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Création numérique

Isabelle Arvers

La nouvelle génération d’artistes et d’activistes fait sa propre décolonisation : une nouvelle parole émerge.

Isabelle Arvers est commissaire d’exposition spécialiste du jeu vidéo, qu’elle utilise comme médium en tant qu’artiste. Elle explore le monde des arts numériques et du jeu vidéo, et vient de clôturer un tour du monde, l’Art Games World Tour, à la rencontre de ses acteurs, afin de promouvoir la diversité des genres, des sexualités et des origines géographiques.

Mis à jour le 09/03/2021

10 min

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Isabelle Arvers
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© Hodin Seynion

Afin de fêter vos 20 ans de carrière, vous êtes allée à la rencontre d’artistes du numérique dans une quinzaine de pays. Comment est né l’Art Games World Tour ? Comment avez-vous procédé pour aller à leur rencontre ?

Depuis mes débuts en 1997, j’ai toujours essayé de montrer l’autre côté de l’univers du jeu vidéo — la diversité, les jeux alternatifs — et comment il peut être utilisé comme médium. En Occident, les questions de diversités sexuelles, de genre ou d’origines géographiques sont de plus en plus prises en compte. Vingt ans après mes débuts, j’ai voulu savoir ce qui se passait dans les pays non-Occidentaux, afin de décentrer ma pratique et montrer autre chose. J’ai décidé de partir dans des pays du Sud en me focalisant sur les pratiques féministes, queer et décoloniales. Je voulais comprendre comment ces sujets étaient traités par des développeur.se.s, des activistes ou des personnes utilisant le jeu vidéo comme médium. Je me suis appuyée sur mon réseau d’artistes et féministes. Le fait d’être recommandée par des personnes permet d’entrer dans une sphère de confiance et d’aborder des sujets délicats, voire tabous ou illégaux, comme . Comme la question queer ou féministe. En Corée, par exemple, parler de féminisme, c’est risquer de perdre son travail !

L’un des objectifs de ce tour du monde est de rendre compte l’état de l’art en matière de jeux vidéos et d’art contemporain dans différents pays. Vous êtes désormais rentrée, quel état des lieux faites-vous ?

Aujourd’hui, nous pouvons parler de néo-colonialisme plutôt que de post-colonialisme pour ces pays. Il y a une tendance « Ne nous libérez pas, on s’en charge » (2020) pour reprendre le titre de l’ouvrage de Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel. La nouvelle génération d’artistes et d’activistes fait sa propre décolonisation : une nouvelle parole émerge. Il est désormais possible, par exemple, de trouver des jeux créés par des indigènes. Les plateformes de diffusion en ligne permettent de contourner ceux qui détiennent le pouvoir. En Inde, en Amérique Latine et un peu en Afrique, des jeux qui utilisent la culture locale commencent à émerger, comme le jeu « Dahalo » en langue malgache mais sous-titré en français et anglais. Là où le numérique est peu développé dans les réseaux d'artistes, il faut créer la rencontre et les collaborations. Il est important pour moi de promouvoir cette diversité, de faire connaître leurs cultures et de les accompagner dans cette reconnaissance.

Quels pays, selon vous, se démarquent le plus en matière d’art numérique et de jeu vidéo ? Pourquoi ?

Je n’ai pas exploré tous les pays et tout dépend des formations proposées dans chacun d’entre eux. Dans l’art numérique, le Brésil se démarque car il bénéficie du financement des banques et compagnies pétrolières. Ce pays tire sa carte du jeu dans l’univers du jeu vidéo également, y compris dans la lutte contre les discriminations de genre et de sexualité. Certaines sociétés de jeu indépendant possèdent des comités éthiques allant dans ce sens. La question des minorités trouve un écho dans le jeu vidéo, comme en témoigne le jeu Os caminhos da Jibóia développé par l’anthropologue Guilherme Menezes avec les indiens Huni Kuin. Le Nigéria et le Kenya sont riches en création en réalité virtuelle et vidéoludique. Très souvent,  les artistes qui utilisent le numérique ont fait leurs études en Angleterre ou aux États-Unis.

L’art numérique commence à intégrer les musées et les galeries, mais cela reste balbutiant car le marché de l’art contemporain est toujours basé sur des médiums plus traditionnels et sur l'objet

Quelle place les femmes artistes et développeuses des pays du Sud trouvent-elles dans le domaine du numérique ?

Leur place est plus ou moins égale à celle qu’ont les femmes européennes : entre 2 et 10 % selon les pays.  En Amérique Latine, les femmes occupent une place importante dans le domaine du numérique, notamment dans le jeu vidéo. J’ai découvert Melisa Allela au Kenya, qui utilise le jeu vidéo comme médium et propose un projet de narration interactive en réalité virtuelle revisitant le conte africain. En Asie, la question est complexe. Il y a des femmes dans le domaine du numérique mais peu de réseaux féministes, à l’exception de Taïwan qui fait figure de pays progressiste : Audrey Tang, ancienne hackeuse, est la première femme transgenre au monde à être ministre !

Vous êtes l’une des spécialistes françaises des machinimas. Quel regard le public porte-t-il sur cette pratique ? Le processus créatif de ces œuvres numériques est-il différent de celui d’un film ?

Les machinimas constituent un genre cinématographique ainsi qu’une technique de production de film. Le processus de création est similaire à celui d’un film à la différence que la caméra se trouve à l’intérieur d’un moteur de jeu. À l’aide d’un moteur de jeu vidéo, il est possible de capturer des séquences à l’intérieur d’espaces virtuels, directement dans le jeu vidéo, et de créer ainsi de nouvelles narrations. Il faut un scénario et l’équipe technique est réduite. Il est possible de retravailler des plans caméras avec le jeu GTA et des logiciels, comme Moviestorm, ont été développés spécifiquement pour faire des films à partir d’un moteur de jeu.

Il y a eu un certain engouement entre 2006 et 2010. Le site Machinima.com dédié  a reçu beaucoup de visites, et développé une chaîne YouTube qui a compté jusqu’à 12 millions d’abonnés à travers le monde. Le site et la chaîne ont été fermés en 2019.

Vous avez commencé votre carrière comme commissaire d’exposition et critique d’art spécialisée en jeu vidéo en 2000. Quelles sont les évolutions majeures, qui, selon vous, ont marqué ces secteurs ?

L’accès et l’ouverture de moteurs de jeu comme Unity ou Unreal est une évolution majeure, sans compter l’émergence de plus petits moteurs de jeux et logiciels, parfois gratuits. L’apparition de plateformes de diffusion en ligne de  jeux vidéos, comme Steam ou Itch.io, ont permis aux productions indépendantes de se multiplier à un tarif abordable pour le joueur. Enfin, de nombreux jeux ont été produits et commercialisés grâce au crowdfunding. L’art numérique commence à intégrer les musées et les galeries, mais cela reste balbutiant, car le marché de l’art contemporain est toujours basé sur des médiums plus traditionnels et sur l'objet.

L'Institut français et le projet

Pour son projet Art Games World Tour, Isabelle Arvers a été soutenue par l'Institut français dans le cadre de IF Incontournable. 

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