Françaises à travers 13 pays. Chaque établissement va identifier une équipe inclusive de sa ville et recruter un photographe pour photographier les joueuses et joueurs « à la manière Sport Friendly. » Pour ce faire, je mets à disposition un cahier des charges afin de garantir l’esthétique du projet.

Mon équipe et moi-même éditerons un album et créerons une exposition internationale avec l’ensemble des photographies et témoignages. Tous les établissements participants pourront recevoir l’exposition et la présenter dans leurs locaux ou dans des institutions partenaires. C’est un projet que je n’aurais pas forcément pu développer seul, l’appui du réseau culturel français à l’étranger est absolument nécessaire à la réussite de ce projet ! 

Je suis assez inspiré par l’artiste JR et son projet Inside out, qui permet à tout le monde de partager un portrait et un message via une plateforme mondiale. A ma façon, avec la déclinaison de Sport Friendly je crée également un projet international collaboratif, qui rejoint mon leitmotiv : la culture pour la transformation sociale. 

J’aime travailler sur des séries et des concepts, réfléchir au message que je veux porter avec mes photographies. Mes travaux ont pour point commun de créer un espace de dialogue, que ce soit autour de la question environnementale avec Les orphelins du Poopó ou autour des diversités pour Sport Friendly. Je souhaite inviter les sphères culturelles, politiques, mais aussi la société civile, à s’approprier mon travail pour faire naître une réflexion. 

Selon moi, les émotions constituent le cœur du travail d’un artiste. Elles passent à travers les photos, les témoignages et permettent d’initier un nouveau dialogue au sein des établissements du réseau et de leurs publics. En plus de recevoir l’album physique et l’exposition numérisée, chaque établissement aura accès à un kit pour l’aider à présenter et défendre l’exposition. Cela peut par exemple donner lieu à des conférences, comme je le fais souvent, qui mobilisent à chaque fois entre 150 et 300 personnes. La diversité est un sujet qui intéresse et mobilise ! 

A partir du mois de juillet, l’exposition créée avec les contributions du réseau sera disponible au format numérique et pourra être présentée partout dans le monde. Sport Friendly a déjà été présenté en Argentine et en Espagne. Quel est l’accueil généralement réservé au projet ? 

A sa sortie, le projet a essuyé des critiques et des propos LGBTphobes sur les réseaux sociaux. Il y a eu une importante couverture médiatique car j’ai présenté l’album Sport Friendly en marge de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Ce projet est indissociable du contexte dans lequel il s’inscrit. En présentant Sport Friendly en marge de la Coupe du monde, je voulais dire qu’en Argentine se jouaient d’autres jeux, « ceux de la diversité » si je puis dire, pendant qu’au Qatar se déroulait une Coupe du monde polémique pour les droits humains et les droits LGBT. 

Je veux voir le côté positif, y compris dans les critiques et propos LGBTphobes. Cela démontre que nous sommes sur la bonne voie, que nous touchons à un sujet sensible où d’immenses progrès restent à faire. 

En dehors de cela, le projet reçoit un accueil favorable et un soutien institutionnel important. Avec l’appui du Ministère argentin des femmes, du genre et la diversité, malheureusement disparu depuis l’élection du nouveau Président Javier Milei, j’ai eu la chance d’exposer au Centro Cultural Kirchner, le plus grand centre culturel public d’Amérique Latine. Mais aussi à Ushuaïa, dans la Province de Terre de Feu, où des ateliers autour des nouvelles masculinités et de la diversité dans le sport ont même pu être proposés avec le soutien du gouvernement provincial. Cela a permis de sensibiliser les futurs professeurs d’éducation physique et sportive dans les universités. 

Le soutien institutionnel se traduit aussi à travers ma collaboration avec l’Institut français et le réseau culturel français à l’étranger. Il est essentiel que les ambassades, les Instituts français, les Alliances Françaises partout dans le monde puissent accueillir des projets comme Sport Friendly et ainsi créer des espaces de dialogue pour aborder la thématique de la diversité. 

Le sport est politique. Il n’est plus possible de rester neutre comme certaines instances ont pu le faire lors de la Coupe du monde de football au Qatar ou les Jeux olympiques d’hiver à Pékin en 2022. Aujourd’hui rester neutre face aux discriminations, c’est déjà prendre position en réalité. 

Pour conclure, souhaitez-nous parler d’une autre actualité ? 

Actuellement je suis en résidence artistique à Quito, où je développe une édition Sport Friendly 100% équatorienne avec l’appui de l’Ambassade de France et du réseau des Alliances Françaises du pays ! L’exposition sera présentée à l’Alliance française de Quito en juin, avant de circuler dans les trois autres Alliances françaises d’Équateur et leurs institutions culturelles partenaires. Quant à l’édition Sport Friendly International, elle circulera dans de nombreux pays en marge des Jeux olympiques.