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Julien Barret et Benjamin Lebrave nous parlent du projet « Apprends les bails »

Il ne s’agit pas seulement de faire un lexique, mais aussi de l’illustrer, de le donner à voir et à entendre avec ceux et celles qui incarnent l’art de la parole.

Julien Barret, auteur et linguiste, et Benjamin Lebrave, fondateur du label Akwaaba Music, collaborent sur le projet « Apprends les bails » qui illustre le camfranglais. Mis à l’honneur lors de « Refaire le monde, le Festival de la francophonie », en marge du Sommet de la Francophonie des 4 et 5 Octobre, ce projet permet de s’interroger sur l’évolution permanente du langage et son retentissement sur chaque génération. Alors que leur série de vidéos « Ya les ways ! » est actuellement diffusée sur les réseaux sociaux, ils racontent leur travail linguistique, l’importance de l’art oratoire, mais aussi les ateliers prévus autour du camfranglais. 

« Apprends les bails » est un projet soutenu par l’Institut français et le département de la Seine Saint Denis – Campus Francophone dans le cadre de leur convention de partenariat, ainsi que par l’Institut français du Cameroun et la DGLFLF - délégation générale à la langue française et aux langues de France du Ministère de la Culture. 

Mis à jour le 28/10/2024

5 min

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Julien Barret et Benjamin Lebrave
Crédits
Karim Tanga (cadreur), Julien Barret, Benjamin Lebrave, Metuschelah (rappeur), MakOne (styliste)
© DR

Vous avez publié un lexique “Apprends les bails” sur les mots et expressions utilisés par les jeunes de l’Essonne. Comment est né ce projet ? 

Julien Barret : J’ai travaillé seul sur ce projet avant notre entreprise commune. En 2020, j’ai été appelé par deux professeures en gestion et administration dans une classe de première professionnelle au lycée Pierre Mendès-France à Ris-Orangis. Dans une Essonne assez enclavée, où s’inventent de nouveaux mots en cercles restreints, les enseignantes ne parvenaient pas toujours à comprendre ce que disaient leurs élèves qui vivaient à Grigny, Evry ou Corbeilles-Essonne. Pendant deux ans, je suis venu régulièrement dans leur classe et j’ai établi avec eux un lexique de 66 termes actuels tirés de leur vocabulaire, en vulgarisant le travail lexicologique à l'œuvre dans les dictionnaires Larousse et Robert. Il s’agissait de définir chaque mot nouveau en déterminant sa classe grammaticale, d'en trouver l’étymologie et de donner un exemple en contexte. 

 

Vous travaillez actuellement sur le camfranglais, un sabir et un argot des jeunes urbains camerounais. Pour quelles raisons vous êtes-vous intéressés à ce langage ? 

Benjamin Lebrave : À l’origine, je suis producteur musical et DJ, mais lors d’un passage au Cameroun, en amont de notre projet, j’ai été confronté au fait que le slam possède une importance majeure dans le pays. J’ai immédiatement pensé à Julien qui travaille depuis longtemps sur l'art oratoire du slam et, lorsque nous nous sommes recroisés à Paris, les questions ont commencé à surgir. D’après nos intervenants, le camfranglais est plus qu’un sabir et un argot, c’est vraiment une langue en formation. En outre, en nous intéressant au camfranglais, on peut réfléchir aux échanges lexicaux d'un point de vue géographique et social, pour tenter de comprendre la manière dont les mots voyagent. 

Julien Barret : Pour moi, la prise de conscience vient de la fréquentation des élèves du lycée Pierre-Mendès-France et de l'élaboration de notre lexique du 91, où le camfranglais et le nouchi étaient très présents. Pour Benjamin, c’est la prise de conscience de l'importance du slam dans toute l’Afrique francophone. De sorte que l’idée génératrice de notre projet est l’association entre le lexique camfranglais et l’art oratoire. Il ne s’agit donc pas seulement de faire un lexique, mais aussi de l’illustrer, de le donner à voir et à entendre avec ceux et celles qui incarnent l’art de la parole

Le camfranglais est plus qu’un sabir et un argot, c’est vraiment une langue en formation.

Comment observez-vous ces changements linguistiques, cette évolution de la langue imaginée par les jeunes ? 

Julien Barret : L’évolution de la langue s'accélère aujourd’hui à la faveur des réseaux sociaux. De tous temps, de nouveaux mots sont venus intégrer la langue française, et lors de notre propre adolescence, on parlait différemment des adolescents d’aujourd’hui. On voit qu’il y a souvent une sorte de réticence, de crispation, en France, à intégrer des changements et à accepter que la langue que l’on parle ne soit pas la même partout et à chaque époque. En tant que linguiste, j'observe avec une grande curiosité les diverses manières dont la langue évolue. Ce qui m’intéresse, à travers le slam, la poésie et l’humour, grâce aux ateliers d’écriture et de prise de parole, c’est ce qu’on peut créer à partir de tout ça. 

Benjamin Lebrave : J’habite au Ghana depuis 13 ans j’observe la société au quotidien. Je constate par exemple que les modes et même les modes de vie évoluent très vite - en particulier en ce qui concerne la langue. Cela s’explique peut-être en partie par le fait que la population est très jeune. Et dans le cas du Cameroun et du camfranglais, Il y a plein d’influences linguistiques et culturelles, les mots changent selon l’endroit où l’on se trouve, le niveau social ou encore le niveau d'éducation. C’est cette façon de s’approprier la langue qui devient camerounaise et qui unit les Camerounais. 

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Julien Barret et Benjamin Lebrave
Igwe, Karim Tanga (cadreur), Julien Barret, Benjamin Lebrave, Metuschelah (rappeur)
© DR

Comment avez-vous pu recueillir des témoignages de ce nouveau langage au Cameroun ? Avez-vous prévu certaines productions à partir de votre recueil ?

Benjamin Lebrave : Cela s’est fait très naturellement et toutes les personnes contactées ont été intéressées par notre projet. Ma présence sur place plusieurs semaines avant le tournage a favorisé les choses, et les portes se sont ouvertes. Nous avons lancé des chaînes de vidéos Ya les ways !” sur tous les réseaux sociaux. Ce sont des entretiens avec des experts et des praticiens de la langue, qu'elles et ils soient linguistes, journalistes, mais aussi comédiens, rappeurs ou slameurs. Des micro-trottoirs ont aussi été réalisés pour obtenir le point de vue des gens du quotidien.

Julien Barret : Il me semble que notre approche est plus variée et plus complète que la plupart des choses qui ont été faites jusqu'à présent, sans doute parce que nous avons eu plus de temps de préparation que les journalistes ou les influenceurs qui se sont déjà intéressés au camfranglais. Nous avons vraiment voulu élargir le spectre, prendre notre temps, choisir les personnes les plus compétentes ou talentueuses du point de vue langagier. Je songe, par exemple, à Valery Ndongo, qui a créé son Comedy Club au Cameroun ou au rappeur Koppo, artiste pionnier qui a hissé le camfranglais dans la musique populaire.

La chaîne “Ya les ways !”, qui veut dire “Apprends les bails !” en camfranglais, est la partie la plus visible de notre travail. C’est celle pour laquelle la contribution de l’Institut français et du département de la Seine-Saint-Denis a été la plus essentielle. Nous déployons aussi des ateliers en Seine-Saint-Denis et nous prévoyons de présenter un cabaret, afin de réunir sur scène certains artistes interrogés dans nos vidéos. Il s’agirait de créer un spectacle itinérant avec par exemple une slameuse, un rappeur, un conteur, une musicienne et une chanteuse pour représenter toutes les formes de paroles qui mettent en valeur le camfranglais.

C'est quoi le camfranglais?
C'est quoi le camfranglais?

Le projet est soutenu par l’Institut français et le département de la Seine Saint Denis, ainsi que par l’Institut français du Cameroun et la DGLFLF (la Délégation Générale à la Langue française et aux langues de France). En quoi cet accompagnement est-il indispensable dans votre entreprise ?

Julien Barret : On peut parler du rôle d’Annick Lederlé, cheffe de la mission sensibilisation et développement des publics au ministère de la Culture, qui nous offre un suivi très attentif. Elle croit réellement en ce qu’on fait, nous soutient de tout son cœur et a facilité la diffusion de nos vidéos sur les réseaux du ministère de la Culture. Nous sommes très reconnaissants de tous les soutiens obtenus.

Benjamin Lebrave : Comme l’a suggéré Julien tout à l’heure, nous avons eu la chance de pouvoir prendre le temps de préparer le projet en profondeur, ce qui nous a notamment permis de rencontrer des interlocuteurs remarquables. Nous n’aurions jamais pu approfondir notre approche dans d’aussi bonnes conditions sans le soutien de nos partenaires.

Et puis ce soutien s’est fait tout naturellement. Julien était déjà impliqué dans un travail d’ateliers et avait des contacts avec différents partenaires en Île-de-France. Pour ma part, j’étais en contact avec l’Institut français du Cameroun et, même si je n’avais pas travaillé directement avec eux, ils étaient au fait de mon travail. Je pense donc que d’un côté comme de l’autre, ils ont reçu notre proposition avec une oreille ouverte et un enthousiasme précieux qui nous a accompagné tout le long de la réalisation du projet.

Nous n’aurions jamais pu approfondir notre approche dans d’aussi bonnes conditions sans le soutien de nos partenaires.

Des ateliers sont prévus avec des jeunes de Seine-Saint-Denis cet automne afin d’évoquer le camfranglais. Comment vont se dérouler ces échanges ?

Julien Barret : Il y a des ateliers qui ont débuté au lycée Louise Michel de Bobigny avec un poète slameur du 93, yko, en compagnie de qui j’ai animé une scène slam régulière à Bagnolet. L’inscription dans le territoire est importante et on organise ces ateliers en lien avec la salle de concert Canal 93, où une restitution est prévue mercredi 13 novembre à 20h en commun avec la scène slam de Jacky Ido. En outre, notre cabaret se produira sans doute dans le cadre du festival Multitudes, durant l’été 2025 au parc de la Courneuve, avant d'intégrer en hiver le festival Africolor, lui-même implanté en Seine-Saint-Denis. Enfin, j'anime deux ateliers à l'université Sorbonne Paris Nord (USPN), où l'exploration du lexique s'intègre dans une approche de l’art poétique et oratoire.

Benjamin Lebrave : Dans la foulée de ces ateliers, nous allons aussi recueillir des témoignages d'étudiants de Seine-Saint-Denis pour nourrir le travail déjà fait au Cameroun, c’est-à-dire observer comment les mots rebondissent d'un continent à l'autre, pour tenter de mesurer la perception qu'en ont les jeunes gens qui habitent en Île-de-France.

L'institut français, LAB