Guillaume Hidrot
Directeur de la Guilde des vidéastes, Fédération des métiers de la création audiovisuelle diffusée sur Internet, Guillaume Hidrot défend la webcréation et le travail des vidéastes qui bénéficie ces dernières années d’une audience en forte croissance. Avec conviction, il raconte la naissance d'une filière avant d'évoquer les actions menées par la Guilde et les enjeux futurs du secteur.
Publié le 07/12/2021
5 min
Actuellement directeur de la Guilde des vidéastes, vous avez également été co-auteur et producteur de contenus en ligne . Pouvez-vous revenir, en quelques mots, sur votre parcours ?
En 2007, lors de l'arrivée de Youtube en France, je venais de reprendre mes études en communication et culture. Très intéressé par les nouvelles technologies, je me suis auto-formé sur les questions du web en parallèle d’une expérience dans une structure d'accompagnement à la création d'entreprise. À la moitié des années 2010, j'ai envisagé de réaliser une thèse pour laquelle j'ai effectué des observations de terrain. Toutes les données récoltées ont témoigné d'une volonté claire des vidéastes de se fédérer professionnellement et, finalement, j'ai participé à la rédaction d’un rapport sur le sujet, présenté en 2018 à Avignon aux Rencontres professionnelles du Frames, un festival dédié à la web vidéo qui avait soutenu ce projet dès le départ.
En constatant, à travers les chiffres des répertoires de la SCAM (Société civile des auteurs multimédia) et de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et d’autres acteurs du secteur, que les vidéastes sont localisés pour la plupart hors de l'Île-de-France, l'idée a été de penser une association d’envergure nationale en capacité d’accompagner de façon simple l’ensemble de ces acteurs répartis sur tout le territoire. J’ai pris la direction de cette association à sa création, d’abord bénévolement puis en tant que salarié à temps plein en 2020.
Comment est né le projet de la Guilde des vidéastes ? Quelle était votre envie première au moment de sa création ?
Le projet de la Guilde des vidéastes est né en 2017 lorsque le festival Frames à Avignon a permis à plusieurs dizaines de vidéastes de se réunir sur plusieurs jours. En se rencontrant et en solutionnant des problématiques, ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient bâtir un système d’entraide. Ainsi est née l’idée de cette fédération professionnelle. La même année, l’arrivée du dispositif CNC talent a mis en évidence une forme de légitimité des vidéos du web en tant que véritable objet culturel ; parallèlement, les institutions ont exprimé le besoin d’avoir un interlocuteur unique sur le sujet. Après la consultation de nombreux acteurs du secteur, la présentation du rapport lors de l’édition de Frames 2018, et la recherche de financements pour concrétiser cette ambition, la Guilde des vidéastes a vu le jour en 2019.
De manière concrète, quelle aide offrez-vous aux vidéastes grâce à cette organisation ? Comment les accompagnez-vous au quotidien ?
Au quotidien, nous avons mis en place une permanence construite sur deux grands champs d'accompagnement. D'une part, un accompagnement socio-économique est nécessaire, avec la gestion, le développement ou la création d'entreprise, et le suivi des ressources. Une des singularités des vidéastes reste leurs multiples revenus émanant de publicités, de plateformes ou encore de financement participatif, donc il faut pouvoir réaliser une organisation fiscale. D'autre part, il faut gérer la partie juridique liée à la gestion des contrats qu'ils signent avec les marques, les producteurs et leurs partenaires. Cela a d’ailleurs motivé le recrutement d’une juriste à plein temps. Notre aide se fait essentiellement sur ces deux aspects, mais nous pouvons également les soutenir sur des problématiques plus sensibles comme le harcèlement ou les questions d’égalité.
Face à la grande diversité des contenus, comment parvenez-vous à rassembler les vidéastes, tout en leur apportant une solution personnalisée ?
Chaque vidéaste porte sa propre manière de travailler et ce n'est pas une mince affaire de synthétiser des modèles économiques qui peuvent les aider. Notre travail reste de les accompagner dans leurs démarches administratives et juridiques pour qu'ils puissent se consacrer à la création. Nous nous sommes rapidement rendu compte que nous pouvions aider tous les profils de vidéastes en offrant de nouvelles perspectives pour la filière au niveau national. En faisant émaner du terrain une connaissance plus fine de ces modèles économiques et de la production de l'audiovisuel en ligne, nous avons obtenu des données pour être entendus par le Conseil d’État. Aujourd'hui, plus le temps avance, plus nous sentons une adhésion dans l'existence d'une telle fédération.
Après plusieurs années d'existence, quel regard portez-vous sur les actions menées ? Avez-vous désormais la sensation que les vidéos produites pour le web possèdent une plus grande légitimité ?
Je ne crois pas que la Guilde puisse les aider à être plus légitimes sur les contenus : tout s'est démocratisé par la force des choses, notamment grâce à la reconnaissance du CNC. Le métier et la pertinence des contenus des vidéastes se sont imposés d’eux-mêmes. Même sans Guilde, on aurait fini par comprendre qu'il y avait une filière. Néanmoins, nous avons pu accélérer les choses sur les enjeux de professionnalisation en faisant rencontrer des vidéastes et les différents acteurs de la filière comme par exemple avec le Conseil d’État pour évoquer la question des droits d'auteur. Grâce à cette médiation sur l’ensemble du secteur, les différentes instance publiques et privées se sont alors aperçus de la complexité des choses et de la nécessité d'avoir une instance qui donne une légitimité en tant qu'industrie.
Il a fallu attendre 2019 pour que la Fédération des métiers de la création audiovisuelle voit le jour. Pourquoi cette entreprise a-t-elle pris tant de temps, à votre avis, alors que l'utilisation et la création de contenus sur Internet a explosé depuis de nombreuses années ?
En fait, je dirais plutôt que l'on va très vite. Si l'on regarde l'évolution depuis l'arrivée de Youtube en France, les choses se sont rapidement accélérées dès la naissance du phénomène social avec des créateurs comme Natoo, Cyprien ou Norman. Nous avons l'impression que cela a pris du temps puisque le secteur est très diffus et qu'il ne rentre pas dans des cases préétablies. Dans l'audiovisuel, on a l'habitude de distinguer les producteurs et les auteurs alors qu'ici, les mêmes personnes sont, à la fois, autrices et productrices. Nous n'avions pas les cases au début et c'est pour ça que la Fédération est née : créer un cadre professionnel adapté prend toujours beaucoup de temps et nous contribuons à le dessiner. Cela paraît long parce que la création de contenus sur Internet est omniprésente aujourd'hui mais, du point de vue de l'échelle sociologique d'une profession, c'était plutôt rapide.
De votre point de vue, quels sont aujourd'hui les réels enjeux pour le futur de la webcréation ?
Le véritable enjeu reste le renforcement de la professionnalisation. C'est un métier que l'on peut faire soi-même avec un smartphone, donc la marge est très grande et cela promet encore beaucoup d'innovations à venir. On peut également songer à la structuration en tant que filière, d'autant que nous avons réalisé des choses que nous ne pouvions imaginer il y a deux ans. Il y a également l'enjeu de mieux faire connaître cette filière auprès des institutions publiques pour que les régulations s'adaptent et que les vidéastes soient pris en compte dans leur réalité. Nous n'oublions pas la problématique économique qui est celle des grands groupes et des annonceurs : à notre sens, ils n'ont pas fini de se saisir des opportunités qui représentent ce médium de création pour atteindre des publics. Les enjeux sont enfin éducatifs, la webcréation permettant de diffuser des contenus éducatifs et culturels auprès des jeunes publics qui sont massivement présents sur les plateformes de contenus en ligne.
De quelle manière comptez-vous faire évoluer la Guilde des vidéastes ? Quels sont vos projets à venir ?
Nous souhaitons renforcer l'accompagnement et l'accès à la formation professionnelle en travaillant avec des universités et des écoles. Il ne faut pas forcément créer des diplômes de vidéastes mais compléter les formations qui existent. La décentralisation territoriale est également un enjeu majeur, alors que des régions créent des fonds spécifiques pour la webcréation.
Nous cherchons d’abord à consolider notre action au niveau national, mais nous souhaitons aussi rassembler tous les vidéastes de la francophonie. Nous travaillons d'ailleurs actuellement sur un projet à l'initiative de vidéastes belges, et nous envisageons également de nous agrandir vers la Suisse et le Québec.
L’Institut français a lancé le 24 novembre 2021, IFdigital, le nouveau site dédié à la création numérique française (art numérique, expérience immersive, jeu vidéo, livre innovant, médiation et éducation culturelle, webcréation).