Jean-Claude Mourlevat
Des livres qui consolent et une écriture faisant l’éloge de la modestie : telle est le credo de Jean-Claude Mourlevat, dont L’Enfant Océan (1999) a marqué son entrée foudroyante en librairie – avec plus d’un million d’exemplaires vendus – et dans les écoles, où il figure parmi les classiques jeunesse que l’on étudie. Plus d’une quinzaine de romans plus tard, rencontre avec l’écrivain, tout juste revenu d’une résidence à San Francisco.
Mis à jour le 28/01/2020
2 min
Votre vie d’écrivain a commencé relativement tard, à plus de 40 ans. Quel en a été le déclic ?
J’ai d’abord été professeur d’allemand dans un collège pendant 5 ans. J’y étais heureux mais j’avais envie de faire autre chose, d’exprimer ma créativité différemment. J’ai alors fait du théâtre en tant que comédien et metteur en scène. J’ai monté deux spectacles clownesques dont l’un, Parlez-moi d’amour (1990), a énormément tourné à l’étranger, notamment en Asie et en Afrique, parce qu’il était muet. Les gens du théâtre me conseillaient souvent d’écrire, ce que j’ai finalement fait pour la scène, avec quelques contes qui ont été publiés. Puis j’ai écrit L’Enfant Océan, comme si j’écrivais pour le théâtre. C’est à partir de ce moment-là que tout a basculé...
Comment définiriez-vous votre univers littéraire ?
Je ne me vois pas comme un auteur jeunesse, statut auquel on me réduit souvent, mais comme un auteur tout court. Je me nourris de littérature en général et je me balade dans tous les paysages littéraires possibles. L’Enfant Océan est une sorte de conte, de Petit Poucet revisité, avec 25 narrateurs, dans une ambiance très sombre. Tout ce qu’il ne faut pas faire pour plaire aux enfants ! Alors que La Rivière à l’envers (deux tomes, 2000 et 2001) est un roman d’aventures… Jefferson, mon dernier livre, est quant à lui un polar animalier.
Pourquoi être passé au polar ? Est-ce un genre qui parle bien au jeune public ?
Je me garde bien de me demander ce qu'aiment les enfants, et de ce qui peut leur parler ! J’aime avant tout explorer les territoires où je ne suis pas encore allé. Jefferson est un roman engagé où je parle de la condition animale. J’ai fait le choix d’un polar parce que c’était nouveau pour moi, et que cela faisait presque quinze ans que j’avais écrit La Ballade de Cornebique, où les personnages sont des animaux qui se comportent comme nous, et je me souvenais m’être beaucoup amusé à l’écrire.
Vous revenez de 6 semaines de résidence à San Francisco. Que vous a-t-elle apporté ?
Je suis parti pour travailler sur un roman qui a pour toile de fond la ville de San Francisco, sur le thème plus ou moins imposé de cette résidence A room with a view : « After Tomorrow » (« après demain »). Un thème qui invite, si ce n’est à la science-fiction, du moins à l’anticipation. J’ai commencé à écrire quelques pages là-bas, et je vais continuer ici.
J’ai adoré San Francisco pour sa tolérance, sa liberté, son ouverture d’esprit. La ville m’a touché et m’a laissé rêveur : ah, si le monde entier était comme ça ! J’ai participé à des rencontres dans des lycées et j’ai assisté au festival Litquake (“tremblement littéraire”). Le Combat d’hiver et L’Enfant Océan sont d’ailleurs traduits en anglais.
Quel est votre rapport à la littérature américaine ? Et plus particulièrement à ses classiques de la littérature jeunesse : Mark Twain, John Steinbeck, Jack London…
J’essaie de lire en anglais ! Et j’aime ce côté très direct, très efficace des auteurs américains, et aussi leur talent un peu planqué : on ne voit pas trop leurs effets de styles alors qu’il y en a ! Les Américains savent raconter des histoires. Je pense à Paul Auster, Douglas Kennedy, John Fante. Vous évoquez John Steinbeck, alors je pense à Des souris et des hommes, qui est bouleversant. Ce livre-là, j’en suis jaloux ! Côté britannique, j’apprécie toujours autant La Ferme des animaux de George Orwell. Sans oublier Roald Dahl bien sûr, plein d’humanité et si drôle, avec cette obsession de ne pas ennuyer les gens. Il faut lire Matilda et Sacrées Sorcières !
Vous avez fait plusieurs fois le tour du monde. Quelles ont été vos destinations les plus marquantes ?
Avec mes livres, je suis effectivement allé dans beaucoup de lycées français, de Sydney à Moscou… Mais ce qui m’inspire le plus, c’est là où il fait froid ! C’est l’atmosphère qui apparaît dans Le Combat d’hiver (2006) ou Le Chagrin du roi mort (2009). J’aime l’Islande, la Scandinavie, ces pays où l’on cherche la chaleur des relations humaines. Je suis né dans un coin reculé d’Auvergne. Je me souviens de m’être gelé les doigts en allant à l’école… Et, en rentrant, l’hiver, d’avoir aperçu la lumière et la chaleur de la maison au loin.
Vous allez souvent à la rencontre du public. Qui sont vos lecteurs et lectrices ?
Mes lecteurs partagent avec moi une façon d’appréhender le monde et de comprendre les gens. Il y a, entre eux et moi, l’idée que nous devons faire preuve d’humanité, tant que possible, et faire l’effort de considérer les autres. Nous partageons l’espoir que l’on pourra surmonter beaucoup de choses, qu’il faut garder confiance.
Jean-Claude Mourlevat a effectué en novembre-décembre 2019 une résidence d'écriture A room with a view à San Francisco avec le soutien de l'Institut français.