de rencontres
Rencontre
Musique

Hadi Zeidan

Je fais ma musique sans y mettre d’étiquettes

Fondateur du festival Beirut Electro Parade, qui fait étape à Paris le 25 octobre, le producteur Hadi Zeidan tisse une toile musicale faite d’allers-retours entre la France et le Liban, entre disques du passé et sonorités électroniques contemporaines. Il évoque son regard sur la création musicale, le monde arabe et l’Occident.

Publié le 30/09/2019

2 min

Image
Hadi Zeidan
Légende
Hadi Zeidan
Crédits
© DR

Né à Beyrouth, au Liban, vous vivez désormais à Paris, en France. Comment ce métissage influence-t-il votre œuvre et votre parcours artistique ? Entre le piano et la guitare plus jeune et les synthétiseurs analogiques en grandissant, mon parcours artistique s’est construit sur un premier métissage : celui des techniques. C’est ensuite à travers les rencontres, en voyageant et en quittant le Liban pour m’installer en France que j’ai commencé à me nourrir de la richesse des différentes cultures. Cette double vie, en France et au Liban, est à présent le moteur de mon travail : c’est au Liban que je puise mon inspiration, et c’est en France que je crée. Il y a toujours une relation entre d'où je viens et d'où je suis.

 

Vous avez mixé dans la majorité des clubs de Beyrouth. Quelle place occupe la fête dans la culture libanaise ? À quoi ressemblent les nuits beyrouthines ?

Le Liban a toujours été un terrain fertile culturellement. Ça se traduit évidemment par une économie très riche mais aussi par une société très complexe qui a besoin de s'exprimer, notamment à cause de la guerre. Beyrouth est une ville chaotique. Il y a un mélange de communautés très propice à l’expression artistique, ainsi qu’une forme d’« escapism », c’est-à-dire une recherche d'échappatoire de la jeunesse et de certains employés qui ressentent le besoin de couper avec leurs journées, dédiées au travail. Ça me rappelle beaucoup Londres ou Berlin : on travaille beaucoup la journée et le soir, on se lâche. Certains clubs proposent des soirées gratuites, mais dans d’autres clubs l’entrée peut dépasser les 1 000 euros.

 

Vous piochez beaucoup dans les disques libanais des années 1960 à 1980. Votre travail permet-il à votre public jeune de (re)découvrir la musique écoutée par la génération de ses parents et grands-parents ?

L’« escapism », ou la recherche d’échappatoire, existe également au niveau culturel : il y a eu une vague d’occidentalisation qui a d’abord mis la culture locale dans l’ombre. Pendant longtemps, on ne voulait pas écouter les disques sortis pendant la guerre. On a oublié l'âge d’or de la musique arabe. Peut-être qu'il s'agissait d'effacer la mémoire de la guerre.

Mes parents ne m'ont jamais parlé des années 1970-1980, et pourtant les traces de la guerre sont vraiment visibles partout au Liban. J'ai décidé il y a quelque temps d'aller creuser dans cette période-là. Je le dois à la fois à moi-même et à mon public, qui comprend cette nostalgie que j'ai pour Beyrouth.

Comme Londres ou Berlin, Beyrouth est marquée par la recherche d’une forme d’échappatoire : on travaille beaucoup la journée et le soir, on se lâche.

On observe un attachement à la musique traditionnelle arabe au sein d’une génération d’artistes électroniques — comme Omar Souleyman (en 2015 avec Bahdeni Nami) ou des DJs comme Glitter, Paloma Colombe ou encore le duo Acid Arab. Comment expliquez-vous ce mouvement ?

Il y a des différences entre ces artistes. Glitter est née à Rabat et y a habité jusqu'à ses 17 ans. Paloma Colombe est née en France mais elle est d'origine algérienne. Dans leur musique, il y a une recherche intime de leur identité, contrairement à Acid Arab, qui est un duo français dont la naissance coïncide avec la période des printemps arabes. Le contexte géopolitique était propice à une arabophilie, une ouverture d'esprit de l'Occident sur cette région du monde.

 

L’étiquette « musique du monde » est-elle encore valable aujourd’hui quand on voit la grande mixité des genres musicaux ?

Cette étiquette ne me dérange pas. Au Liban, on peut très bien utiliser ce terme pour qualifier la musique française ou américaine par exemple. Il ne faut pas être susceptible avec certains signifiants. Cela ne me dérange pas qu’on emploie des termes un peu plus accessibles pour des gens qui n’ont pas eu l’occasion de découvrir un certain vocabulaire musical. Personnellement, j’ai un remède à ça : faire sa musique et ne pas y mettre d’étiquette. Ma musique peut paraître arabe pour certains Français, et française pour certains Arabes. Le fait est qu’il s’agit d’un seul et même morceau.

 

Vous avez animé un atelier DJing intitulé « Beats in Iraq », aux côtés de la DJ Ipek, pour une douzaine de jeunes stagiaires. Comment ce projet s'est-il concrétisé ?

En 2018, j'étais invité à Bagdad, en Irak, par l'ambassade de France pour animer une soirée privée du 14 juillet. Le directeur adjoint de l'Institut français à l'époque, Thierry Vergon, avait découvert mon travail sur Internet et m'a invité à mixer ce soir-là. Il m'a également proposé d'aller au Kurdistan irakien — zone un peu plus libre que Bagdad — pour mixer dans différents clubs. J'ai remarqué qu'il y avait ici une autre approche du territoire de la nuit, de la vie nocturne, que celle qu’on peut vivre en Europe. Cela m’a donné l’idée d'animer cet atelier « Beats in Iraq » sur la culture du clubbing et de la musique électronique. Le projet a pris la forme d’un stage ouvert à tous sur candidature à Souleimaniye dans le Nord-Est irakien. Nous avons porté une attention particulière à respecter la parité femme/homme. Selon moi, il est essentiel de transmettre à ces jeunes une culture des clubs différente de celle à laquelle nous pouvons penser : la fête ne sert pas qu’à se divertir, elle permet aussi de s’épanouir et de s’exprimer, artistiquement et politiquement.

Pendant longtemps, on ne voulait pas écouter les disques sortis pendant la guerre. On a oublié l'âge d’or de la musique arabe.

L'atelier « Beats in Iraq » a eu lieu dans une ancienne manufacture de tabac. Le choix du lieu et de son énergie fait-il partie intégrante d'une performance artistique ?

L’usine était à l'écart de la ville : cette dimension hors champs faisait de ce lieu le repère parfait ! La scène électro doit être la sous-culture, elle doit être l’underground, le véritable écart du centre-ville, de la société, de ce qu’il s’y passe. Le lieu était non seulement charmant, mais complètement à l'écart de tout...

 

Comment voyez-vous le futur de la scène électronique arabe ?

La musique électronique se démocratise partout, mais le monde arabe manque d’infrastructures, de labels, de clubs, d’outils similaires à ceux qui ont permis en France l’émergence d’un mouvement tel que la French touch. Au Liban, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) ne reconnaît pas l’electro par exemple, donc il est difficile de gagner de l’argent. Dans le monde arabe, il n'existe même pas de fabricant pour presser des vinyles. Mais quelle que soit l’ère, quel que soit l’endroit, il y a et il y aura toujours des personnes qui s’expriment et s’exprimeront artistiquement.

Rencontre avec Hadi Zeidan
L'Institut français et le projet

Hadi Zeidan est, avec DJ Ipek, au cœur du projet de “Beats in Iraq”, atelier de musique électronique de deux semaines, organisés à l'initiative conjointe de l’Institut français et du Goethe-Institut à Souleimaniye, au Kurdistan iraquien, en mars 2019.

 

Le projet “Beats in Iraq” a bénéficié du soutien du Fonds culturel franco-allemand.

 

Piloté par l’Institut français pour sa partie française, ce fonds favorise la coopération culturelle franco-allemande à l’étranger en appuyant des projets menés en étroite collaboration avec les acteurs culturels locaux. En savoir + sur le Fonds culturel franco-allemand

 

L'institut français, LAB