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Eric Minh Cuong Castaing signe une collaboration avec le collectif ougandais Waka Starz

Dans WakađŸ‘ïž, il y a diffĂ©rents types d’images qui interviennent sur scĂšnes, des films mixant kung fu, effets manga et satires politiques, des tutoriels musicaux rĂ©alisĂ©s en direct inspirĂ©s de TikTok.

Eric Minh Cuong Castaing et sa compagnie Shonen signent Waka👁, en collaboration avec le collectif ougandais Waka Starz. Un spectacle qui ouvre, grĂące Ă  la visioconfĂ©rence, une fenĂȘtre entre deux mondes qui entrent en dialogue par l’intermĂ©diaire du chant et de la danse. Pour dĂ©velopper ce projet, Eric Minh Cuong Castaing s’est rendu en rĂ©sidence en Ouganda, avec le soutien de l’Institut français – Danse Export. 

Il a Ă©galement Ă©tĂ© laurĂ©at de la Villa Kujoyama, en duo avec Anne-Sophie Turion. Cette annĂ©e, ils prĂ©senteront Hiku, le spectacle crĂ©Ă© durant leur rĂ©sidence au Japon, durant le Festival d'Automne Ă  Paris. 

Mis Ă  jour le 02/08/2023

5 min

Image
Eric Minh Cuong Castaing
Crédits
© Kamila K Stanley

Pourriez-vous nous parler de votre parcours, qui mĂȘle cinĂ©ma, numĂ©rique et danse ? 

Eric Minh Cuong Castaing : BasĂ© Ă  Marseille, je suis chorĂ©graphe, artiste visuel, et directeur artistique de la compagnie Shonen, que j’ai fondĂ©e en 2008. J’ai d’abord commencĂ© par travailler pendant dix ans dans le cinĂ©ma d’animation, tout en pratiquant la danse hip-hop. Je suis nĂ© dans le 93, et j’ai pratiquĂ© cette danse de maniĂšre empirique dans des lieux non-consacrĂ©s comme des gares, des gymnases, toujours Ă  travers une certaine idĂ©e de la relation Ă  l’autre par la danse : tu me donnes un geste et je te rĂ©ponds. J’ai ensuite rencontrĂ© des danses contemporaines, comme la danse-contact et la danse butĂŽ. J’ai ensuite dĂ©cidĂ© de croiser ces deux pratiques, notamment en rĂ©flĂ©chissant au rapport entre la scĂšne et les technologies, Ă  l’aide de robots humanoĂŻdes, de drones, d’installations vidĂ©o. Le deuxiĂšme aspect important de ma compagnie aujourd’hui ce sont les pratiques in situ in socius, qui nous amĂšnent Ă  travailler avec des institutions en dehors du monde de l’art, comme des laboratoires de recherche, des hĂŽpitaux, des instituts mĂ©dico-Ă©ducatifs, des ONGs, ou tout simplement des artistes dont la pratique s’inscrit en dehors de nos modes de fonctionnement classiques. Ce sont souvent des cycles longs, d’environ trois ans par projet. 

 

La premiĂšre de votre prochain spectacle, WakađŸ‘ïž, aura lieu au ThĂ©Ăątre de la CriĂ©e, Ă  Marseille, le 23 juin prochain. C’est un « double-spectacle » qui va se dĂ©rouler en mĂȘme temps en France et en Ouganda. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

« Waka », qui signifie maison en luganda sera associĂ© Ă  chaque fois au nom du thĂ©Ăątre oĂč le spectacle sera jouĂ©. L’idĂ©e Ă©tant que les membres du collectif ougandais Waka Starz, originaires de la banlieue de Kampala, vont s’emparer de notre thĂ©Ăątre par le biais de la visioconfĂ©rence. La chanteuse Rachael M. sera prĂ©sente sur scĂšne en France et interagira ainsi avec les autres membres du collectif, en ouvrant une fenĂȘtre vers leur lieu de crĂ©ation musical et cinĂ©matographique. 

 

Comment avez-vous découvert Rachael M. et les Waka Starz ? Pouvez-vous nous raconter leur parcours si atypique, et nous parler de la relation de travail que vous avez établie avec eux ? 

C’est notre dramaturge, Marine Relinger, qui avait entendu parler d’eux Ă  travers le pĂšre de cette fratrie, Isaac Nabwana, qui a le studio de cinĂ©ma Wakaliwood, et qui avait notamment exposĂ© son travail au Palais de Tokyo et Ă  la Documenta de Kassel. Ses enfants forment une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’artistes qui sont baptisĂ©s les Waka Starz. Je les ai appelĂ©s il y a trois ans pour leur proposer une visioconfĂ©rence, et quand nous nous sommes connectĂ©s, tout un village nous a fait un concert qui a ensuite donnĂ© lieu Ă  une battle de danse entre eux et nous. Cette profusion de mouvements, cette relation qui se crĂ©e Ă  distance Ă©tait trĂšs Ă©mouvante, et soulevait aussi la question de la distance qui existe entre nos deux mondes. Tout cela faisait donc sujet. Cette crĂ©ation a ensuite Ă©voluĂ©, et aujourd’hui c’est un seul en scĂšne de Rachael M. qui se connecte Ă  ses frĂšres et sƓurs. 

Les Waka Starz sont ouverts sur beaucoup de pratiques, comme le kung-fu ou le yoga, et font preuve d’une vĂ©ritable capacitĂ© Ă  s’approprier diffĂ©rents genres, Ă  les transformer.

La dimension communautaire est trĂšs prĂ©sente dans ce projet, Ă  travers l’importance accordĂ©e Ă  la fratrie, Ă  la famille, au village. Comment avez-vous abordĂ© cet aspect, vous qui venez de l’extĂ©rieur ? 

Les Waka Starz ont l’habitude de travailler avec des artistes occidentaux. Leur pĂšre invite parfois des touristes blancs Ă  tourner des films qui sont des remakes de sĂ©ries B en forme de satire politique. Ses enfants ont dĂ©jĂ  beaucoup voyagĂ©, donc mĂȘme si nous venons d’univers diffĂ©rents il existe une comprĂ©hension mutuelle des enjeux liĂ©s Ă  la crĂ©ation contemporaine. Ils ont ainsi conscience de ce que leur pratique peut produire face Ă  un public qui est diffĂ©rent du leur. Il y a eu Ă©galement de ma part une vĂ©ritable immersion dans leur pratique, pour comprendre le sens artistique de leurs chansons, de leurs films, avec beaucoup d'Ă©changes pour qu’ils m’expliquent le rĂŽle de chaque membre de la famille, le sens de chaque parole, etc. Les Waka Starz sont ouverts sur beaucoup de pratiques, comme le kung-fu ou le yoga, et font preuve d’une vĂ©ritable capacitĂ© Ă  s’approprier diffĂ©rents genres, Ă  les transformer. Il a donc fallu trouver des Ă©chos, des points d’entente qui nous permettraient d’aboutir Ă  un processus de travail et de rĂ©pĂ©titions Ă  distance. J’ai Ă©galement travaillĂ© avec Rachael au plateau quand elle venait en France. 

 

Vous ĂȘtes parti en rĂ©sidence en Ouganda, avec le soutien de l’Institut français - Danse Export. Comment ce sĂ©jour a-t-il nourri le spectacle ? 

Il Ă©tait important de se rencontrer physiquement, contrairement Ă  certains projets oĂč je n’ai jamais pu me rendre sur place, par exemple Ă  Gaza. On a pu danser ensemble, j’ai pu apprĂ©cier leur cycle de travail et visiter leur salle de cinĂ©ma, leur studio de montage. Je leur ai aussi prĂ©sentĂ© mon travail, oĂč la fiction cinĂ©matographique se mĂȘle Ă  la danse, oĂč je montre des corps et des espaces invisibilisĂ©s, pour essayer de voir comment cela pouvait rĂ©sonner avec leur univers et avec leurs prĂ©occupations politiques. La dĂ©nonciation de l’oppression qu’ils subissent chez eux, qu’il s’agisse par exemple de violence sur les enfants ou sur les femmes, est une composante importante de leur identitĂ©. 

 

Votre pratique interroge aussi depuis longtemps la façon dont les nouvelles technologies changent notre rapport aux corps, Ă  la perception. Est-ce que cet aspect sera Ă©galement prĂ©sent dans WakađŸ‘ïž ? 

Chaque dispositif crĂ©e des modes de perception diffĂ©rents et des espaces d’autorisations formels singuliers. En ce moment, je travaille par exemple avec des robots de tĂ©lĂ©prĂ©sence sur un projet au Japon avec Anne-Sophie Turion, en collaboration avec des hikikomori qui interagissent depuis leur chambre. Ces personnes, qui vivent des formes d’empĂȘchement social, peuvent ainsi circuler et agir par l’intermĂ©diaire des robots, qui projettent de l'anthropomorphisme et favorisent un glissement entre l’humain et le non-humain. Tout cela crĂ©e des ambiguĂŻtĂ©s et ouvre une rĂ©flexion sur ce qui peut remplacer le vivant sur la scĂšne. Dans WakađŸ‘ïž, il y a diffĂ©rents types d’images qui interviennent sur scĂšnes, des films mixant kung fu, effets manga et satires politiques, des tutoriels musicaux rĂ©alisĂ©s en direct inspirĂ©s de TikTok. Tout cela permet de dĂ©construire un certain nombre de biais, sur ce que reprĂ©sentent souvent pour nous ces adolescents noirs vivant dans une rĂ©alitĂ© paupĂ©risĂ©e ougandaise. Alors que sur scĂšne apparait une libertĂ© formelle rare, qui explose joyeusement nos codes et notre dispositif du thĂ©Ăątre occidental. 

L'institut français, LAB