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Julien Aubert : le secteur de la série courte en France et son développement à l’international

Les séries courtes développent souvent des univers très singuliers, qui portent des intentions personnelles fortes ou développent des concepts innovants et originaux.

Fondateur de Bigger than fiction, Julien Aubert co-dirige le collège « séries courtes » du PXN, l’association des producteur·ices nouveaux médias indépendants. Alors que l’Institut français s’empare de ce format en proposant Binge, une offre de programmation pour le réseau culturel français à l’étranger, il évoque pour nous les enjeux liés à la série courte, à la structuration de ce secteur et ses opportunités à l’international. 

Mis à jour le 27/09/2023

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Julien Aubert
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Vous exercez dans le secteur audiovisuel et plus particulièrement des nouvelles narrations. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ? 

Après des études en école de commerce, je me destinais à travailler dans la production musicale. J’étais passionné par les univers narratifs et transmédias développés par des artistes comme Nine Inch Nails, le Wu-Tang Clan ou même IAM. En 2007, j’ai pourtant intégré une agence de communication digitale en tant que Community Managerpour le jeu vidéo en ligne Second Life. En même temps, j’ai créé un blog consacré à la question du transmédia, qui m’a fait rencontrer de nombreuses personnes dans l’industrie. Je suis ensuite devenu concepteur-auteur indépendant, et j’ai notamment créé le jeu en réalité alternée (ARG) Faits divers paranormaux, tout en me lançant en parallèle dans le format du webdocumentaire. Enfin, à vingt-sept ans, j’ai créé ma propre société, Bigger than fiction, une agence de communication digitale au service des diffuseurs de programmes de télévision et numériques. 

 

Comment a évolué Bigger than fiction et quelle est votre ligne éditoriale aujourd’hui ? 

De 2011 à 2019, nous nous sommes consacrés au community management, à la création de contenus digitaux, à la stratégie médias sociaux et à la création de sites et d’applications, surtout pour des diffuseurs et des sociétés de production. En 2013, nous sommes également devenus producteurs exécutifs sur des dispositifs transmédias, notamment pour Cut (France Ô) et pour la série SKAM France, mais aussi producteurs délégués de programmes numériques innovants, par exemple de ÉTÉ, feuilleton pour Instagram en BD qui a été la première série d’Arte conçue pour une diffusion sur ce média social. Nous avons également produit Rap Fighter Cup avec Slash en 2019, et Morts à l’aveugle l’année suivante avec TCM Cinéma. 

En 2020, nous changeons de stratégie, en passant de 25 à 5 salariés, et en nous consacrant au consulting éditorial. Nos clients font donc appel à nous pour notre savoir-faire et notre réseau de talents créatifs. Cela nous permet aussi de dégager de la ressource pour notre activité de production déléguée. Depuis 2021, nous développons ainsi des projets de séries linéaires (courtes ou longues) qui mettent en scène des personnages de jeunes adultes confrontés à des problématiques contemporaines. Notre connaissance des codes et des aspirations de cette génération nous permet de développer des séries aux concepts innovants, qui revisitent les codes narratifs habituels. 

Ce format est un véritable accélérateur de talents, qui permet à des nouveaux auteurs et acteurs de faire leurs preuves et de se faire connaitre.

Quels sont vos principaux projets actuellement en développement ? 

Nous avons notamment plusieurs projets de séries longues. Nous adaptons actuellement notre série d’animation musicale Rap Fighter dans un format « feuilletonnant » plus long, et notre série Instagram ÉTÉ, également en série longue. Nous développons aussi une rom com de Noël qui déploie une narration elliptique sur 10 ans, mais aussi deux séries qui renouvellent les codes de la série policière et du thriller par le regard de personnages jeunes adultes. Quant à nos séries courtes, plusieurs choses sont en cours, mais je ne peux pas encore les dévoiler ! 

 

Vous êtes également très actif au sein de PXN, l’association des producteurs nouveaux médias indépendants, dont vous co-dirigez le collège « séries courtes ». Ce collège œuvre à la structuration de la filière de la série courte pour favoriser une large diffusion. Pouvez-vous nous parler de ce format de création et de ses particularités ?   

Nous définissons comme série courte un format audiovisuel dont la narration est sérielle et dont la durée de chaque épisode dure moins de 20 minutes (ou dont la saison totalise moins de 200 minutes). Ces séries, produites par des sociétés de production et souvent coproduites par des diffuseurs audiovisuels, sont pensées pour une diffusion sur le web. On les retrouve sur les plateformes internet des grandes chaînes de télévision et sur leurs réseaux sociaux, mais aussi lors de programmations dédiées dans des festivals. Elles se distinguent de contenus courts accessibles gratuitement sur des plateformes sur internet, portées par amateurs ou en tout cas, sans producteur ni diffuseur.

Pour les diffuseurs, ce format est un véritable accélérateur de talents, qui permet à des nouveaux auteurs et acteurs de faire leurs preuves et de se faire connaitre. C’est aussi un accélérateur éditorial, puisque les séries courtes développent souvent des univers très singuliers, qui portent des intentions personnelles fortes ou développent des concepts innovants et originaux. Le paradoxe, c’est qu’il s’agit aussi de projets pour lesquels les diffuseurs ont du mal à s’engager sur des budgets importants, car ils représentent une prise de risque. En revanche, ces séries sont souvent « hyper-diffusées », c'est-à-dire diffusées à la fois sur les plateformes des éditeurs, mais aussi sur leurs médias sociaux comme Instagram, Youtube et Tiktok, et elles trouvent une audience de plus en plus importante. Les séries courtes développent donc des narrations et des thématiques qui s’inspirent de ces plateformes et médias, et bien sûr des univers de leurs audiences.

Les séries courtes représentent en quelque sorte une antichambre à la série longue, un peu comme le court-métrage avec le cinéma. C’est une manière pour les créateurs de se faire une carte de visite, de se faire remarquer, et d’engager une carrière dans la série longue. C’était par exemple le cas des créatrices de Tu préfères, qui ont été sélectionnées à Cannes et au César pour leur film Les Pires, ou encore de figures comme Simon Bouisson, qui a développé des projets de formats courts et qui dirige maintenant plusieurs séries longues jeunes adultes, ou de Louise Condemi, la créatrice de Malaisant, qui participe désormais au développement de plusieurs séries longues. 

Notre objectif est de fédérer les acteurs internationaux de la série courte, afin de consolider et de pérenniser ce marché encore émergent et fragile, qui va pourtant se développer considérablement dans les années à venir.

L’Institut français souhaite accompagner le secteur de la série courte, en proposant, pour le réseau culturel français à l’étranger et ses partenaires, Binge, une nouvelle offre de programmation “clé-en-main” visant à valoriser à l’international la richesse et la diversité de la série courte et digitale française. Avec PXN, vous avez par ailleurs animé deux webinaires de formation à ce sujet pour les agents du réseau culturel français à l’étranger. Quelles sont actuellement les perspectives à l’international pour les producteurs français ? 

Nous avons observé que les festivals de séries français et étrangers récompensent des séries courtes du monde entier ! Pour des raisons parfois similaires à l'industrie française, les pays scandinaves, le Canada, l’Australie, l’Argentine ont tous développé des écosystèmes de financement de la série courte. Dans d’autres pays, comme les pays du Moyen-Orient et l’Asie ou les États-Unis, la série courte est un format commercial qui est diffusé sur des plateformes de niche ou produite par des moyens alternatifs. C’est donc un format qui se développe dans le monde entier. 

En France, les séries courtes sont souvent encore trop limitées dans leurs ambitions créatives, par leur faible budget. Les financements des diffuseurs et des institutions publiques, inférieurs à ceux des formats longs voire à ceux du court-métrage, limitent les coûts de fabrication. Par ailleurs, les formats courts ne permettent pas toujours de pouvoir bénéficier des dispositifs d’aides et de financement dont bénéficient les productions plus longues, comme les crédits d’impôts. Nous voyons donc dans les autres pays qui diffusent des séries courtes des potentiels partenaires de co-production, d’achats de droits et de diffusion à l’étranger, mais aussi des relais de notoriété en festivals, importants pour que le secteur se développe. Notre objectif est donc de fédérer les acteurs internationaux de la série courte, afin de consolider et de pérenniser ce marché encore émergent et fragile, qui va pourtant se développer considérablement dans les années à venir. 

Le réseau culturel français à l’étranger peut jouer un rôle dans le développement international de la filière, en favorisant l’identification et les mises en réseau des acteurs et la diffusion de séries courtes françaises à l’international. L’offre de programmation Binge de l’Institut français qui va être déployée à travers le monde et la formation dispensée par PXN sont une première réponse pour encourager cette dynamique. D’autres projets pourront être imaginés par la suite.

L'institut français, LAB