Gitte Zschoch
Autrefois quasi-absente des hémicycles européens, la question culturelle gagne du terrain. Rencontre avec Gitte Zschoch, directrice du réseau EUNIC (European Union National Institutes for Culture), pour un état des lieux de la politique culturelle de l’Union européenne.
Mis à jour le 20/02/2019
5 min
Qu’entend-on par « politique culturelle européenne » ? Comment se traduit-elle en actions ?
Parler d’union douanière, d’économie et de monnaie commune ne suffit pas à unir les citoyens européens, d’où la volonté de l’Union européenne de développer une politique culturelle commune. Cette politique se traduit par exemple à travers l’adoption d’un nouvel agenda pour la culture par la Commission européenne. Ce nouvel agenda prévoit, entre autres, des financements pour encourager la mobilité des artistes, la formation de professionnels du secteur culturel et la coopération culturelle entre pays membres de l’Union et le reste du monde. L’année européenne du patrimoine culturel 2018 est un autre exemple d’action menée dans le cadre de cette politique culturelle commune. Elle encourage davantage de publics à découvrir et s’approprier le patrimoine culturel européen pour renforcer ce sentiment d’appartenance à un espace européen partagé.
Quels sont les principaux objectifs de cette politique qui prend progressivement forme ?
Nous sommes dans une période charnière où la coopération et la co-création prennent une place de plus en plus importante. L’objectif aujourd’hui n’est plus de se contenter de promouvoir l’Europe à l’étranger mais plutôt d’entrer dans un vrai partenariat avec les peuples du monde. Nous passons d’une promotion pure et simple des valeurs et de la culture européenne à un dialogue avec ces citoyens non-européens en vue de « créer ensemble ». On sort de la logique top-down pour adopter une approche plus collaborative. Une place importante est consacrée à la formation des acteurs culturels locaux, et à l’éducation artistique et culturelle en général.
Est-ce plus difficile de mettre en place une politique culturelle commune qu’une politique agricole ou environnementale européennes ?
Dans les traités européens et y compris celui de Lisbonne, en 2007, la culture reste la responsabilité de chaque État membre. Un certain nombre d’États et de citoyens montrent d’ailleurs une volonté de protéger leur « exception culturelle » : ils sont convaincus qu’une politique commune pourrait les mettre en danger.
Les différences structurelles n’aident pas non plus : la culture européenne, dans sa dimension internationale, est gérée, suivant les pays, soit par des instituts, soit directement par le ministère de la culture ou des affaires étrangères. Cependant, l’absence initiale de politique commune a, à mon sens, ouvert la voie à ces instituts qui se sont implantés à travers le monde et constituent aujourd’hui certains des acteurs les plus importants de la construction de cette politique européenne commune.
Le développement d’une politique culturelle européenne a-t-elle un impact sur les relations diplomatiques avec des pays hors Union Européenne ?
La politique culturelle européenne a des conséquences en dehors de l’UE ne serait-ce que parce qu’elle se traduit aussi par l’élaboration d’une stratégie commune en matière de relations culturelles internationales. Dans ce cas, la culture et les affaires étrangères s’entrelacent : par exemple, des professionnels européens du patrimoine culturel pourront former, transmettre et échanger des connaissances avec des professionnels du même secteur, issus de pays où la protection des patrimoines est moins règlementée, voire en danger.
Comment le réseau EUNIC que vous dirigez participe-t-il à la construction de cette politique ?
EUNIC a été créé en 2006 pour regrouper tous les organismes des États membres de l’Union européenne qui travaillent dans le champ culturel en dehors de leurs frontières. Nous comptons ainsi parmi nos 36 membres des centres culturels – l’Institut français, l’Institut culturel lithuanien, le Forum culturel autrichien, l’Institut estonien, la Fondation hellénique pour la culture, le Centre Dante Alighieri ou encore le Goethe-Institut – ainsi que des ministères – ministères des affaires étrangères en France et en Italie, ministères de la culture pour Chypre et Malte, par exemple. Nous voulons « favoriser la confiance et la compréhension mutuelles à travers la culture » - c’est notre slogan. Nous croyons aux opportunités uniques que la culture peut créer.
Le Fonds culturel franco-allemand, créé en 2003, est un des outils mis en place. Est-ce là un modèle ?
Le Fonds culturel franco-allemand soutient des initiatives culturelles conduites par la France et l’Allemagne en dehors de l’Union européenne. C’est un excellent exemple de ce que le réseau EUNIC souhaiterait mettre en œuvre dans l’Union européenne et dans le reste du monde. Inspirés par ce type de coopération culturelle internationale, nous avons créé le Cluster Fund, qui finance les projets de nos membres organisés en « clusters » — des regroupements d’institutions implantées sur le même territoire. En République Démocratique du Congo, un cluster composé de quatre de nos membres — le Goethe-Institut, l’Institut français de Kinshasa, le Centre Wallonie-Bruxelles, Camões IP (Portugal) — a bénéficié du soutien du Cluster Fund et d’un partenariat avec la délégation européenne locale, pour la création de plusieurs projets dont une master class de photographie à destination des étudiants de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa ; une première dans le pays !
Quels types de projets accompagnez-vous le plus souvent ?
Le réseau EUNIC appuie avant tout les nouvelles formes de coopération culturelle internationale, fondées sur la co-création, le dialogue interculturel, et les interactions entre individus. Les projets doivent dépasser la simple présentation — ou représentation — pour vraiment s’insérer dans une dynamique d’échange et de participation citoyenne. Nous accordons également une place importante à la formation des professionnels du secteur et à la transmission de connaissances. Tous ces objectifs se retrouvent dans l’accord que nous avons signé avec la Commission Européenne et le Service européen pour l’action extérieure et font écho aux lignes directrices de la politique culturelle européenne.
Et y a-t-il des thématiques ou des secteurs pour lesquels vous aimeriez recevoir plus de propositions ?
Nous souhaiterions recevoir davantage de projets liés d’une part à la digitalisation et à l’influence du digital sur nos activités culturelles ; et, d’autre part, aux questions d’identité politique : égalité des genres, les identités sexuelles et minoritaires, discours postcoloniaux, pour n’en nommer que quelques uns. Nos membres — les instituts culturels notamment — ont réussi à instaurer un lien de confiance avec les associations travaillant sur ces sujets au niveau local, au plus proche des citoyens concernés. Permettre à des initiatives et des thématiques de terrain de remonter jusqu’aux organes de l’Union et d’influencer les préconisations au niveau européen, voilà ce vers quoi la politique culturelle européenne tend aujourd’hui.
L’Institut français est membre du réseau européen EUNIC, dirigé par Gitte Zschoch depuis 2018. Il participe, avec les autres centres culturels et ministères européens, à l’organisation d'événements communs, au partage d’expertises et à la promotion des langues européennes.