Guillaumit
Après avoir été un temps directeur artistique du Carnaval de Bordeaux, l’artiste Guillaumit s’est spécialisé dans la réalisation de fresques qui font appel à la réalité augmentée.
Mis à jour le 22/12/2021
5 min
Vous êtes artiste plasticien, graphiste et motion designer. Pourriez-vous revenir rapidement sur votre parcours ?
J’ai d’abord commencé ma carrière au sein de la scène musicale électronique, avec le musicien Gangpol, au sein du duo Gangpol & Mit. Je prenais en charge la partie visuelle, en m’occupant de la conception de clips et de décors de scène. Cela m’a permis de beaucoup voyager et de rencontrer de nombreuses personnes. Petit-à-petit, on m’a proposé de plus en plus souvent de dessiner pour des affiches ou des visuels de festival, ce qui m’a amené à réorienter mon travail vers la direction artistique. Depuis, je partage mon temps entre les commandes et ma propre pratique personnelle.
Votre collaboration avec Gangpol a notamment donné naissance à la websérie Globozone. Pouvez-vous nous en parler ?
Globozone, c’est un peu le condensé de mon travail avec Gangpol pendant des années. Nous avions envie de développer nos idées avec une plus grosse équipe. Pendant trois à quatre ans, nous avons donc pu peaufiner les synopsis, tourner des pilotes, expérimenter. Cette série, qui est toujours visible sur le site arte.tv, nous a donné pour la première fois l’occasion de nous concentrer sur un projet pendant une période aussi longue. Globozone, c’est un mot qui renvoie au monde globalisé. La série se déroule dans un monde du travail très aseptisé, que les deux personnages vont troubler avec malice. Globozone traite, avec une patte humoristique, de thèmes comme la surveillance généralisée, le monde du travail, ou encore la biotechnologie.
Globozone met en scène deux personnages qui n’ont pas un usage très orthodoxe de la technologie : ils n’hésitent pas à la subvertir, à casser les appareils existants pour les reconstruire autrement. Est-ce qu’il y a quelque chose de vous là-dedans ?
Oui, on a mis beaucoup de nous dans ces deux personnages. Nous nous reconnaissons dans la philosophie do-it-yourself, qui prône d’essayer de ne pas être uniquement consommateur mais également acteur des outils numériques. Dans Globozone, les personnages vivent dans un monde aseptisé et essayent de vaincre leur ennui en détournant le monde très technologique qui les environne. Il n’y a pas de dialogues, et tout est basé sur la gestuelle.
Vous êtes connu pour privilégier des formes carrées, ou en tout cas géométriques, et toujours très colorées. Comment avez-vous développé ce style très personnel au fil des années ?
Ce style s’est affirmé à l’époque de mon travail au sein de Gangpol & Mit, même si j’essaie de faire en sorte qu’il se renouvelle régulièrement. Je travaille toujours avec des formes très géométriques : j’ai parfois l’impression d’être en train de jouer aux Legos quand je travaille. J’ai aussi une forme de mélancolie à l’égard de consoles comme la Megadrive, et de ces jeux vidéo aux formes simples, proches du pixel, avec des contraintes qui mènent à une économie de détails. Pour résumer, je dirais que j’essaie de créer des images assez impactantes, pas trop « chichiteuses », mais avec plusieurs niveaux de lecture.
Une autre constante dans votre travail est le fait d’investir l’espace public, par exemple dans le cadre du Carnaval des Deux Rives à Bordeaux, dont vous avez été le directeur artistique pendant trois ans.
Le Carnaval de Bordeaux a la particularité de laisser beaucoup de place à l’innovation. J’ai choisi à l’époque de lui donner un axe porté sur le numérique. Aujourd’hui, les masques se font plus souvent sous la forme d’un filtre Instagram qu’en papier crépon. Sans laisser de côté l’aspect folklorique du carnaval, il s’agissait donc d’en profiter pour faire des ponts avec la technologie. J’avais envie d’utiliser cette fête populaire pour proposer des ateliers, et pour expliquer aux enfants et aux adolescents les rudiments du code, ou comment fabriquer un filtre Instagram. Cette approche a un peu surpris au début, mais cela a bien fonctionné.
Plus récemment, vous avez réalisé plusieurs fresques dans l’espace public, notamment à Rennes. Comment avez-vous commencé à utiliser le monde extérieur en tant que support de création ?
Je travaille en effet régulièrement dans l’espace public, que ce soit pour des fresques jouables au sol ou pour des fresques murales. A Rennes, pour le projet Livelyyy, j’ai travaillé en partenariat avec Electron(K) pour le Festival Maintenant à la création d’une fresque murale. Cette fresque fonctionne comme un jeu vidéo en réalité augmentée dans la rue. Une multitude d’insectes apparaissent et on doit essayer de maintenir cet écosystème fragile le plus longtemps possible. J’ai également réalisé une fresque au sol dans le quartier Maurepas. Il s’agissait d’un chantier participatif, avec des enfants, des parents, des ateliers en amont. Il y a eu beaucoup de concertations et des rencontres avec les habitants, pour qu’ils puissent s’imprégner du projet. Cela s’est très bien passé : nous étions près d’une quinzaine de personnes sur le chantier et le projet a bien été accepté dans le quartier. J’essaie toujours d’y inclure un aspect participatif, car ce n’est pas rien de peindre dans l’espace public.
Vous avez beaucoup travaillé ces dernières années avec la réalité augmentée. Qu’est-ce qui vous a poussé à investir cet outil numérique plutôt qu’un autre ?
Quand quelque chose se passe dans la rue, de nos jours, on se retrouve vite face à une nuée de téléphones. L’idée, par exemple avec le carnaval de Bordeaux, était de créer quelque chose de spécial à partir de cette situation. On n’empêchera pas les gens de sortir leurs téléphones mais on peut, à partir de cette situation, essayer d’imaginer quelque chose de différent et de collectif avec ces machines. Les enfants ne restent d’ailleurs pas passifs devant les filtres que nous leurs proposons : grâce aux ateliers, nous les initions au code, pour qu’ils comprennent comment ça marche. Dans le cas de mes fresques, je développe souvent des petits jeux vidéo auxquels on peut accéder en scannant la peinture. Cela donne une dimension plus ludique à l’ensemble.
Quelle est votre actualité ? Avez-vous des projets à venir ?
Depuis mon expérience à Rennes avec les fresques murales, les projets de ce type se multiplient. Cet hiver, je travaille surtout en studio. Mais à partir de mars et avril, comme un ours qui sort de sa tanière, je quitterai mon bureau pour réaliser mes projets dans l’espace public. Je propose aussi en ce moment beaucoup d’ateliers qui allient confection de masques et réalité augmentée, notamment à distance, dans des endroits comme Singapour, le Togo, le Chili ou encore la Russie.
A l'occasion de Novembre Numérique 2021, le travail de Guillaumit était présenté dans le réseau culturel français à l'étranger.
Piloté par l'Institut français, Novembre Numérique est le mois des cultures numériques.
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