Judith Guez
Artiste-chercheure spécialisée dans la réalité virtuelle (VR), Judith Guez a toujours veillé à articuler recherche scientifique et création artistique. Auteure d’une thèse sur les nouvelles formes artistiques liées aux médiums interactifs, elle est aussi depuis 2018 la directrice de Recto VRso, un festival d’arts numériques qui se déroule en parallèle du salon Laval Virtual, en Mayenne.
Mis à jour le 16/04/2021
5 min

Vous êtes artiste, mais aussi chercheure dans le domaine des nouvelles technologies. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je suis artiste-chercheure : mon parcours m’a amenée dans plusieurs universités, et j’ai aussi bien travaillé dans les arts plastiques que dans le domaine des images de synthèse et de la robotique. Je n’ai jamais dissocié l’art des sciences et de la technologie. C’est dans ce dernier domaine que j’ai commencé, mais j’ai rapidement ressenti le besoin d’aller creuser la matière du numérique, et de m’ouvrir à ses potentialités artistiques. Au total, cela fait donc plus d’une dizaine d’années que j’évolue dans le milieu de la VR.
Sur le versant de la recherche, j’ai poursuivi avec une thèse en recherche-création à Paris 8, au laboratoire Images numériques et réalités virtuelles (INRéV). En utilisant une méthodologie très interdisciplinaire, cette thèse était accompagnée d’une dizaine de créations artistiques, autour de ce que j’ai appelé les illusions entre le réel et le virtuel. Je m’intéressais également à la notion de présence et d’émerveillement. J’essaie donc d’explorer toute forme artistique qui émerge à la frontière entre le réel et le virtuel ! Cela dépasse d’ailleurs la VR, d’un point de vue aussi bien technologique qu’artistique. Actuellement, je viens de finir une installation en partenariat avec la BnF et la Villa Médicis, et je continue mon activité de recherche en tant que chercheure associée à l’université Paris 8.
Comment est né le festival Recto VRso, dont vous avez été l’initiatrice en 2018 ?
Cela faisait une dizaine d’année que je me rendais au Laval Virtual, un salon historique consacré à la VR et aux nouvelles technologies qui réunissait beaucoup d’initiatives, et notamment des concours étudiants. C’est d’ailleurs en tant qu’étudiante que j’ai commencé à y aller : j’y ai d’abord exposé, puis j’ai tenu des stands avec les associations Paris ACM SIGGRAPH et Les Algoristes où j’exposais souvent d’autres artistes. Il y existait une véritable communauté, on se connaissait tous très bien et la dimension artistique était présente dans certains stands, même dans les composantes plus scientifiques.
Quand j’ai fini ma thèse, en 2015, je voulais poursuivre cette hybridation et faire notamment office d’interface entre des artistes qui ont envie d’essayer la VR et l’accessibilité au médium des technologies immersives et interactives. Je voulais également prendre plus de recul, et à une plus grande échelle explorer l’émergence de nouvelles formes artistiques entre le réel et le virtuel. J’en ai parlé à Laurent Chrétien, le directeur du salon Laval Virtual, et en 2018, la première édition du festival Recto VRso a eu lieu en parallèle du salon. En 2017, un nouveau bâtiment, le Laval Virtual Center, est sorti de terre, il nous permet de proposer de nombreuses initiatives (résidences, formations, journée d’étude, etc.) tout au long de l’année.
Recto VRso est organisé dans le cadre du salon Laval Virtual. Quelle est sa spécificité au sein de cet évènement qui existe depuis 1999 ?
Le nom a été choisi à dessein, il s’agit du verso, de l’autre face du Laval Virtual. On a cherché la complémentarité : il s’agit de montrer aux participants qui sont plus attirés par le versant technologique comment on peut le dépasser grâce à l’imaginaire artistique. L’inverse est valable aussi, et les artistes peuvent ainsi découvrir de nouveaux médiums, de nouvelles technologies. C’est donc un échange très riche. Il y a plusieurs composantes à Recto VRso, notamment au travers d’un appel à projets autour d’une thématique annuelle, qui questionne à chaque fois la frontière entre le virtuel et le réel. On sélectionne alors une quinzaine d’œuvres que l’on expose dans une galerie principale, et nous disposons aussi de sept lieux dans la ville. Cela permet d’initier un parcours artistique plus libre, en lien avec le patrimoine et les autres acteurs culturels de la ville. Nous proposons en outre un espace étudiant de création numérique, qui permet de voir les artistes à l’œuvre. Pour les entreprises, ce côté expérimental et work in progress est intéressant car il permet de découvrir comment on peut s’approprier certaines technologies.

Quels types d’œuvres sont exposées au festival Recto VRso ? Quels sont les enjeux spécifiques auxquels vous êtes confrontée, par rapport à un festival d’arts plastiques ou d’arts vivants ?
C’était déjà au centre de mes interrogations lors ma thèse : comment une installation en réalité virtuelle peut permettre de capter le spectateur, de le faire entrer puis sortir de l’œuvre ? Les œuvres participatives, interactives, demandent une forte implication, et donc tout l’enjeu est d’imaginer comment le spectateur rentre en contact dans l’esthétique relationnelle de l’œuvre. L’idée est de comprendre ce passage du spectateur, de son corps du réel au virtuel.
Lors de mon expérience de commissaire et scénographe de l’Art&VR Gallery du Recto VRso, j’imagine presque les spectateurs vivre chaque œuvre, dans une partition chorégraphique. Le geste est toujours important avec la VR, car l’œuvre implique le spectateur par des gestes et des mouvements.
Dans le cadre de Recto VRso, on touche à plusieurs disciplines. Ce qui m’intéresse, c’est qu’autour d’une thématique, l’espace d’exposition propose des œuvres complémentaires en termes de médium (pas que des casques VR), de profil artistique (reconnu, émergent), mais également de disciplines : Nous pouvons avoir des œuvres en lien avec la danse, le jeu vidéo, la robotique et aussi d’autres champs. De la même manière, nous exposons au Musée des Arts Naïfs de Laval ou au Théâtre de Laval. C’est cette complémentarité qui est intéressante.
En 2020, Recto VRso a dû s’adapter à la pandémie et basculer sur un format entièrement numérique. Avec le recul, comment s’est déroulée cette expérience ?
A un mois de l’évènement, le Laval Virtual a créé son espace virtuel en ligne, le Laval Virtual World, en partenariat avec l’entreprise VirBELA. Avec Recto VRso, nous avons également investi cet espace, ce qui nous a permis de tous nous retrouver, bien que virtuellement, autour notamment d’un programme de conférences et de fêtes virtuelles.
D’autre part, j’ai repris ma casquette d’artiste et développeuse pour créer l’Art&VR Gallery 2020 de Recto VRso : l’exposition devait avoir lieu dans une chapelle que nous avons remodélisée entièrement en 3D. Cette galerie virtuelle est encore visible sur notre site, ce qui pose d’ailleurs des questions quant à la durabilité de ces évènements en ligne.
Cette année, le festival Recto VRso aura lieu en ligne en avril, avant le salon Laval Virtual, qui lui se tiendra en juillet en physique. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’articulation des deux événements ?
Cette année, le salon Laval Virtual aura lieu du 7 au 9 juillet en physique, et le festival Recto VRso du 14 au 16 avril en ligne, toujours dans le cadre du Laval Virtual World avec la thématique « Exposition Virtuelle / Exposition Réelle : L’art en ligne ». L’idée est de l’articuler cette année avec une réflexion à la fois historique sur le net art, et sur notre période actuelle où l’art et les expositions en ligne se développent. Nous prévoyons trois jours de conférence sur ces sujets, de rencontres et de fête artistique. Les inscriptions sont ouvertes et gratuites. Nous avons fait un appel à candidatures dans l’objectif d’observer les typologies émergentes en ce moment sur la manière de créer et diffuser ses œuvres dans des espaces en ligne. Les œuvres sélectionnées pourront être expérimentées par notre galerie en ligne sur le site web, et certaines dans le Laval Virtual Word. Il y aura ensuite une restitution d’une partie du festival à Laval cet été.

Le festival Recto VRso est un évènement partenaire des Digital Crossroads, un cycle de rencontres professionnelles en ligne organisé par l’Institut français.
En savoir + sur Digital Crossroads
Judith Guez participera également, du 14 au 16 avril 2021, au festival en ligne Making Lemonade. Organisé par le Service culturel de l’Ambassade de France en Corée, le Goethe-Institut Korea et le Art Center Nabi, Making Lemonade sera retransmis en direct sur YouTube, en anglais ou en coréen.