Hervé Lemoine
Reconduit à la tête du Mobilier national en février 2021, Hervé Lemoine considère que la mission de cette institution plusieurs fois centenaire est aujourd’hui la transmission d’un certain savoir-faire, et la formation des jeunes générations aux métiers d’art et de design. Dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, de janvier à juin 2022, des pièces issues des collections du Mobilier national sont installées à Bruxelles. Au sein des bâtiments du Conseil de l’Union européenne, elles dialoguent avec les différentes œuvres du projet l’Étoffe de l’Europe™, dont l’Institut français réalise l’assistance à maîtrise d’ouvrage.
Mis à jour le 10/01/2022
5 min
Pouvez-vous nous présenter le rôle d’une institution comme le Mobilier national, que vous dirigez depuis trois ans désormais, en 2022 ?
Le Mobilier national est l’héritier de ce que l’on appelait par le passé le Garde-Meuble royal puis le Garde-Meuble impérial. Sa mission est aujourd’hui d’aménager tous les lieux officiels de notre République : les ministères, les résidences présidentielles, et nos ambassades à l’étranger. C’est la mission historique de notre institution, à laquelle ont été rattachées en 1937 les Manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais, spécialisées dans le textile et dans la savonnerie, c'est-à-dire dans la fabrication et l’entretien des tapis. Depuis 1964, le Mobilier National accompagne également la création en design grâce à un atelier de recherche et de création créé par André Malraux. Nous avons aussi des ateliers de restauration pour entretenir le patrimoine national important qui s’est constitué au fil des siècles. Cet ensemble est le garant d’une tradition liée à l'ameublement, mais perpétue surtout des savoir-faire et des métiers très rares. C’est cette mission de transmission et de formation qui me paraît vraiment essentielle aujourd’hui.
Quelle est votre ambition pour les années à venir ?
Le grand public connaît déjà notre rôle dans l’ameublement des bâtiments officiels et des ministères. Je voudrais aujourd’hui lui faire mieux comprendre que nous ne sommes pas seulement un « atelier de palais », et que nous avons une véritable mission de politique publique en faveur des métiers d’arts et du design. Et cela, dans l’optique revendiquée de concilier les deux. Nous essayons ainsi de dépasser l’antagonisme historique entre arts décoratifs et design et soutenons la création dans ce domaine. Je souhaite aussi continuer à porter des projets très concrets, comme le Campus des métiers d’art et du design, que nous avons créé l’année dernière avec le Rectorat de Paris et la Région Ile-de-France. Il réunit l’ensemble des lycées professionnels et des écoles d’arts appliqués dans le domaine des « métiers de la main » qui se trouvent sur ce territoire. Ce sont près de 8000 étudiants pour près d’une quarantaine d’écoles. L’idée étant encore une fois de s’ouvrir à la recherche, à la formation et à la transmission. Je souhaite enfin que le Mobilier National soit vraiment considéré comme « national », et non comme simplement parisien, puisque nous avons tout un réseau de confiance partout en France, avec des artisans, des maîtres d’art, des entreprises du patrimoine vivant. Nous voulons nous faire les promoteurs de ce réseau territorial très riche de compétences.
Les collections du Mobilier national enrichissent les aménagements scénographiques et artistiques des bâtiments du Conseil de l’Union européenne, dans le cadre de la Présidence française du Conseil del’Union européenne de janvier à juin 2022. Vous avez notamment présidé le jury qui a retenu le projet l'Étoffe de l’Europe™ d’Adeline Rispal. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Cet appel à projet posait une difficulté particulière, car il s’agit d’un aménagement provisoire, qui ne durera que six mois. Il y avait aussi beaucoup de contraintes, comme le fait de devoir libérer certaines salles à l’occasion d’événements particuliers. Les lieux eux-mêmes sont très divers : certains espaces sont proprement monumentaux, d’autres sont des lieux de passage, et d’autres encore sont confidentiels. Il fallait donc une proposition qui permette de résoudre cette complexité, l’idée étant aussi de s’interroger sur l’image que la France voulait donner d'elle-même pendant cette période à la tête du Conseil de l’Union européenne. Que voulons-nous incarner ? Quel message universaliste souhaitons-nous porter ? En cela, la proposition d’Adeline a emporté notre adhésion, d’autant plus qu’à titre personnel, j’ai été sensible au fait qu’elle comporte des œuvres tissées (tissages graphiques et textiles). Dans le grand hall du bâtiment de la Commission Européenne, ces grandes compositions vont napper le sol, et pourront être pliés et dépliés en fonction des circonstances. Cette idée que l’Europe serait comme la construction d’une tapisserie, avec une trame, des intervenants qui la colorent, m’a également beaucoup parlé. Dans une autre salle, une œuvre montrera d’ailleurs à partir des couleurs des drapeaux des premiers pays européens, jusqu’aux derniers arrivés, comment cette trame se tisse petit-à-petit. Malgré la complexité des lieux, la proposition des Ateliers Adeline Rispal réussit ainsi à délivrer un message assez fort : à la fois monumentale, à l’échelle du projet politique de l’Europe, et écologique, cette création textile est ainsi très cohérente.
Pourquoi avoir choisi de mobiliser les designers Philippe Nigro et Olivier Gagnère à cette occasion ?
Olivier Gagnère est une signature respectée, et j’étais favorable au fait de mobiliser quelqu’un de très reconnu à l’international. Philippe Nigro est un plus jeune talent, qui a lui aussi déjà une dimension transnationale, puisqu’il travaille beaucoup en dehors de la France. Le Mobilier national a déjà travaillé avec ces deux designers, et Adeline Rispal a d’ailleurs choisi une pièce de Philippe Nigro que nous avons coéditée. Chacun dans leur genre, par leurs styles très prononcés, ils représentent une certaine forme d’innovation à la française.
Quelles seront les autres grandes initiatives du Mobilier national en 2022 pour valoriser le savoir-faire français ?
Nous avons voulu porter des actions en faveur des deux écosystèmes avec lesquels nous travaillons le plus : les métiers d’arts et les métiers du design. Nous proposerons donc à nouveau, en 2022, un plan de restauration ouvert à des intervenants extérieurs, afin de leur fournir des commandes. Pour les jeunes designers, nous mettons aussi au point un programme d’acquisition, car la fermeture de tous les salons professionnels les a privés d’accès à une partie de leur clientèle. Nous serons également présents à la Paris Design Week, à Maison & Objets, à la Design Parade de Toulon, où nous remettrons un prix, sous la forme d’une résidence. A l’international, nous serons présents à Zona Maco, au Mexique, à Milan, où nous retournerons au Salon du Meuble, et aux États-Unis, à Miami Art Basel. Nous sommes aussi partenaires de la villa Médicis, dans le cadre d’un projet de remeublement de la villa, et de la toute nouvelle Villa Albertine, aux États-Unis.
L’Institut français exerce l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour le projet L'Étoffe de l’Europe™ (aménagements scénographiques et artistiques des bâtiments Juste Lipse et Europa du Conseil de l'Union européenne).
A l’occasion de la Présidence français du Conseil de l'Union européenne (PFUE) l’Institut français est particulièrement mobilisé pour œuvrer à la traduction des objectifs définis par le gouvernement pour cette Présidence. L’Institut français met en œuvre, en ce sens, une série de dispositifs et temps forts culturels qui contribuent à valoriser la créativité européenne.
En savoir + sur la programmation culturelle de l'Institut français durant la PFUE