Erge Yu
Formée à la danse classique, la danseuse chinoise est arrivée France après avoir découvert la danse contemporaine. Erge Yu était en résidence à Paris en 2019 à la Cité internationale des arts. Elle y a créé un solo, MoLi. Erge Yu était en février au Centre Pompidou avec Sophie Perez et Xavier Boussiron pour Les Chauves-Souris du volcan.
Mis à jour le 04/03/2020
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Vous avez commencé la danse classique en Chine, puis vous êtes venue en France à 23 ans pour apprendre la danse contemporaine. Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser ce grand écart, à la fois stylistique et géographique ?
J'avais étudié le ballet classique et la danse traditionnelle pendant huit ans en Chine. En 2009, j’ai rencontré le chorégraphe Heddy Maalem, qui était venu chez nous monter son Sacre du Printemps, et j’ai commencé la danse contemporaine avec lui. J'ai tout de suite aimé cette façon de danser, plus libre, avec beaucoup plus de possibilités de création que je ne pouvais en avoir avec la danse classique. Je suis donc partie pour la France en 2010 pour le suivre. Comme j’avais encore quelques lacunes techniques, j’ai, sur ses conseils, commencé par approfondir ma formation de danseuse contemporaine au CDCN de Toulouse.
Comment aujourd'hui associez-vous ces deux façons de danser dans votre travail ?
Après m'être installée en France, j'ai étudié aussi d'autres formes de danse, comme le hip-hop ou le tai-chi... En tant que chorégraphe, je suis dans une recherche constante de ma propre manière de danser, qui mêle toutes les influences que mon corps a assimilées en tant qu'interprète. Même si la danse classique est moins présente dans mon travail – en tout cas consciemment –, ma mémoire corporelle, elle, la conserve encore.
La perception de la danse est-elle différente en France et en Chine ?
En France, et en Europe de façon générale, de très nombreuses formes de danse trouvent leur place sur les plateaux et le public accepte facilement cette diversité et ce mélange des genres. La recherche artistique y est aussi plus libre : depuis que je suis arrivée en France, je me plais à utiliser tous les médias possibles.
En Chine, la danse classique et la danse orientale dominent toute la scène artistique. La variété de styles est quasi inexistante. La danse contemporaine commence à se faire un chemin, mais elle a encore besoin de temps, de développement et d’ouvertures créatives.
Vous avez régulièrement travaillé en tant qu'interprète avec Sophie Perez et Xavier Boussiron, qui mêlent la danse et le théâtre. Que retenez-vous de ces expériences ?
Travailler avec Sophie Perez et Xavier Boussiron a complètement changé ma compréhension de l'art chorégraphique. J'ai pu grâce à eux beaucoup expérimenter : le théâtre, le travail sur l'improvisation, l’imaginaire, ou encore la musique. Ce travail m'a surprise et fait réfléchir sur la danse, et sur les arts en général. J'apprends beaucoup d’eux et nous continuons à travailler ensemble, notamment sur un prochain spectacle, intitulé Les Chauves-souris du volcan, qui sera présenté au Centre Georges-Pompidou en février 2020.
Après avoir été interprète, vous vous lancez dans la chorégraphie en 2016 avec votre pièce Hasard. Qu'est-ce qui a motivé ce désir de devenir créatrice ?
J'avais beaucoup d'inspiration dans ma tête et dans mon cœur. Cette envie de mettre toutes ces idées sur scène, à ma façon, a été la plus forte, et je me suis mise à chorégraphier, en 2016, à mon retour en Chine, après ma formation au CDCN de Toulouse. J'y ai retrouvé des amis danseurs, et j’ai voulu créer une pièce sur la relation entre des personnes qui se séparent puis se réunissent, née de mon expérience de danseuse chinoise partie en France, puis rentrée chez elle.
Votre dernière pièce, MoLi, est née pendant votre résidence à Cité internationale des arts à Paris. Comment cette expérience a-t-elle permis de mûrir votre projet chorégraphique ?
La Cité internationale des arts m'a énormément aidée en mettant un studio de danse à ma disposition. J’y ai fait venir des amis chorégraphes et artistes, et également d’autres artistes résidents de Cité internationale des arts. Nous avons beaucoup discuté et cela m'a permis d'ajuster mon travail et mes pistes de réflexion. Comme je suis à la fois chorégraphe et interprète de MoLi, ce n'est toujours évident d'avoir du recul sur mon travail.
Quel est le sujet de la pièce ?
C'est une pièce qui parle des femmes, de leur statut dans notre société comme de leur monde intérieur. MoLi est toujours en cours de conception, tout n’est pas arrêté. Au jour d’aujourd’hui, j’imagine qu’elle prendra la forme d’un dialogue entre une vieille femme et la jeune femme qu’elle a été. Ces deux figures font naître des actions, des structures, des transitions. Dans le geste, je souhaite trouver un mouvement unique, simple et juste pour faire parler ces deux personnages.
Je suis très heureuse de retrouver la scénographe Camille Rosa sur ce solo. Elle a observé de nombreuses répétitions et nous avons beaucoup discuté. Elle a mis en place un décor très simple, composé de miroirs, d'un vieux fauteuil et de fleurs séchées. Nous allons jouer cette pièce sur quelques dates en France en 2020, et peut-être en Chine.
Comment cette double culture franco-chinoise vous nourrit-elle ?
Mes voyages entre la France et la Chine m'ont permis de mieux comprendre un certain nombre de différences culturelles et de m'en servir ! J'aime la culture chinoise, et l'entraînement physique pratiqué en Chine est très formateur. Mais j'aime aussi la manière de travailler en France, plus ouverte, plus libre. Mes années à Toulouse et Paris m'ont permis de grandir en tant qu'artiste, de mûrir dans mes performances et de trouver mon propre style. Alors je mélange le tout et garde le meilleur. Et j’espère pouvoir continuer à monter des performances dans les deux pays.
Lauréate du programme de résidences de l'Institut français à la Cité internationale des arts, Erge Yu a effectué sa résidence à Paris en 2019. En savoir + sur le programme de résidences à la Cité internationale des arts