Jeanne Cherhal & Thierry Frémaux
Autrice, compositrice et interprète, Jeanne Cherhal a été invitée à deux reprises par Thierry Frémaux à l’Institut Lumière à Lyon. Une première fois en 2019 lors d’un hommage à Francis Ford Coppola, où elle a interprété la chanson du Parrain, puis l’année suivante pour chanter Bruxelles de Dick Annegarn devant les frères Dardenne. Cette fois-ci, Thierry Frémaux et Jeanne Cherhal ont imaginé Cinéma !, un spectacle dédié aux chansons de cinéma.
Mis à jour le 12/07/2021
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Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un spectacle ?
Jeanne Cherhal : C’est une idée de Thierry ! Il voulait faire une proposition plus longue, plus étoffée. Il avait envie de me confier une carte blanche en me laissant libre sur le répertoire. Quand il m’a invitée la première fois, Je n’avais jamais joué la chanson du Parrain avant. Même si je suis de nature angoissée, j’adore ce genre de défi, c’est un moteur exceptionnel. La proposition de Thierry de faire un spectacle entier était attirante et très ludique. Ça m’amuse et me nourrit de me plonger dans ces morceaux.
Thierry Frémaux : L’Institut Lumière est une cinémathèque, un institut d’histoire du cinéma, donc j’estime que rendre hommage aux musiciens et aux auteurs de chanson de cinéma fait partie de notre mission. Intégrer ce type de spectacles entre des films de Dreyer et de Tarkovski fait aussi partie des plaisirs de ce métier. C’est aussi une certaine façon de rendre justice aux mélodies du cinéma français. Les musiciens de films sont des musiciens tout court, ce ne sont pas des musiciens de cinéma. Le spectacle rend justice à la qualité des mélodies du cinéma français, à ce transport mental immédiat que suscite une musique de film.
Comment avez-vous choisi les chansons du spectacle ? Le choix s’est fait en collaboration ?
Thierry Frémaux : Lorsque nous nous sommes revus, nous avons très vite élaboré une liste de chansons qui, d’une manière ou d’une autre avait avoir avec le cinéma. Cela pouvait être une chanson de film, une chanson écrite par un cinéaste ou même une chanson réadaptée. Comme, par exemple, la très belle version de Jean-Louis Aubert de Dis quand reviendras-tu ?. Une chanson que Philippe Claudel a mise en générique de fin de son film Il y a longtemps que je t’aime.
Jeanne Cherhal : Cette première set-list était quatre fois trop longue ! C’est assez magique de se replonger dans les bandes originales, c’est un répertoire infini et toujours renouvelé. Une fois que l’on a fait cette première liste d’une quarantaine de chansons, je me suis vraiment attachée à voir ce qu’elles évoquaient pour moi. J’ai passé l’été 2020 à monter ce concert, j’ai suivi mon intuition par rapport à ce que m’inspiraient ces morceaux, les liens que je pouvais avoir avec les films. C’est important quand on s’approprie un répertoire de se sentir en phase avec les morceaux et de sentir qu’on va pouvoir y apporter sa petite contribution.
Quelles chansons avez-vous choisies et pourquoi les avoir sélectionnées ?
Jeanne Cherhal : J’avais envie de reprendre Jésus revient du film La Vie est un long fleuve tranquille. On peut se demander ce que cette chanson peut faire dans un répertoire un peu sérieux, mais pour moi, c’est très sentimental ! Ce morceau parle aussi à plein de gens et ça fait une respiration humoristique dans le concert. J’ai essayé de construire le set comme ça, de façon intuitive et comme un chemin de cinéma, qui ressemblerait à mon chemin de cinéphile.
Thierry Frémaux : En plus de la chanson du Parrain, qui est un de mes films préférés, il y a L’horloger de Saint-Paul de Philippe Sarde.
Jeanne Cherhal : Oui, c’est d’ailleurs un des seuls moments totalement instrumentaux dans le spectacle. C’est un thème que j’avais en tête depuis vingt ans ! Je chante également le générique de Cría cuervos de Carlos Saura, Porque te vas. C’est un film qui a été très important pour moi et qui parle à mes souvenirs de sœur. Je suis l’aînée d’une « sororie » de trois et je m’identifie énormément aux trois petites sœurs du film de Carlos Saura. Cette chanson représente quelque chose de mon parcours intérieur, mais c’est aussi un hommage à ces films immenses et ces bandes originales que l’on a tous en tête et qui peuvent parfois vivre sans le film. Porque te vas est un tube interplanétaire !
Ici, la musique et le cinéma sont intimement liés. Est-ce un lien évident pour vous ?
Thierry Frémaux : La musique et le cinéma sont inséparables bien que cela ne m’empêche pas d’aimer le cinéma des Frères Dardenne dans lequel il y a très peu de musique. Avec l’Institut Lumière, nous avons rendu hommage à Serge Reggiani, nous avons accueilli Bernard Lavilliers et Alain Chamfort. Je suis un fou de musique et de chansons ! Les artistes et chanteurs m’ont servi de vade-mecum idéologique bien plus que certains penseurs. Dans ma jeunesse, j’ai plus appris à vivre avec Brassens, Ferrat, Aznavour et Ferré qu’avec les quelques idéologues qui dominaient la pensée d’alors !
Jeanne Cherhal : Pour moi, ce sont deux formes d’art et d’expression qui sont cousines, et qui sont émotionnellement assez proches. Je suis très sensible au choix des bandes originales et de ce que cela dit du réalisateur. Je pense notamment au dernier film de François Ozon, Été 85. La bande originale dit beaucoup de choses sur l’époque ! Cela apporte un supplément d’âme.
Jeanne, il y a un grand travail de création autour de ces musiques… Comment vous êtes-vous réapproprié les chansons ?
Jeanne Cherhal : Quand je fais une reprise, j’aime bien constater ce qu’il m’en reste. Plutôt que de réécouter et faire du note à note, j’essaye de compter sur ma mémoire et mon oreille intérieure. La seule chanson pour laquelle j’ai eu un gros travail de réécoute, c’est le thème du Parrain. Il fallait que je comprenne la grille d’accords précisément. Sinon, j’ai essayé de faire confiance à ma mémoire. Je me suis laissé guider par ce que ces mélodies pouvaient m’apporter d’elles-mêmes en termes de développement harmonique. J’essayais des choses, je faisais plusieurs versions, je m’enregistrais puis je réécoutais. J’ai pris le temps de beaucoup jouer, et de me tromper parfois ! Je fais confiance à l’erreur, elle peut être une ouverture vers une nouvelle direction, un heureux accident.
Les chansons sont issues de films et d’époques différentes et font aussi appel à des émotions très variées. Dans le spectacle, comment faites-vous le lien entre les chansons ?
Jeanne Cherhal : Je me suis autorisée à parler parfois de ma famille entre les chansons. J’explique ou je raconte des choses très personnelles sur mes choix de chansons, même si parfois j’ai envie de ne rien dire. Cela crée un lien assez intime avec le public.
Pourquoi avoir choisi de nommer le spectacle Cinéma ! ?
Jeanne Cherhal : C’est un titre provisoire qui s’est imposé de manière très naturelle. C’est tellement parlant que l’on n’a pas cherché à trouver mieux. La première fois que l’on a joué, nous étions dans une salle de cinéma, le piano posé devant un écran. Le point d’exclamation, c’est une déclaration d’amour au cinéma, c’est une façon de dire à quel point je l’aime, et à quel point il m’est indispensable.
Thierry Frémaux : Et puis c’est une sorte de réponse à certains journaux qui annoncent régulièrement la mort du cinéma face aux plateformes et à Internet. Ce point d’exclamation est tout à la fois : un bonheur, un rire, un sourire. Le cinéma n’est pas mort !
L'Institut français soutient le projet Cinéma ! et prévoit de l'accompagner à l'étranger, à Hong Kong, au Royaume-Uni mais aussi sur le continent Africain.