Gisèle Vienne présente une rétrospective de son œuvre en Allemagne
Avec le soutien du Bureau du théâtre et de la danse et du Bureau des arts plastiques de l'Institut français d'Allemagne, et avec l'appui du programme IF Incontournable de l'Institut français, un cycle d'expositions autour de l'artiste Gisèle Vienne est présenté à Berlin et Leipzig. Une variété d'oeuvres de l'artiste, chorégraphe et metteuse en scène, que nous avons rencontré à cette occasion, est notamment exposée à la Haus am Waldsee (jusqu'au 12 janvier 2025) et au Georg Kolbe Museum (jusqu'au 9 mars 2025).
Mis à jour le 20/01/2025
5 min
Conception : © DACM / Gisèle Vienne
Interprètes sur la photographie : Nach & Massimo Fusco
Photographe : ©Estelle Hanania
De quelle manière se sont organisés les projets en Allemagne ? Comment avez-vous choisi les créations qui sont diffusées ?
Anna Gritz, curatrice du musée Haus am Waldsee, a initié ce projet, et a invité les curatrices Kathleen Reinhardt du Kolbe Museum, ainsi qu’Andrea Niederbuchner des Sophiensäle à l’inventer avec elle.
Il ne s’agit pas tant d’une retrospective, dans le sens où nous n’avions pas pour ambition de présenter mon travail de manière exhaustive, ni mon oeuvre à partir de son histoire depuis 1999 à nos jours, mais plutôt d’un projet curatorial qui permet aux visiteurs et aux spectateurs de découvrir ma pratique à travers ses différentes formes, et mon travail formel sur les cadres perceptifs.
Dans le cas du Kolbe Museum, mon travail est mis en perspective avec celui de mes précurseuses, les artistes européennes de l’art moderne, qui ont travaillé au croisement de la sculpture et de la performance, et qui ont également travaillé à partir d’objets anthropomorphes comme autant d’outils critiques.
C’est passionnant de travailler avec Anna Gritz, Kathleen Reinhardt, Andrea Niederbuchner et tous leurs et mes collaborateurs, car elles font un travail curatorial qui permet réellement d’écrire l’histoire au présent, avec une réflexion sur l’histoire et l’histoire de l’art.
Il s’agit donc bien d’une collaboration, et nous avons choisi ensemble les œuvres et leur articulation, afin de construire et écrire cette expérience à Berlin, interrogeant les notions de silences, d’immobilités, de présent et de réel à travers leurs expériences physiques.
Issues d'une collaboration entre la Haus am Waldsee, le Georg Kolbe Museum et les Sophiensælen, les expositions "Gisèle Vienne. This Causes Consciousness to Fracture – A Puppet Play" et "Ich weiß, daß ich mich verdoppeln kann. Gisèle Vienne und die Puppen der Avantgarde" sont ouvertes à Berlin depuis le mois de septembre dernier. L’une d’entre elles prend notamment la forme d’une pièce de théâtre. Qu’est-ce qui vous plait particulièrement dans la mise en scène ?
Dans ce cas, ce que j’appelle une pièce de théâtre, est bien une exposition, mais j’invite les visiteurs à l’appréhender comme une pièce de théâtre, car cela change déjà leur point de vue. Changer les attentes peut nous aider à penser différemment. Appeler l’exposition du Haus am Waldsee, en sous-titre, “a puppet play”, invite les visiteurs du musée à appréhender l'exposition avec les attentes liées au théâtre. Ces attentes sont habituellement associées à des mouvements, des narrations et des sons qui s’inscrivent dans l’histoire spécifique du théâtre. Cette exposition invite les visiteurs à écouter tout ce qui est dit dans ce qui est nommé “silence”, et qui n’est pas silencieux, et à observer les mouvements de la soi-disant immobilité.
Ce que j'appelle chorégraphie est une sémiotique des corps. L’observation et l’écoute des corps et de leurs interactions dans l'espace et le temps est un langage qui parle ; un langage que nous n'apprenons normalement pas à lire, ou qui est déconsidéré comme tel, mais qu'il est crucial de lire et que nous sommes en réalité en mesure de lire. Car nous pouvons comprendre toutes sortes de langages non verbaux si nous regardons et écoutons attentivement. Ma pratique chorégraphique a influencé la manière dont j'ai composé l'exposition. Une pièce qui met en scène ce que disent les soi-disant silences et immobilités.
Je crée mes œuvres dans différents lieux, comme des théâtres, des opéras, des musées et aussi en extérieur. Ma pratique englobe la sculpture, le cinéma, la photographie, les marionnettes, le théâtre et la chorégraphie comme une œuvre cohérente. Chaque lieu de travail et chaque médium impliquent des histoires culturelles et artistiques, des économies, des environnements sociaux et des attentes différentes. Les considérer ensemble correspond à ma perception du monde.
Vos créations possèdent une identité visuelle puissante, animées par des danseurs, des acteurs ou encore des marionnettes. Quelles sont vos sources d’inspiration ? Comment naissent vos projets ?
Mes sources d’inspirations sont multiples. Mes expériences et mes fréquentations, les artistes avec lesquels je travaille, sont autant de collaborateurs, avec qui les échanges m’apprennent beaucoup. La philosophie, la littérature, le cinéma, la danse, la musique et tous les arts me nourrissent, expérimenter d’autres œuvres est pour moi déterminant.
Créer pour moi, c’est inventer une méthodologie de travail qui me permet de penser, et de penser de manière particulière, à partir des phénomènes et des questions philosophiques. Ce sont des questions, des désirs, des rages et des joies qui me font penser, bouger et créer.
Après des représentations à Berlin, votre pièce Crowd va être jouée à la Grande Halle de la Villette à Paris. Pouvez-vous nous parler de cette œuvre, qui réunit quinze danseurs et danseuses ?
Crowd déplie la densité de l’expérience du temps présent où se côtoient passé, présent, futur anticipé, construction du souvenir, imagination, et interroge l’influence du prisme émotionnel sur la perception. Cette œuvre explore aussi la physicalité du sentiment amoureux et l’état perceptif singulier qu’il peut générer.
Crowd raconte aussi la techno underground des années 90 à Berlin, ces espaces critiques en marge où l’on essaie d’inventer d’autres manières d’être. Crowd raconte les histoires des contre cultures, viviers créatifs, intellectuels et politiques immenses et cruciaux.
Créé en 2017, Crowd est devenu un classique de votre répertoire. Faites-vous évoluer vos œuvres au fil du temps et des représentations ?
Oui, les œuvres sont toujours au travail et évoluent constamment. C’est ce qui fait que les tournées sont passionnantes, et que nous pouvons travailler des années sur une œuvre. Je pense que cela rend aussi les expériences des spectateurs bien plus intéressantes et touchantes.
Le spectacle vivant est une matière vivante qui traverse les époques et qui est traversée par nos vies. C’est ce qui fait toute la force de cette pratique artistique, justement toujours en mouvement.
Quels sont vos projets à venir ? Après le succès d’Extra life, avez-vous déjà une autre pièce en tête ?
Le livre This causes consciousness to fracture, du même nom que l’exposition, a été récemment publié par Haus am Waldsee et Spector Books. Ce livre est un projet artistique en soi, nous avons travaillé la question de la chorégraphie, de son écriture, en collaboration avec la photographe Estelle Hanania, à partir du médium du livre. Il s’agit donc là d’une œuvre qui s’articule avec les autres expériences artistiques présentes à Berlin. Et je travaille par ailleurs à l’écriture d’une nouvelle pièce qui sera créée en décembre 2026, et à l’écriture d’un film. Je prends beaucoup de temps pour créer chaque projet, afin de pouvoir me déplacer dans mon processus, et ce déplacement demande beaucoup de travail.
Les expositions à Berlin et Leipzig sont organisées avec le soutien du Bureau du théâtre et de la danse et du Bureau des arts plastiques de l'Institut français d'Allemagne, et avec l'appui du programme IF Incontournable de l'Institut français.
IF Incontournable accompagne les postes du réseau diplomatique et les événements et lieux prescripteurs à l’international, dans la mise en place de leur programmation artistique et culturelle.
L’Institut français soutient aussi bien les projets en présentiel, les projets mixtes (présentiel et digital) que les projets en tout digital (si les mobilités sont contraintes ou empêchées), ainsi que les projets intégrant le numérique dans le processus de création ou de production. Lorsqu’ils ne sont pas portés par le réseau diplomatique, les projets doivent être développés en concertation avec celui-ci.