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Jennifer Richard

Je veux observer le monde, réfléchir, m'insurger et partager mes élans de lucidité avec le lecteur.

Pour la sortie de son nouveau roman, Le diable parle toutes les langues, Jennifer Richard revient sur ses sources d'inspiration, l'évolution de sa carrière et son séjour en Allemagne pour l'écriture de cet ouvrage. 

Mis à jour le 16/04/2021

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Jennifer Richard
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Du récit fantastique à la fresque historique, vous aimez multiplier les genres littéraires afin d'évoquer des sujets qui vous passionnent. Quel regard portez-vous sur la progression de votre carrière ?

À l'époque, j'ai installé mes premiers textes dans le domaine du fantastique parce qu’il me permettait d’exprimer mes idées librement. Je recherchais l’expression la plus juste des sentiments et des émotions. C’est la solitude et la mélancolie, qui ressortent le plus de ces récits, plus intimes qu’ils n’y paraissent. Avec mon troisième roman, L’Illustre Inconnu, j’ai changé de cap. Ayant mûri et m’étant débarrassé de l’ego qui encombre souvent les jeunes auteurs, j’ai décidé de prendre de la hauteur et de m’accaparer une tranche d’histoire. La saga Il est à toi ce beau pays m’a ouvert les yeux sur nos rapports avec l’histoire et la politique. Je ne pouvais plus me contenter de la fiction et je me suis mise à lire moins de romans et plus d’essais, ce qui m’a permis de porter un regard attentif et critique sur l’actualité.

Votre enfance a été peuplée de nombreux voyages auprès de vos parents. Ont-ils été une source d'inspiration pour votre travail littéraire ?

Je suis née aux États-Unis, un pays qui était une terre promise pour mes parents. Cette double nationalité et leurs propres origines m’ont permis de ne pas considérer la France comme le centre du monde. Enfant, dès que j’ai commencé à lire, j’ai su que je voulais être écrivain. Il ne s’agissait pas d’une passion pour les mots ou les récits, mais de l’idée que je me faisais de la vie d’écrivain : une activité indépendante, dans le calme et la solitude. J’ai commencé à écrire des nouvelles et à tenir des chroniques de mes voyages. J’ignorais que, pour la plupart des écrivains, l’écriture est une activité annexe, que l’on exerce en plus d’un métier rémunérateur. Désormais, je sais où est ma place : je veux observer le monde, réfléchir, m’insurger et partager mes élans de lucidité avec le lecteur.

Grâce à une bourse du programme Stendhal de l’Institut français, vous avez effectué un séjour en Allemagne afin de préparer l'écriture de votre dernier roman, Le diable parle toutes les langues. De quelle manière s'est déroulée l'élaboration de ce projet ?

Plusieurs chapitres du roman se déroulent en Allemagne et je tenais à visiter les lieux que je décrivais : Essen, Berchtesgaden et Berlin, bien sûr, pour le chapitre sur les Jeux Olympiques de 1936. J’ai mis à profit mon séjour dans la capitale allemande pour visiter les expositions consacrées au Centenaire de la République de Weimar, période cruciale évoquée dans mon roman. Il me fallait également prendre le temps de pratiquer l’allemand pour lire les archives que je trouvais. Deux trouvailles ont résulté de ces recherches : l’une montrait que Basil Zaharoff avait fait des affaires avec Alexandre Parvus, l’un des instigateurs de la révolution russe de 1917, l’autre qu’il avait été l’un des plus grands soutiens financiers du parti nazi en 1932. Cela m'a permis d'appréhender pleinement mon personnage.

Mes romans, en particulier les premiers, témoignent de mon pessimisme quant à un possible (r)éveil de l’humanité face à la beauté du monde.

Votre récit, Le diable parle toutes les langues, s'attarde sur la figure de Basil Zaharoff, un marchand d'armes ayant fait fortune pendant la Première Guerre mondiale. Comment avez-vous découvert ce protagoniste ?

Au hasard de la lecture d’articles, j’ai vu apparaître le nom de Basil Zaharoff en connexion avec Léopold II, figure proéminente de mon précédent roman, Il est à toi ce beau pays. La maîtresse du roi belge avait en effet vendu son domaine en région parisienne – acquis grâce aux revenus que le monarque tirait de sa colonie congolaise – à Basil Zaharoff et sa maîtresse en 1915. J’ai d’abord envisagé d’écrire la suite de mon roman sur la colonisation par ce biais. Mais au fil de mes lectures, je me suis rendu compte que la vie de Zaharoff était tellement dense, tellement longue et influente, qu’elle ne pouvait qu’être traitée à part. Après avoir lu tout ce qui avait été écrit sur Basil Zaharoff, je me posais encore une question : quels avaient réellement été ses liens avec l’Allemagne ?

On ressent, dans vos écrits, une passion évidente pour l'Histoire et notamment la Première Guerre mondiale. D'où vous provient cet intérêt à son égard ?

La Première Guerre mondiale est une période sacrée dans mon imaginaire. Quand j’étais adolescente, les récits des poilus ont fait naître en moi un sentiment de révolte contre le pouvoir et une immense compassion pour les hommes, confiants envers leurs dirigeants. J’avais consacré un chapitre à cette guerre dans mon roman, L’illustre inconnu, et je me rappelle l’avoir écrit de manière presque religieuse, en me faisant toute petite face à la souffrance des hommes que je décrivais. C’est avec la même humilité et la même rancune que j’ai écrit un chapitre sur la guerre d’Algérie, à laquelle mon père a participé en tant qu’appelé. J’éprouve un respect sans bornes pour les hommes qui ont connu le feu, et un mépris aussi grand pour ceux qui les y soumettent.

Requiem pour une étoile, votre second roman, était une fable apocalyptique qui prenait place dans un monde de plus en plus chaotique. Quelle est votre façon d'envisager la crise que nous traversons ?

Mes romans, en particulier les premiers, témoignent de mon pessimisme quant à un possible (r)éveil de l’humanité face à la beauté du monde. Je m’efforce de travailler ce penchant, mais les circonstances ne me permettent pas de changer complètement de bord et me poussent au contraire à considérer avec scepticisme l’évolution de la civilisation. Concernant les bouleversements sociaux que nous vivons, je pense que nous n’aurons des éclaircissements que dans plusieurs années. On saura alors s’il était nécessaire, pour « protéger » la population, de la confiner, de la conduire à la faillite, à la dépression et au suicide, de lui interdire de danser, de faire du sport, de célébrer les saisons et d’embrasser ses proches. En un mot, d’empêcher l’humanité de vivre comme elle le fait depuis la nuit des temps.

L'Institut français et l'écrivain

Lauréate du programme Stendhal de l'Institut français, Jennifer Richard a séjourné en Allemagne pour l'écriture de son nouveau roman Le diable parle toutes les langues. Le programme Stendhal soutient la mobilité internationale d’auteurs de langue française dont le projet d’écriture justifie un séjour à l’étranger d’une durée d’un mois minimum.

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L'institut français, LAB