Igo Diarra et Bonaventure Soh Bejeng
Respectivement délégué général et commissaire artistique, Igo Diarra et Bonaventure Soh Bejeng Ndikung présentent ensemble les Rencontres de Bamako du 1er décembre 2019 au 31 janvier 2020. Intitulée « Courants de conscience » en référence à l’album de jazz d’Abdullah Ibrahim et Max Roach, cette édition s’attache à valoriser la photographie comme un art en perpétuel mouvement.
Mis à jour le 08/01/2020
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Les Rencontres de Bamako fêtent cette année leurs 25 ans. En quoi cette édition sera-t-elle différente des précédentes ?
Igo Diarra : L’un des changements fondamentaux de cette année, c’est que le Mali assume enfin sa responsabilité de producteur de l’événement de A à Z : toute la production se fera à Bamako, du tirage à l’encadrement. Nous pensons que la photographie ne se limite pas à ceux qui prennent des photos : il est essentiel de structurer toute la chaîne de l’industrie. Pour cette 25e année, nous avons voulu « renverser la table », réaliser une scénographie qui sorte un peu de l’ordinaire, de nos zones de confort. Nous voulons une Biennale qui soit pluridisciplinaire. Des écrivains, des penseurs et des musiciens maliens seront présents, autour de concerts et plus d’une vingtaine d’installations vidéo.
Bonaventure Soh Bejeng : Nous avons souhaité que cette Biennale soit une édition de cogitation, de réflexion profonde sur l’art, sur le vivre-ensemble, et sur la photographie. Qu’est-ce qui fait la photographie, et qu’est-ce qu’elle peut faire ? Nous voulons parler de la photographie en la dépassant.
Pourquoi avoir choisi d’intituler l’exposition « Courants de conscience » ?
Bonaventure Soh Bejeng : À l’époque où j’ai commencé à travailler sur la biennale, j’écoutais l’album Streams of consciousness d’Abdullah Ibrahim et Max Roach. L’un est Sud-Africain, l’autre Afro-Américain. Ensemble avec cet enregistrement, ils font vivre un courant de conscience, un lien entre l’Afrique et ses diasporas. L’idée centrale de cette exposition est de présenter l’Afrique comme une entité qui dépasse ses frontières, un continent qui n’est pas limité à la seule terre mais inclut les eaux, les océans, les Africains vivant en Inde, au Brésil, en France ou en Allemagne. J’ai aussi été influencé par le Niger, ce fleuve qui traverse Bamako mais passe aussi par plusieurs villes en Afrique de l’Ouest. Il forme une connexion entre six villes (Bamako, Tombouctou, Niamey, Onitsha, Lokoja et Tembakounda). Cette rivière, c’est ce courant de conscience : un courant de civilisations, de savoirs et d’idées.
Avez-vous eu envie de faire de cette édition, une sorte de rétrospective de la Biennale ?
Bonaventure Soh Bejeng : Je ne souhaitais pas faire une rétrospective classique qui consiste à faire venir les artistes qui ont gagné des prix pendant 25 ans, mais plutôt proposer une rétrospective des idées qui ont été évoquées pendant les dernières éditions. Qu’est-ce que faire de la photographie en Afrique ? Qu’est-ce que l’identité et les cultures africaines ? Pourquoi réaliser une biennale de la photographie en Afrique ?
Igo Diarra : Il s’agira d’une rétrospective sous la forme d’une investigation du futur de la photographie.
Comment avez-vous sélectionné les artistes de cette édition ?
Bonaventure Soh Bejeng : Le métier de commissaire peut devenir très égocentrique : je voulais à tout prix dépasser ce travers et être dans le dialogue. Aziza Harmel, Astrid Sokona Lepoultier et Kwasi Ohene-Ayeh ont des approches très différentes ; je voulais faire travailler ensemble, et avec moi, tous ces jeunes curateurs. C’est ensemble que nous avons choisi les artistes et écrit l’exposition.
Lors de l’appel à projets, nous avons reçu 330 candidatures parmi lesquelles nous avons choisi une quarantaine d’artistes et en avons sélectionné une quarantaine d’autres. Au final, nous comptons aujourd’hui 85 « positions ». Je dis « positions » et non pas artistes, parce que nous avons intégré de nombreux collectifs. C’était un point important à mes yeux : inviter des collectifs, c’est s’interroger sur le vivre -ensemble. Comment travailler ensemble ? Comment dépasser les egos de chacun pour faire de l’art ? Dix collectifs seront présents à la biennale, des collectifs en provenance d’Haïti, d’Algérie, mais aussi trans-africains comme Invisible borders ou pan-africains comme MFON: Women Photographers of the African Diaspora.
Quels seront les autres artistes exposés ?
Bonaventure Soh Bejeng : Il y aura également ceux que l’on appelle les «Solid rocks », des artistes qui travaillent depuis des décennies. On a invité Deborah Willis, photographe et curatrice, le Nigérian Akinbode Akinbiyi qui fait de la photographie depuis les années 1970, ou encore Felicia Abban, la première femme photographe du Ghana. La jeune garde n’est pas en reste non plus avec Adeola Olagunju qui travaille sur la spiritualité, mais aussi la Sud-Africaine Jodi Bieber qui va proposer un format né d’interviews avec des jeunes. Il y aura aussi l’artiste conceptuel camerounais Guy Woueté qui présentera une série d’autoportraits stéréotypés où il pose avec des ignames ou des bananes. Enfin, huit poètes ont été sélectionnés pour participer à la rédaction du catalogue de l’exposition
Les artistes seront exposés dans des lieux différents, notamment au Musée National du Mali, au Musée du District, à la Galerie Médina et à l’Institut français de Bamako. Pourquoi avoir multiplié les espaces ?
Igo Diarra : Le nombre de sites est en augmentation parce que le nombre d’artistes a augmenté ! Ensuite, nous pensons qu’il est nécessaire que l’art se rapproche des gens. Pour cela, nous avons décidé d’investir, en plus des lieux muséaux, le champ scolaire. Certains anciens internats et réfectoires deviendront des galeries-musées.
Bonaventure Soh Bejeng : Nous souhaitions effectivement décentraliser l’art, ne pas rester dans les lieux connus. Pour la première fois, le musée des femmes va participer à la Biennale. Et cela permet de s’interroger sur ce qu’est une exposition. Doit-elle se faire seulement dans les musées ? Ne peut-elle pas aussi avoir lieu dans la rue ?
La photographie occupe-t-elle une place particulière en Afrique ?
Igo Diarra : Bamako, c’est la Mecque de la photographie africaine, tous les talents qui ont émergé sur le continent ces 25 dernières années ont fait leurs armes à Bamako. Et pratiquement tous les grands photographes sont passés par la Biennale. C’est un passage obligé !

Fondées en 1994, les Rencontres de Bamako sont organisées par le Ministère de la Culture du Mali avec le soutien de l'Institut français.