Hubert Charuel
Comment mettre en scène le monde rural aujourd’hui en France ? Comment une épidémie qui touche les vaches permet-elle de mettre en relief tout ce que ce milieu a de contemporain et de singulier ? Rencontre avec Hubert Charuel, qui signe avec Petit Paysan son premier long métrage.
Mis à jour le 10/05/2019
5 min
Petit Paysan est un thriller teinté de comédie dramatique. Hubert Charuel y met en scène Pierre, un jeune éleveur de vaches d’une trentaine d’années, seul à travailler sur l’exploitation de ses parents. Une épidémie éclate un peu partout en Europe et touche les bovins. Pierre est un paysan plutôt obsessionnel et qui a très peur pour ses vaches. Il demande à sa sœur vétérinaire, Pascale, de venir ausculter une vache qui l’inquiète. Il se rend peu à peu compte que son troupeau est atteint par l’épidémie. Il va alors faire tout ce qu’il peut pour le sauver.
Pourquoi avoir intitulé votre film Petit Paysan?
C’est loin d’être péjoratif, bien au contraire ! L’étiquette de « petit » paysan est quelque chose de revendiqué. La taille correspond à la philosophie, elle est garante d’une valeur. Mes parents s’appelaient eux-mêmes comme ça. Petit Paysan parle du monde agricole d’aujourd’hui, ici et maintenant.
L’épidémie qui touche les vaches dans le film évoque nettement la maladie de la vache folle. Est-ce de cette crise dont vous avez voulu parler ?
L’épidémie que j’évoque dans Petit Paysan est inventée. Elle est toutefois très influencée par la vache folle. Je suis fils de paysans. J’avais une dizaine d’années au moment où la maladie de la vache folle est arrivée, ça a été un souvenir très marquant. On a vraiment eu très peur que la maladie arrive dans notre ferme ; ma mère était allée jusqu’à parler de se suicider si jamais cela se produisait. J’avais très bien compris que ce n’était pas une blague. L’idée principale du film est, pour ainsi dire, née de cette expérience, marquante.
Quel traitement avez-vous voulu donner au film ?
Ce long-métrage est un drame qui emprunte beaucoup aux codes du thriller, un petit peu aux codes du fantastique aussi, et à la comédie dramatique. C’était le premier pari du film et ce qui m’excitait dans ce projet : prendre cet univers rural auquel on colle souvent une image de film documentaire très naturaliste, très brute, et y injecter beaucoup de fiction.
Pierre et Pascale représentent deux visions opposées. On a d’un côté la passion, avec un paysan fou amoureux de ses vaches et, de l’autre côté, sa soeur vétérinaire, qui incarne la raison, qui est la porte-parole de la santé, de la loi. Le personnage de Jamie, interprété par Bouli Lanners, possède également une grande importance. Il représente une sorte d’extrémisme du monde paysan. Il était nécessaire pour moi de parler de cette forme de dépression et de folie qui touche ce milieu. C’est aussi leur isolement, leur enfermement maximum que j’ai souhaité retranscrire symboliquement dans ce film.
Comment vos acteurs se sont-ils familiarisés avec le monde des éleveurs ?
Swann Arlaud, qui joue le rôle de Pierre, est parti traire des vaches pendant deux semaines chez des cousins qui ont le même type d’exploitation que mes parents. Ses maîtres de stage m’ont dit qu’il avait été leur meilleur élève ! Quant à Sara Giraudeau, qui interprète le rôle de Pascale, elle est partie pendant une petite semaine avec des vétérinaires locaux pour apprendre l’essentiel des gestes. On la voit beaucoup dans le film fouiller les vaches – elle a, je pense, fouillé la moitié des vaches du département ! Il fallait qu’elle intègre à la fois les gestes techniques mais aussi, très important, tous les gestes qu’on ne remarque même plus,.
Comment avez-vous travaillé pendant le tournage ?
Trois dresseurs animaliers étaient à nos côtés ; mes parents étaient également présents, en soutien. Les animaux, c’est de loin ce qui a été le plus compliqué et ce qu’il y avait de plus dangereux : n’importe qui peut se faire écraser par une vache ! On a eu beaucoup de chance parce que les bêtes ont été très dociles et se sont laissées filmer très facilement. Les premières semaines ont consisté à filmer Swan comme dans on aurait fait pour un documentaire. On ne répétait pas : à partir du moment où on lançait la traite, c’était à nous de nous adapter.
Quel souvenir marquant du tournage gardez-vous ?
Mon souvenir le plus mémorable reste ces nuits d’affilée passées tous concentrés autour d’une vache qui devait vêler. Swan a mis au monde ce veau tout seul avec grand succès !
Comment avez-vous compris le succès de votre film en France ?
On a tous été surpris. On a été soutenu par la critique et le bouche-à-oreille a fonctionné. C’est un film d’art et d’essai qui normalement touche moins en province ; or c’est là où nous avons eu les meilleures entrées ! C’est dingue car il y a 6 ans, quand on a rencontré les premiers producteurs, ils nous disaient que la campagne c’était bien, mais qu’il fallait enlever les vaches et y mettre plutôt des meurtres . Comme quoi, ce type de sujet intéresse finalement les gens. On a tous un grand-père qui était paysan !
Vous avez gagné de nombreux prix, entre autres, le césar de la meilleure première œuvre, de la meilleure actrice dans un second rôle et du meilleur acteur. Comment s’est passée la remise de ces prix ?
Les Césars, ça va très vite. Cette année-là, il y avait cinq films qui avaient tous été des succès critiques et publiques. J’ai dû parler devant un million de spectateurs et devant 1400 personnes de la profession : autant vous dire que j’avais écrit mon discours sur ma petite feuille, et que je me suis accroché très fort à mon texte ! Ma plus belle réussite reste néanmoins les prix décernés à mes acteurs : ce point de rencontre entre nous est une jolie récompense.
Petit Paysan et K-Nada, court métrage réalisé par Hubert Charuel en 2014, sont diffusés à l’international par l’Institut français, au sein de la collection « Premiers films Premiers Plans d’Angers ».
Hubert Charuel part du 9 au 24 mars 2019 à la rencontre du public asiatique – au Cambodge, Vietnam, Sri Lanka, Hong-Kong et Macao –, au côté d’Emmanuel Morice et Nicolas Thomä, réalisateurs de La Cuisine des justes.