Éric Pessan
Auteur de romans, de théâtre et de fictions radiophoniques, Éric Pessan n'a de cesse de repousser les frontières entre les genres. Depuis son premier roman, L'Effacement du monde, paru en 2001, il s'est évertué à multiplier les projets et les collaborations avant de s'intéresser, depuis 2012, à la littérature jeunesse. Depuis septembre 2018, il travaille avec les « Classes culturelles numériques ».
Mis à jour le 20/06/2019
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En étudiant votre parcours d'écrivain, on est frappé par le caractère multiple de votre travail. Comment envisagez-vous la création littéraire ?
Quand j'étais adolescent, je rêvais d'être écrivain et je ne me suis jamais posé la question de savoir si je voulais être romancier, auteur dramatique ou poète. J'ai d'abord commencé par écrire du théâtre, puis j'ai publié un premier roman, et je suis revenu au théâtre. C’est l'écriture, au sens large, qui m'intéresse et je serais incapable d’enchaîner les romans année après année. Il existe aujourd’hui une vraie perméabilité entre les genres littéraires. J'ai l'impression de me régénérer en passant du roman à la poésie. J'ai envie de garder cette liberté, de tout me permettre.
Quels ont été vos projets les plus marquants dans votre recherche littéraire ?
J’ai écrit des romans qui respectent la règle des trois unités du théâtre classique et aussi des pièces de théâtre qui poussent à s'interroger sur la dramaturgie parce qu’on ne sait pas qui parle à qui. Ma première incursion dans la littérature jeunesse, à travers Plus haut que les oiseaux, je l’ai faite en réponse à une demande de mes enfants. Je me suis rendu compte à quel point j'avais pris du plaisir à l’écrire et ce livre a été un moment charnière. Je suis également très fier de mon Quichotte, autoportrait chevaleresque. On pourrait le décrire comme une synthèse de fiction, d’autobiographie et de réflexion autour de la littérature : il m'a permis d'être à la croisée de tous les chemins d'écriture.
La littérature jeunesse semble avoir pris le pas dans votre carrière ces dernières années…
Je suis venu à la littérature jeunesse pour partager la littérature avec mes enfants. Elle rassasie mon désir de roman et m'encourage à aller vers des formes plus aventureuses, plus hybrides dans la littérature générale. Je pense que les jeunes grandissent aujourd'hui dans un monde anxiogène, entre le réchauffement planétaire, les crises migratoires, le marasme économique et la montée des extrêmismes. Évidemment, la littérature n'apporte pas de réponse, mais j'ai l'impression d'avoir compris dans des livres de fiction des choses du monde et de moi-même. Lorsque j'adresse des romans à des adolescents, j'ai envie d'écrire des histoires où la solidarité a son importance, sans édulcorer la réalité qu'ils vivent quotidiennement. Nous renvoyer à nous-mêmes est l'un des vecteurs de l'art.
Vous participez au projet « Classes culturelles numériques » mettant en relation des classes d'apprenants de différents continents avec un écrivain. Que retenez-vous du lien tissé par ces élèves avec l'écriture ?
J'ai conçu l'atelier autour de la diversité et de questions comme « Qu'est-ce que l'autre ? Qu'est-ce que je sais et ne sais pas de lui ? À quel endroit va-t-il m'étonner ? » J'ai créé des exercices où se pose la question du regard : que voit-on lorsque l'on est lycéen en Nouvelle-Zélande, en Ukraine, en République Démocratique du Congo ? J'ai également demandé à chaque groupe d'aller lire la production des autres et nous avons fait un exercice, « Ce que je sais de toi », pour interroger les stéréotypes. Sur le Brésil, les non-Brésiliens ont évoqué la fête et la samba alors que les Brésiliens ont, au contraire, répondu avec un texte implacable sur leur sentiment d'oppression suite aux dernières élections ! Cet atelier représentait véritablement, pour eux, la possibilité de s'exprimer, de se raconter, mais aussi de lire l'autre et de dire qui l'on est.
Vous serez en Ukraine au mois de juin pour rencontrer l'une de ces classes. Est-ce essentiel pour vous de dépasser le simple échange numérique ?
Tout l'aspect de la transmission m'intéresse et, même si, sur un tel projet, il n'est pas possible de rencontrer tout le monde, l'absence d'échange verbal pose problème. Certains groupes peuvent s’essouffler et des conflits d’agenda existent, notamment du fait des vacances, différentes selon les pays – certains ont changé d'année scolaire en cours de projet. Nous vivons dans un monde où le numérique possède une grande place, mais il est rassurant de se dire que nous sommes des êtres humains et non des machines. La rencontre physique permet, dans le cadre d'un atelier, de s'ajuster en fonction de la personnalité des apprenants et de prolonger les discussions.
Que pensez-vous de l'omniprésence de l'écrit à l'heure d'internet ?
Le livre papier continue de résister, mais la lecture s'effondre. Pour lire, il faut se libérer du temps et, neurologiquement – comme le montrent certaines études –, il est compliqué de lire. Lire un livre, c’est-à-dire intégrer le symbole, le transformer en sens, générer des images mentales… : cela demande dix fois plus d'efforts au cerveau que de regarder des images ! Le livre a tout à gagner à se maintenir en papier, ne serait-ce que pour le réel que représente une librairie en regard de l'abstraction qu'est le téléchargement. Je ne pense pas que le numérique redonnera le goût de la lecture aux jeunes. Mais il faut trouver des moyens de leur montrer que la lecture est une chose désirable qui apporte la connaissance et le plaisir. Il faut les convaincre – et leur permettre – de prendre un livre entre leurs mains.
La plus grande peur de ma vie d’Éric Pessan fait partie des ouvrages jeune public sélectionnés en 2018 pour les « Pépites internationales », offre de littérature jeunesse proposée aux jeunes apprenants de français dans le monde.
Éric Pessan participe également aux « Classes culturelles numériques ». Lancée en septembre 2018, ce programme met en relation des classes d’apprenants de français des cinq continents avec un écrivain en résidence, en ligne et en classe, pendant 6 mois.