Fatou Kiné Sène
Présidente de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique, Fatou Kiné Sène s'engage afin de diffuser le cinéma africain à travers le monde. Elle nous parle de ses premières émotions cinématographiques, mais aussi de l'évolution du 7ème Art en Afrique.
Mis à jour le 04/11/2021
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Critique de cinéma et journaliste, vous êtes Présidente de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC). De quelle manière avez-vous découvert le cinéma ?
J'ai découvert le cinéma à l'école, à l'âge de 15 ans, lors d'activités extrascolaires. Une fois par mois, les mercredis après-midi, nous avions des projections de films et c'est là que j'ai pu découvrir le cinéma. Depuis toujours, je garde en tête le film d'Euzhan Palcy, Rue Cases-Nègres, qui m'avait beaucoup marqué à l'époque. Je me rappelle du jeu de Médouze, l'acteur Douta Seck, et du petit José, Garry Cadenat, dont le rôle en avait ébloui plus d'un. Dans mes souvenirs d'enfance, je conserve également ceux d'une tante très cinéphile qui allait, tous les jours, aux « matinées », les séances de 15h. À chaque fois que ma tante s'y rendait, je lui demandais de l'accompagner : la condition était de l'aider à la cuisine pour pouvoir aller au cinéma, où j'ai pu notamment connaître le cinéma indien. Dans les années 1980, il y avait des salles de cinéma partout au Sénégal, même dans les quartiers populaires.
Avez-vous des souvenirs particuliers en tant que cinéphile ? Quels sont les films et les réalisateurs qui vous sont chers ?
Comme je le disais, j'ai pu voir beaucoup de films indiens dans mon enfance mais les longs métrages et les réalisateurs qui me sont chers sont nombreux. D'abord, il y a Ousmane Sembène, dont le film Mandabi évoque avec beaucoup de réalisme le vécu sénégalais et africain. J'apprécie toute sa filmographie, que ce soit Ceddo,Camp de Thiaroye, un film historique, ou encore Faat Kiné, qui parle de la place de la femme et du rôle qu'elle joue dans la société. Je peux également citer le réalisateur malien Souleymane Cissé et son film Yeelen, qui a été primé à Cannes. Son travail est très important puisqu'il raconte des réalités de la société africaine et nous questionne sur beaucoup de sujets. Je n'oublie pas le cinéaste cambodgien Rithy Panh, dont la filmographie historique nous renseigne sur une époque précise dans cette partie du monde.

Au sein de la FACC, quelles sont les actions menées au quotidien et comment se matérialise votre engagement dans cette organisation ?
Au sein de la FACC, mon rôle de Présidente me permet de manager l'organisme et de gérer le bureau pendant que nous nous attelons à mettre en place des formations. L'objectif de la Fédération est de rendre visible une critique africaine longuement mise de côté. Nos ateliers forment généralement à la critique cinématographique afin d'initier les jeunes journalistes qui sont passionnés par ce métier. Il n'est pas possible de l'apprendre dans les écoles puisqu'il n'existe aucun module de critique de cinéma. Nous organisons également des masterclass en invitant des cinéastes à venir nous parler pour permettre aux critiques de se documenter sur certains réalisateurs, de mieux connaître leur travail, celui des techniciens et des acteurs. Des projections sont aussi effectuées, ainsi que des débats, pour évoquer le contenu des films : nous cherchons à susciter l'échange.
Devant le foisonnement des films et le besoin de guider le spectateur africain dans ses choix, comment voyez-vous le rôle du critique de film à l'heure des algorithmes et des influenceurs ?
Les influenceurs ne jouent qu'un rôle éphémère alors que le critique a un rôle beaucoup plus profond : il écrit pour la postérité. À travers cet écrit, le film existera pour toujours. Dans l'immédiat, les papiers donnent des arguments, mais, à partir de là, il faut aller plus loin. Le travail du critique renseigne le film tandis que son article est un document patrimonial qui éclaire le choix du réalisateur, que ce soit sur l'esthétisme, la mise en scène ou le jeu des acteurs. Il sera utile durablement, peu importe la vie du film. Nous avons un rôle militant puisque le cinéma africain n'est pas visible partout et que sa diffusion fait défaut. Nous possédons également la responsabilité de promouvoir ce cinéma, même si cela ne veut pas dire « faire de la publicité », mais plutôt parler de tout le produit dans sa globalité.
Aujourd'hui, pouvez-vous nous dire comment se porte le cinéma au Sénégal ? Quel regard posez-vous sur son évolution, mais aussi sur celle du cinéma africain ?
Ces dernières années, je sens et j'observe la bonne santé du cinéma sénégalais. Il y a vingt ans, par exemple, nous produisions beaucoup moins qu'aujourd'hui. Après l'époque des pionniers, nous avons connu un passage en léthargie avec la disparition des salles de cinéma et la privatisation des institutions du cinéma. De nos jours, les choses reviennent progressivement : la production est là, la distribution également, et les films sénégalais voyagent un peu partout. Le seul hic ? Ils sont bien trop peu montrés face au manque de salles de cinéma en comparaison avec l'âge d'or du cinéma sénégalais. Cette reprise en mains a été guidée par le FOPICA (Fonds De Promotion De L’industrie Cinématographique et audiovisuelle) depuis 2014, si bien qu'à présent, nous sommes à une centaine de films produits en quatre ans, contre un à deux par an, il y a encore quelques années. Pour le cinéma africain, il a une nette évolution car la production revient petit à petit même si l’on remarque une disparité d’un pays à un autre. La jeune génération est en train de faire sa révolution grâce aux outils numériques à leur portée.
Comment observez-vous la diffusion du cinéma africain à travers le monde ? Est-il suffisamment mis en valeur à vos yeux ?
C'est le grand problème et c'est précisément ce qui manque au cinéma africain. Il n'est définitivement pas assez vu sur les écrans, notamment en Europe, en Asie ou en Amérique. Même au Sénégal, il y a peu de distributeurs et les habitants ne voient pas assez cette production. Il faut que l'accès au cinéma africain soit une réalité pour respecter une équité territoriale, que les gens des régions bénéficient des avantages de Dakar. Il est plus que nécessaire de gommer cette disparité. À l'avenir, une offensive de la distribution des cinématographies africaines sur tous les écrans du monde doit être menée. Il est important que des politiques soient créées dans ce sens pour que les films africains puissent être plus largement diffusés. Actuellement, seuls les festivals permettent de voir des films et les choses doivent évoluer.
À votre avis, quels cinéastes émergents se détachent, en ce moment, dans le pays ?
Au Sénégal, nous avons le cinéaste Mamadou Dia qui va représenter le Sénégal avec son film, Le Père de Nafi, en compétition au FESPACO. Il vient de remporter le Prix du Meilleur film long métrage fiction de l’UEMOA au Fespaco 2021. C'est un jeune réalisateur dont le long métrage a été sélectionné, il a récemment gagné beaucoup de prix et a pu porter les couleurs du Sénégal aux Oscars. Il y a aussi Moly Kane, une personnalité dynamique dans la production cinématographique, qui est également en compétition au FESPACO avec Les Tissus blancs. Il a remporté le Poulain d’or au Fespaco 2021 et le meilleur court métrage de l’Union monétaire ouest africaine(UEMOA). Je pense également à Khadidiatou Sow, qui a remporté le Poulain d'argent au FESPACO il y a deux ans pour son court métrage de fiction, Une Place dans l'avion. Et, bien sûr, il y a Alain Gomis, Angèle Diabang et Mati Diop, qui sont des porte-drapeaux du cinéma sénégalais.

La FACC que vous présidez, a organisé une table ronde sur la critique avec l'Institut français et la Semaine de la Critique et une formation à la critique de film avec Noo’Cultures, dont le volet final s'est déroulé au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision (FESPACO). Qu'attendiez-vous de ce partenariat, notamment sur les nouveaux modes de critique ?
C'est un partenariat que je salue et qui a été possible grâce au FESPACO. Nous gagnerions à le faire perdurer : je crois que la critique et les institutions doivent travailler ensemble pour le bien du cinéma, en règle générale. On voit que le numérique a permis aux cinéastes de beaucoup produire et de s'approprier cet outil. Aujourd'hui, le critique gagnerait à s'emparer de ces nouveaux modes de diffusion afin de rendre son travail plus visible, surtout pour les critiques africains. Il faut que l'on soit mieux entendu et que notre parole compte. Le critique a une place médiane entre le cinéaste et le cinéphile : il faut que les gens prennent en compte cette place, ce rôle du critique dans l'écosystème du cinéma.
Comment imaginez-vous l'avenir du cinéma africain d'ici quelques années ? Quels sont les grands enjeux de son futur ?
Toute cette évolution montre beaucoup d'avancées donc j'imagine un avenir florissant. Il y a une prise de conscience par rapport aux institutions, qui s'aperçoivent de l'importance de faire connaître nos images à travers le monde. Cela nous donne également la possibilité de dialoguer avec lui et, par conséquent, de le rendre plus humaniste. Chacun finit par connaître l'autre par l'intermédiaire de son image et il est indispensable que nous puissions continuer sur cette lancée afin qu'il n'y ait plus ce regard négatif sur autrui. Les enjeux du futur resteront institutionnels puisque, depuis longtemps, les états n'ont pas pris en compte l'importance du cinéma dans nos pays. Il faut entendre la voix de l'autre et les images vont nous permettre de mieux nous connaître.

La Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC), présidée par Fatou Kiné Sène, a organisé, en partenariat avec l'Institut français et la Semaine de la Critique, une formation à la critique de film avec Noo’Cultures, dont le volet final s'est déroulé au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision (FESPACO).
L'Institut français propose, avec la Cinémathèque Afrique, un catalogue de plus de 1 600 films africains de 1960 à nos jours. En savoir + sur la Cinémathèque Afrique