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Hicham Falah  : le développement du FIDADOC à Agadir

Il est indispensable de répéter aux apprentis cinéastes que la réalisation d’un film documentaire nécessite un apprentissage, une démarche et un rapport au monde.

Réalisateur et chef-opérateur diplômé de l’École Louis-Lumière à Paris, Hicham Falah est délégué général du Festival international du film documentaire à Agadir. Il nous dévoile les coulisses de cette manifestation culturelle et les projets qu’il porte avec conviction, avec le soutien de l’Institut français. 

Publié le 05/09/2024

5 min

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Hicham Falah 
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Hicham Falah © Elise Ortiou-Campion

Depuis 2008 l'Association de Culture et d'Éducation par l'Audiovisuel, dont vous êtes le Président, organise le Festival international du film documentaire à Agadir (FIDADOC). Pouvez-vous nous présenter cette manifestation culturelle ? 

Le festival est né de l’idée d’une productrice franco-marocaine, Nouzha Drissi, qui avait quitté le Maroc pour poursuivre ses études en France. Elle a découvert le cinéma documentaire en travaillant dans des sociétés de production avant de monter la sienne et de mener une carrière à succès. Nous nous sommes rencontrés en 2007, au moment où elle est revenue au Maroc avec le souhait de produire des films documentaires dans le pays. Elle s’est alors rendue compte que cette tradition avait disparu et que le Maroc n’avait plus de référence en matière de documentaire créatif. 

Nous avons donc imaginé l’organisation d’un festival afin de montrer qu’il ne s’agissait pas seulement d’un outil pédagogique, mais que les films documentaires étaient du « vrai cinéma » qui raconte une histoire à travers des personnages. Pendant les deux premières éditions, nous avons mis en place des ateliers d’initiation destinés à des jeunes de la ville ou des passionnés de cinéma, organisés dans les locaux de l’Institut français du Maroc. En 2010, Nouzha Drissi a invité des responsables de France Télévisions et d’Arte à rencontrer des porteurs de projets issus des écoles de cinéma marocaines. Notre objectif était de confronter ces apprentis cinéastes marocains à des professionnels internationaux confirmés. A cette occasion, nous avons pu mesurer le décalage énorme entre le niveau de leurs projets et les attentes de producteurs ou de diffuseurs étrangers. Nous avons alors rejoint le réseau AFRICADOC et créé notre propre résidence d’écriture ouverte à nos voisins maghrébins et subsahariens. 

 

Dans le cadre du FIDADOC, vous organisez depuis 2012 une « Ruche Documentaire ». En quoi consiste ce projet ? 

En 2011, des problèmes financiers sont apparus et nous ont obligé à reporter en 2012 la quatrième édition du Festival censée inclure cette nouvelle composante. Notre fondatrice est décédée en décembre 2011 dans un accident de voiture. C’est à ce moment que j’ai pris la direction du festival, moi qui avais à l’origine une formation technique de directeur de la photographie et une expérience de réalisateur en fiction et en documentaire. La période entre 2011 et 2013 a été un moment de bascule, où les révoltes qui se déroulaient en Tunisie, en Égypte et en Syrie ont joué un rôle important dans le développement du documentaire dans notre région. 

Nous avons imaginé l’organisation d’un festival afin de montrer qu’il ne s’agissait pas seulement d’un outil pédagogique, mais que les films documentaires étaient du « vrai cinéma » qui raconte une histoire à travers des personnages.

En préparant la première édition de notre programme de formation et d’accompagnement artistique, m’est venue la métaphore de la « Ruche Documentaire » dont Nouzha serait la reine. Une ruche dont le miel sera une nouvelle génération de cinéastes et leurs films. Ce terme s’est immédiatement imposé et depuis cette date, toutes les activités éducatives et à vocation professionnelle du FIDADOC sont regroupées dans cette Ruche Documentaire qui s’articule autour de deux volets principaux.  

D’un côté, une « Université populaire du documentaire », ouverte aux apprentis cinéastes et à tous les passionnés du genre, destinée à leur montrer toute la richesse et la diversité du genre. D’un autre côté, une résidence d’écriture panafricaine qui accueille des jeunes auteurs porteurs d’un projet de premier film, avec l’ambition de les encourager à passer à l’acte et de les connecter au monde professionnel. 

 

La Ruche Documentaire est un projet lauréat du programme Accès Culture, dont le but est de favoriser le lien social et renforcer les collaborations entre acteurs culturels africains et français. Pouvez-vous nous parler de ce soutien et de son apport ?  

A travers un accompagnement trisannuels, de 2023 à 2026, Accès Culture nous permet de consolider et compléter les dispositifs existants, avec le souci permanent d’offrir à nos bénéficiaires un parcours de professionnalisation cohérent et d’accélérer la concrétisation de leurs films en leur offrant le maximum d’opportunités et de visibilité. 

Après 12 éditions, nous sommes fiers qu’une quarantaine de nos bénéficiaires aient réalisé leur premier film.

Entre 2012 et 2015, nous avons œuvré dans le cadre d’AFRICADOC, puis nous avons progressivement élargi et diversifié notre réseau à d’autres partenaires africains et européens. 

L’Institut français a été un soutien précieux, à commencer par celui d’Agadir où nous avons organisé les premières éditions de la Ruche Documentaire. Puis l’Institut français du Maroc et celui de Paris nous ont soutenu financièrement et favorisé la mobilité de nos bénéficiaires et intervenants. 

Plus généralement, nous pouvons compter sur la solidarité de tout l’écosystème du documentaire français, que ce soit les festivals (Lussas, FID Marseille, Cinéma du réel, FIPADOC, Sunny Side of the Docs) et des acteurs clés comme la SCAM et le CNC. Nous avons aussi activé le levier de la coopération décentralisée, que ce soit le jumelage entre les villes d’Agadir et de Nantes pour co-organiser pendant 5 ans un atelier Produire au sud avec le Festival des 3 Continents, ou l’accord de coopération entre les régions Souss-Massa et Nouvelle Aquitaine. 

 

Vous bénéficiez également de l’accompagnement du Parcours Création Cinéma, mis en place par l’Institut français dans le cadre du programme Création Africa. Cet accompagnement se concentre sur l’Université populaire du Documentaire. Quel est l’objectif que vous souhaitez atteindre ? 

Il y a quinze ans, il n’existait aucune formation au documentaire au Maroc. Il nous est apparu évident qu’il fallait créer un espace qui réunisse les étudiants et les passionnés, leur permette de voir des films et de rencontrer des professionnels du secteur. Nous avons privilégié les échanges avec de jeunes réalisateurs issus de pays qui sont proches du nôtre, culturellement et économiquement, afin que les jeunes Marocains se rendent compte que leurs homologues venant d’autres pays africains et/ou arabes confrontés aux mêmes obstacles qu’eux ont su trouver des solutions pour concrétiser leur rêve. Après 12 éditions, nous sommes fiers qu’une quarantaine de nos bénéficiaires aient réalisé leur premier film, certains ont créé leur société et reviennent ici pour identifier et choisir des projets issus de la Ruche documentaire. 

Nous sommes également fiers d’accueillir de grands noms comme Nicolas Philibert, qui en 2014 a été l’un des premiers à accepter notre invitation à parrainer la Ruche documentaire. 

Grâce au soutien de partenaires et de dispositifs comme le parcours Création Cinéma, nous contribuons à créer une communauté de jeunes amoureux du cinéma documentaire, que l’on espère voir devenir les cinéastes de demain. 

Les femmes cinéastes qui réussissent à signer plusieurs longs-métrages sont toutes de très fortes personnalités et restent des exceptions. 

Vous dirigez donc, depuis 2012, le Festival International de Film Documentaire d’Agadir, mais vous êtes également chargé, depuis 2008, de la direction artistique du Festival International de Films de Femmes de Salé. Ces quinze dernières années, quels changements avez-vous observé dans le développement du cinéma documentaire, mais aussi dans la place prise par les femmes au sein du 7e art ? 

Si je fais un flashback sur ces quinze dernières années, je peux dire que l’on vient de très loin. J’ai rencontré Nouzha Drissi, quand elle était jurée du Festival International de Films de Femmes de Salé créé en 2003 et dont j’assure la programmation depuis 2006. 

A cette époque, peu de gens savaient ce que recouvrait le terme documentaire créatif. Aujourd’hui nous en sommes presque arrivés à la situation inverse, où tout le monde veut faire du documentaire ou dit qu’il en fait. Le genre est devenu à la mode et ce phénomène a encore été renforcé par le succès de films récents comme La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir, dont nous avons soutenu la première phase d’écriture à l’occasion de la deuxième édition de notre résidence en 2013. La réussite d’Asmae et de nombreux autres « Ruchistes » comme Ousmane Samassekou, Aicha Macky, Hind Bensari, Adnane Baraka contribue à donner une image noble et valorisante du genre. Il est néanmoins indispensable de répéter aux apprentis cinéastes que la réalisation d’un film documentaire nécessite un apprentissage préalable, répond à une démarche et à un rapport au monde. Il faut continuer à se battre pour que le mot « documentaire » ne soit pas galvaudé. 

Partout dans le monde, le secteur du documentaire compte beaucoup plus de femmes que celui de la fiction, par conséquent les pays africains et arabes comptent toujours aussi peu de réalisatrices de fiction. Les femmes cinéastes qui réussissent à signer plusieurs longs-métrages sont toutes de très fortes personnalités et restent des exceptions. 

L'Institut français

La Ruche Documentaire et le FIPADOC d'Agadir bénéficient du soutien de deux programmes de l'Institut français : Accès culture et Création Africa (Parcours Création cinéma). 

 

Financé par l’Agence française de développement et mis en oeuvre en partenariat avec l’Institut français, le programme Accès culture a pour objectif l’accompagnement et le financement de projets culturels en Afrique dans le but de favoriser le lien social et renforcer les collaborations entre acteurs culturels africains et français. En savoir plus 

 

Le programme Création Africa vise à soutenir les Industries Culturelles et Créatives (ICC) africaines et à élargir le champ d’action de la France à de nouveaux partenariats sur le continent africain. En savoir plus 

L'institut français, LAB