Yaël Fogiel et Stéphane Goudet, nouveaux présidents de l’Aide aux cinémas du monde
Yaël Fogiel, productrice aux Films du Poisson, et Stéphane Goudet, directeur artistique au Méliès de Montreuil, sont les nouveaux présidents de l'Aide aux cinémas du monde. Co-gérée par l'Institut français et le CNC, elle est attribuée à des projets de long métrage destinés à une première exploitation en salle. Ils évoquent leurs motivations, mais aussi les enjeux et le futur de l'Aide, qui fête ses 12 ans cette année.
Publié le 06/06/2024
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Respectivement productrice et exploitant, vous êtes les nouveaux présidents de l’Aide aux cinémas du monde. Quelles ont été vos motivations pour accepter cette présidence ?
Yaël Fogiel : Mon travail de productrice me prend beaucoup de temps, mais j'aime participer ponctuellement à des commissions puisque cela me permet à la fois de contribuer avec ma voix de productrice indépendante aux choix des projets, et cela me permets aussi de voir ce qui se passe ailleurs que chez moi, me tenir au courant des projets des talents, des tendances du marché etc. Lorsque l'on m'a parlé de cette présidence, j'ai tout de suite été intéressée car il s'agissait de visionner des films en montage. J'avais envie d'une expérience différente de la lecture des scénarios et l'Aide aux cinémas du monde me parlait particulièrement car j'avais déjà eu l'occasion d'y être candidate et, parfois, de l'obtenir. Ayant toujours porté mon regard vers l'étranger, il était évident pour moi que j'avais ma place à cet endroit.
Stéphane Goudet : Pour ma part, c'est un peu différent car j'ai commencé par être vice-président sur le précédent mandat. La question était donc de savoir si j'avais envie de rempiler ou non, mais, étant donné cette expérience passée, la réponse était très clairement oui. Il me semble que c'est un très bon poste d'observation du cinéma mondial, où l'on peut avoir une réelle action sur la possibilité d'achever des films dans de bonnes conditions. Forcément, quand on travaille dans un cinéma comme le Méliès, on est très porté vers la diversité du cinéma mondial et la possibilité de montrer tous les cinémas du monde : il me paraissait donc cohérent de se demander comment va le cinéma mondial et d'observer, continent par continent, quelle est son évolution récente.
Dans quelle mesure pensez-vous que vos différents parcours et expériences ont la capacité d’enrichir votre présidence ?
Yaël Fogiel : Le fait d'avoir plusieurs expériences, que l'on soit producteur ou exploitant, est très intéressant. De mon côté, je suis souvent au début de la chaine, dès le moment où l’idée du film apparaît, et je reste présente jusqu'au bout. Néanmoins, durant l’exploitation, je suis là en tant que productrice donc moins décisionnaire. C'est donc passionnant de pouvoir poser un regard sur les films en montage ou en fin de montage, et d’apporter mon expertise dans la fabrication, le cheminement créatif et économique, et aussi dans tout le processus du montage. Le point de vue de Stéphane, qui connaît bien la salle et le marché, est lui aussi très précieux.
Stéphane Goudet : Lors de cette expérience, j'ai été passionné par la diversité des profils qui figurent dans la commission. Les années précédentes, avec Prune Engler (ex-présidente de l’Aide aux cinémas du monde), étaient d'ailleurs des années très étonnantes pour voir comment un musicien ou une monteuse parle de cinéma. L'idée que les présidences deviennent des co-présidences, fondées sur les deux genres et la complémentarité des profils, m'a, par conséquent, paru une très bonne chose. Yaël est une productrice que j'admire profondément et cela m'a conforté dans mon envie de rempiler. Les Films du poisson font, à mon sens, partiedes producteurs les plus importants sur le sol français avec la plus grande ouverture à l'international donc je n'avais pas tellement de doute sur le fait que nous allions travailler ensemble dans le respect des spécificités de chacun et un esprit de dialogue.
En tant que binôme, comment envisagez-vous votre collaboration ? Quelles sont les actions que vous comptez entreprendre ou défendre dans les mois à venir ?
Yaël Fogiel : Pour le moment, nous n'avons pas encore pris de décisions. J'ai surtout écouté Stéphane, qui a déjà de l'expérience, et j'ai pu découvrir le déroulement d'une commission commune. J'ai suivi sa touche, qui est très agréable car elle est celle du dialogue, de l'échange, et qu'elle permet aux membres du comité de s'exprimer. Ce dialogue est mis en place comme une sorte de laboratoire et c'est quelque chose que j'adore : nous sommes avec des personnes qui ne sont pas concernées personnellement, mais qui le sont intellectuellement.
Stéphane Goudet : J'ajouterais effectivement que, même si nous n'avons eu qu'une commission en commun, elle s'est très bien déroulée. Nous avons fait un premier point d'échange préalable et c'était très agréable, ouvert sur le point de vue de chacun et très enrichissant avant même de se confronter à l'ensemble de la commission. J'ai l'impression qu'il y a eu un plaisir commun à discuter, tout en acceptant que nous n'étions pas d'accord sur tout. C'était d'autant plus intéressant que les films n'étaient pas forcément la meilleure livrée de ces dernières années. Il fallait saisir comment les gens allaient s'impliquer sur des films qui étaient un peu moins aboutis que d'habitude.
À quels critères de sélection sont soumis les films choisis par l’Aide aux cinémas du monde ? Quelles sont vos attentes, vos envies, pour les prochains films qui pourront en bénéficier ?
Yaël Fogiel : De notre côté, l'intérêt provient du fait que, pour le troisième collège, nous ne recevons pas uniquement les premiers films. On sait, pour le comité, que ce sont obligatoirement des films qui ont déjà été présentés à la commission avec un scénario, mais qui ont été refusés par les commissions de lecture. C'est passionnant de voir ceux qui ont été refusés et de pouvoir décider à qui donner une deuxième chance. Et personnellement pour moi un film réussi est un film qui est meilleur que son scénario...
Stéphane Goudet : Je suis complètement d'accord avec ça. L'idée de la commission de la seconde chance est passionnante : quelque chose qui, sur le papier, n'était pas suffisamment fort, ni solide, devient, par la grâce de la mise en scène et le jeu des acteurs, un film abouti. J'aime la perspective que l'on puisse se tromper en première et deuxième commissions, que les cinéastes puissent faire évoluer leurs projets pour les rendre encore plus intéressants, y compris suite aux remarques reçues. Parmi les critères, nous essayons d'élire autant de premiers et de seconds films que de films de cinéastes confirmés afin de respecter un équilibre. Nous tentons également de faire en sorte que tous les continents puissent être représentés pour ne pas favoriser un territoire plutôt qu'un autre. Enfin, nous voulons aussi instaurer un équilibre entre les hommes et les femmes réalisatrices pour contribuer au renouvellement. Dans les chiffres, 42% des aides attribuées en 2023 l'ont été pour des femmes réalisatrices.
Avez-vous un coup de cœur récent, un film marquant, sélectionné par l’Aide aux cinémas du monde, que vous souhaitez faire partager ou soutenir ?
Yaël Fogiel : Nous n'avons malheureusement pas pu voir tous les films aidés et sélectionnés pour cette édition au Festival de Cannes, mais, parmi les films de notre comité, je pourrais citer Everybody Loves Touda, de Nabil Ayouch, qui sera diffusé à Cannes Première. J'ai eu un coup de cœur pour ce film, qui est un portrait de femme extraordinaire.
Stéphane Goudet : Je n'ai pas encore vu les films les films sélectionnés cette année en compétition officielle, mais je viens de revoir un long métrage qui sera à l'ACID cette année, Mi Bestia, de Camila Beltrán. C'est un film troublant autour de l'adolescence, des métamorphoses et de l'irrationnel, vécu à l'échelle planétaire. Nous avions pu le voir avant Le Règne animal, mais c'est étrange de le revisionner alors que le film est maintenant sorti, car il existe un réel dialogue entre eux. Dans les films aidés l'année dernière, parmi mes coups de cœur, j'en citerais trois au passage : L'Arbre aux papillons d'or, de Pham Thien An, Le Barrage, d'Ali Cherri, et Sous les figues, d'Erige Sehiri.
Qu’espérez-vous pour les prochaines années de l’Aide aux cinémas du monde, qui fête ses 12 ans ?
Yaël Fogiel : À titre personnel, j'espère que l'Aide aux cinémas du monde pourra continuer autant que possible, car elle est exceptionnelle, n'existe nulle part ailleurs et revêt une importance énorme pour les cinéastes étrangers. Il n'y a pas que le soutien financier, c'est vraiment une collaboration avec un partenaire français, qui va apporter son savoir-faire. En tant que productrice, cela m'est déjà arrivé de l'obtenir et, à chaque fois, c'était vraiment essentiel.
Stéphane Goudet : Je pense également qu'il y a une urgence à défendre cette aide alors que l'on est dans un contexte de restriction budgétaire. Nous avons vraiment envie de réaffirmer que la gloire du cinéma français est d'aider à produire le cinéma mondial, et le meilleur du cinéma mondial, et qu'il est l'un des lieux où cette aide a la plus grande efficacité. Il faut donc la renforcer. J'étais ravi de voir que, dans les mesures prises cette année, il avait été décidé une augmentation des enveloppes octroyées à l'Aide aux cinémas du monde. C'est, par ailleurs, très agréable de travailler avec deux institutions qui vont dans le même sens, en l'occurrence l'Institut français et le CNC. J'ai l'impression que la dynamique de la commission est aussi le fruit de la bonne entente entre les deux institutions sur cette aide et d'un dialogue permanent qui donne envie de continuer à avancer.
L'Aide aux cinémas du monde est co-gérée par l'Institut français et le CNC.