Gilles Bloch, président du Muséum national d'Histoire naturelle
Le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN) et l'Institut français ont signé une convention de partenariat afin de promouvoir la culture scientifique dans le réseau diplomatique français à l'étranger. À cette occasion, son président, Gilles Bloch, évoque la création numérique mise en place au sein du musée, ainsi que les enjeux de cette collaboration.
Mis à jour le 15/04/2024
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Le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), dont vous êtes le président, propose une démarche pionnière en matière de création numérique. Pourriez-vous nous la présenter ?
Le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN) est un musée qui s’est efforcé d'être à la pointe des évolutions technologiques et pratiques dans le domaine de la muséologie. Nous sommes le premier muséum français en termes d'entrées dans nos différents sites et nous avons été les premiers à introduire de manière pérenne la réalité virtuelle. Nous avons lancé ce dispositif dans notre cabinet de réalité virtuelle, au sein de notre Grande Galerie de l’Évolution, pour une expérience nommée « Voyage au cœur de l'évolution ». Il s'agissait d'une plongée dans le buisson du vivant, qui permettait d'observer la connexion entre les espèces. Aujourd'hui, cette expérience toujours visible ne cesse de voyager et a été notamment accueillie à Budapest, ainsi qu'à Lisbonne. Parallèlement, nous proposons deux autres expériences de réalité virtuelle dans le cabinet. La première s'intitule « La plage de sable étoilé » et montre des espèces menacées par le réchauffement climatique, les foraminifères, tandis que la seconde est une expérience immersive dans l'Arctique, « Virtual Arctic Expedition », où les visiteurs en groupe peuvent se voir sous formes d'avatars. Nous avons, par ailleurs, développé les dispositifs numériques modernes dans notre galerie des espèces menacées et disparues. La présentation des spécimens a été enrichie par de la réalité augmentée : les visiteurs peuvent ainsi voir revivre des animaux comme le tigre à dents de sabre, le tigre de Tasmanie ou le dodo.
L’expérience immersive « Mondes disparus », proposée jusqu'au 16 juin 2024, est une expédition en réalité virtuelle, à la découverte de l'histoire de la Terre et du vivant. De quelle manière a été construit ce projet ?
Après avoir vu les superbes expériences imaginées autour de Khéops et Notre-Dame de Paris, nous avons eu envie de travailler avec la société Emissive. Un concept de plongée profonde dans l'histoire de la Terre depuis sa formation jusqu'à la naissance de la vie a ainsi été créé. Il s'agit d'une expérience de groupe, qui peut être réalisée en famille. Tout le contenu a été travaillé avec les scientifiques du muséum : une trentaine de personnes se sont appliquées à toutes les étapes, de la conception du scénario à la création des univers graphiques et des effets sonores. Pour « Mondes disparus », nous avons employé une réalité virtuelle stylisée, mais il était important que cette stylisation ne dénature pas les messages scientifiques. L'exposition peut accueillir environ 80 personnes en simultané dans le dispositif et elle va être exportée à Lyon en avril tandis qu'elle est déjà pré-réservée dans certains sites à l'étranger.
Le MNHN a signé en 2023 une convention de partenariat avec l'Institut français afin de promouvoir la culture scientifique dans le réseau diplomatique français à l'étranger. Quels sont les grands enjeux de cette collaboration ?
Nous sommes un grand musée scientifique, le plus grand de France, l'un des plus grands musées naturalistes du monde. Ce qui nous intéresse reste de promouvoir notre excellence scientifique puisque nous possédons aussi des laboratoires de recherches dont les résultats sont diffusés dans nos expositions auprès d’un large public. Nous nous sommes retrouvés à dialoguer avec l'Institut français, dont l'une des missions est également de promouvoir l'excellence scientifique de notre pays. Il s'agit, pour nous, d'une association naturelle alors que nous cherchons un accès plus large vers l'étranger pour nos créations afin de porter nos messages de respect de la nature et de protection de la biodiversité.
Dans ce contexte, le MNHN pourrait notamment participer aux programmes des « Saisons », mises en œuvre par l'Institut français depuis 1985. Avez-vous déjà des idées afin de poursuivre ce dialogue entre la France et l'étranger ?
Les « Saisons » représentent une figure imposée du monde diplomatique et culturel. Nous y participons de manière formelle depuis 2017 à travers des colloques scientifiques, des expositions, ainsi que l'accueil d'artistes sur nos sites. Il y a eu de nombreuses réussites communes comme le colloque France/Colombie autour de Paul Rivet, l'année France/Portugal et son forum scientifique sur l'Atlantique ou encore le colloque sur la bio-inspiration. Actuellement, la saison France/Brésil est en construction pour 2025 et nous sommes en train de réfléchir à ce qui va être proposé dans ce cadre. Nous avons déjà identifié le thème de la forêt brésilienne, qui doit être mis en parallèle avec la forêt française. Nos forêts sont, en effet, impactées par le changement climatique et c'est notre rôle, en tant que grande institution scientifique, de traiter, durant cette saison, les enjeux de la fragilité et le rôle essentiel de ces énormes réserves de biodiversité.
Le MNHN possède également des expositions et expériences itinérantes comme « Félins » ou « Arts et Préhistoire ». Comment s'organise cette autre facette des actions menées par le musée ?
Le MNHN produit, chaque année, plusieurs expositions temporaires, montrées, tout d'abord, dans nos grands espaces d'exposition. Leur vocation demeure d'accueillir un public francilien chanceux d'avoir de grandes infrastructures culturelles, même si nous les concevons comme des possibilités d'itinérance. Très souvent, une partie de l'exposition est reproduite à partir de fichiers numériques pour aller sur différents sites. De temps en temps, comme c'est le cas pour « Félins », nous sommes amenés à prêter et à faire voyager des spécimens et des collections fragiles, ce qui peut être un élément de complexité de l'itinérance. Ce sont, en effet, des objets patrimoniaux, qui ne sortent pas facilement de notre pays. Nous avons désormais une expérience dans la dématérialisation et la possibilité de faire voyager numériquement des éléments de l'exposition. Ce sont donc des expositions qui voyagent en France et à l'international : elles permettent notre rayonnement et font partie d'échanges avec certains pays sur les pratiques muséologiques. Depuis que l'on travaille avec l'Institut français, on essaie de s'épauler à travers un réseau extrêmement dense pour accéder à des publics et des pays nouveaux.
À une période où le changement climatique est dans tous les esprits, quelles sont les actions du MNHN pour la biodiversité et le respect de l'environnement ?
Le MNHN n'est pas qu'un musée doté de riches collections ; ce sont des galeries, zoos et jardins qui accueillent du public bien sûr, mais nous portons également des activités dans le domaine de la recherche, de l'enseignement et de l'expertise en appui des politiques publiques. Ce travail est orienté sur l'explication aux publics de la richesse extraordinaire que représente la biodiversité, mais aussi de la façon dont on peut la gérer, la respecter, voire la restaurer. Nous avons un réel engagement autour de la biodiversité car nous sommes face à une crise mondiale d'extinction. On se mobilise aussi dans notre vie de tous les jours en tant qu'institution. Nous avons ainsi commencé à travailler d'une façon plus sobre sur le plan énergétique et sur le plan environnemental à l’échelle de toutes nos activités. Au fil des année, nous avons appris à utiliser des matériaux plus respectueux de l'environnement, mais aussi à recycler ces mêmes matériaux d'une exposition à l'autre. Nous essayons également d'intervenir dans un certain nombre de négociations internationales, en appui de la diplomatie française, dans des conférences ou des grands accords qui rythment la diplomatie environnementale.
Dans les prochaines années, quels vont être les projets d'envergure menés par le MNHN ?
Il y a beaucoup de grands projets dans les différentes activités sur la recherche, ainsi que des grandes explorations qui continuent à se dérouler. Nous avons d'abord une diplomatie des muséums et nous travaillons régulièrement avec les douze autres grands muséums d'histoire naturelle européens et nord-américains. Année après année, nous tentons avec nos partenaires de construire une approche commune des collection mondiale d'histoire naturelle à travers le projet One World Collection. Nous avons chacun des dizaines de millions de spécimens, qui sont de plus en plus rares et que nous ne pourrons pas à nouveau prélever. Nous souhaitons donc nous répartir la charge de travail et normaliser un certain nombre d'outils numériques pour partager les spécimens. C'est un grand chantier mondial, qui mobilise des acteurs internationaux et qui est un défi pour nous.
Nous voulons aussi monter en puissance sur nos expositions au niveau international. Depuis cinq ans, nous avons mis en place un gros effort de réorganisation et d'efficacité pour nos expositions : il s'agit donc de rayonner de façon encore plus visible et d'être économiquement plus efficace. Grâce à notre partenariat avec l'Institut français, nous pouvons nous confronter aux approches d'autres pays. C'est extrêmement riche car on ne détient jamais la vérité seul : c'est en partageant, en échangeant des idées dans ces réseaux internationaux que l'on peut progresser sur ces enjeux et dessiner les solutions à apporter.
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