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Jehyna Sahyeir

Reconnecter les jeunes à leurs racines, inspirer les générations à venir

Comédienne et chanteuse, Jehyna Sahyeir incarne à 25 ans la relève de la musique traditionnelle haïtienne avec un style mêlant jazz et vaudou. En résidence à la Cité internationale des Arts à Paris, elle était sur les planches à Blois dans un cabaret musical le 9 mars dans le cadre du festival Aux arts citoyennes.

Mis à jour le 13/03/2020

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Jehyna Sahyeir
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Jehyna Sahyeir
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À 25 ans, vous êtes l'une des rares musiciennes haïtiennes de votre génération à remettre le vaudou à l'honneur. Pourquoi ?

La jeune génération se détourne de ses racines. C'est un héritage que moi je prends, même s'il est lourd à porter dans un pays qui « s'effondre ». On est assailli de questions. On se demande quelle ligne musicale proposer, comment ouvrir cet héritage au monde, comment réparer chez soi, et surtout, comment s'y prendre pour créer ce grand rassemblement vaudou quand on a que sa voix et son corps.

 

Dans quel courant artistique vous inscrivez-vous ?

Le temps m’a fait prendre conscience que j'étais liée à cette musique vaudoue. C’est un puits dans lequel je tire ma force, en m’inspirant aussi bien de musiques, de chansons que de danses, de prières ou de rituels vaudous que je réadapte. Mais je ne me cantonne pas à une mouvance artistique : je suis constamment dans la recherche. J'écris mes propres chansons et je les associe au jazz, au soul et au blues qui, comme le vaudou, sont des musiques nées de la lutte. Je m’approprie certains de leurs codes, j'ajoute les miens, et je crée ainsi des sons nouveaux.

 

Vous êtes en résidence à la Cité internationale des Arts jusqu'en avril : que vous apporte cet environnement ?

Je ne fais que regarder l’architecture haussmanienne depuis mon balcon ! (Rires.) Plus sérieusement je chante, j’écris, je lis et j’observe. Être en résidence me permet de rencontrer d'autres artistes venus d'horizons et de cultures diverses, de partager nos expériences et ce que l'on ressent à travers ce que l'on fait. Ce contexte est très inspirant ! D'autre part, en étant immergée dans ma création, je me concentre mieux : les mélodies s’alignent mieux dans ma tête et les rencontres sont une bonne occasion pour faire le plein d’humanité.

 

Quel est le projet y menez-vous ?

Je travaille sur l’écriture et la composition de mon premier album, qui s’inscrit dans la continuité d’un travail précédent : MARASA. Musicalement, je suis toujours dans cette recherche de mariage des cultures avec la tradition vaudoue. Marasa signifie jumeau en créole ; et parfois, les jumeaux ne s’entendent pas. Paradoxalement peut-être, MARASA reste mon grand projet de réconciliation.

 

Je parle de ce grand fossé social entre les riches et les pauvres, dénonce les gabegies du gou-vernement haïtien qui cherche à nous museler, parle du féminisme bien sûr – je suis féministe.

Vous êtes aussi une femme de théâtre que vous avez commencé dès votre enfance. Comment conjuguez-vous théâtre et musique ?

Je dis toujours que mon univers artistique est bien équilibré car mon travail de comédienne facilite mon travail de chanteuse et vice versa. Le théâtre occupe donc une place centrale, égale à la musique. Avoir fait du théâtre chorégraphique, avec lequel on travaille essentiellement sur le corps et la gestuelle, renforce ma présence et mes performances sur scène.

J'anime aussi des ateliers au centre culturel Pyepoudre et suis enseignante depuis peu en collège. J'axe mon enseignement sur le théâtre chorégraphique pour aider les jeunes à mieux exprimer leurs ressentis. Ils me disent que ça les aide beaucoup, alors ça me motive encore plus !

 

Le 9 mars, vous vous produisez dans un cabaret musical dans le cadre du festival « Aux arts citoyennes » à Blois. Sur quoi repose ce spectacle ?

Des femmes entrepreneuses et engagées ont décidé de mettre sur pied un cabaret pour faire entendre leurs revendications, parler de leurs problèmes au quotidien avec les inégalités hommes / femmes, le harcèlement, le manque de reconnaissance...  Elles sont guidées par une metteuse en scène car elles ne sont jamais montées sur les planches avant. Je suis très touchée de pouvoir travailler avec elles et de constater qu'elles ont choisi l'art comme médium pour s'exprimer. Ma contribution est musicale et je chanterai des interludes ponctuant leurs textes.

 

Ce festival se déroule dans le cadre de la Journée internationale des droits des Femmes. Vous définissez vous comme une artiste engagée ?

Je suis une artiste engagée. J'ai toujours été dans la revendication et je suis née au sein d’un peuple protestataire qui n'a pas peur de se mettre debout pour s’exprimer. Je parle de ce grand fossé social entre les riches et les pauvres, dénonce les gabegies du gouvernement haïtien qui cherche à nous museler, parle du féminisme bien sûr – je suis féministe. Et le choix de mon univers musical est en lui-même un engagement car je l'ai choisi pour pouvoir contribuer à la sauvegarde de ce grand patrimoine culturel haïtien que nous avons : les chants et les rythmes du vaudou. De cette façon, je revendique notre droit à la vie, à la liberté, à l’égalité, et à la liberté d’expression. Par mon œuvre, j'espère sensibiliser et reconnecter les jeunes à leurs racines, inspirer les générations à venir.

Jehyna Sahyeir
L'Institut français et l'artiste

Lauréate du programme de résidences de l'Institut français à la Cité internationale des arts, Jehyna Sahyeir est en résidence à Paris jusqu'à avril 2020. En savoir + sur le programme de résidences à la Cité internationale des arts

L'institut français, LAB