Karine Léger
Karine Léger, directrice d’Airparif, était en Asie du Sud-Est début octobre pour participer à un cycle régional de débats d’idées sur le thème : « Une ville vivable et durable ». Elle revient sur les grands enjeux qui touchent aujourd’hui les villes, de Paris à Hanoï.
Mis à jour le 04/11/2019
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L’association Airparif, qui est agréée par le ministère de l’Environnement, a pour objectif de mesurer la qualité de l’air en Île-de-France. Quel est votre rôle auprès des décideurs et des citoyens ?
En France, la surveillance de la qualité de l’air est confiée à des associations indépendantes comme la nôtre. Leur mission est de surveiller les niveaux de pollution et d’anticiper les pics pour accompagner les décideurs – du diagnostic à l’évaluation de l’efficacité des plans d’action proposés. Notre rôle est aussi d’informer les citoyens et de soutenir l’innovation pour améliorer la qualité de l’air.
Ailleurs dans le monde, de nombreuses grandes villes ont mis en place, elles aussi, des dispositifs de surveillance et d’information, notamment en Europe, à la suite de la directive sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie de 1996. Ils dépendent en général des municipalités, des régions ou de l’État. Il est rare que la surveillance soit confiée, comme en France, à une association indépendante rassemblant toutes les parties prenantes au sein de son conseil d’administration. Notre modèle de gouvernance est assez unique : l’État, les collectivités, les acteurs économiques, les associations de protection de l’environnement et des consommateurs ont tous voix au chapitre à parts égales.
En tant que directrice d’Airparif, vous êtes aux avant-postes des évolutions urbaines. Quels sont les défis majeurs que vous décelez ?
Le défi majeur est sans aucun doute l’urbanisation elle-même. Selon les Nations Unies, d’ici à 2050, ce seront deux personnes sur trois qui habiteront en ville. Ces espaces urbains, aux très fortes densités de population, sont aussi les plus exposés aux fortes pollutions. Nous sommes en train de construire la ville de demain : selon ce que nous déciderons, les villes auront plus ou moins d’impact sur la qualité de l’air et les émissions de gaz à effet de serre. Elles seront plus ou moins résilientes, plus ou moins durables – en un mot, plus ou moins vivables !
D’où les enjeux majeurs de la limitation de l’étalement urbain, de la mobilité et du développement de modes de déplacement alternatifs aux véhicules motorisés, ou encore de la construction, tant pour limiter les émissions de polluants (via le chauffage ou la climatisation), que pour limiter l’exposition des occupants à ces pollutions.
Le courant de la Smart City en témoigne : l’innovation s’inscrit dans le développement d’une ville durable. Ces solutions peuvent-elles venir en aide à la lutte pour un air plus propre ?
Si la technologie ne peut résoudre à elle seule les enjeux de pollution de l’air, elle est une brique essentielle – en complément de la réglementation et du changement des comportements. Le marché de la remédiation et de la surveillance de la pollution, notamment avec la miniaturisation des capteurs, est en plein développement. Pour les décideurs, il s’agit d’évaluer l’efficacité réelle des solutions proposées.
Airparif a mis en place, avec ses partenaires, Airlab, l’accélérateur de solutions innovantes pour la qualité de l’air. L’objectif est de stimuler l’innovation, mais aussi d’en évaluer les coûts et bénéfices. Il faut néanmoins rester vigilant et mesurer l’impact environnemental des solutions innovantes, qu’il s’agisse du stockage des données ou du risque d’obsolescence des appareils, notamment les capteurs bon marché dont la durée de vie est très limitée.
L’Île-de-France peut-elle apparaître comme un modèle ?
Il est vrai que l’Île-de-France a de nombreux atouts à l’international. La région est contrastée, avec d’une part l’agglomération parisienne – avec des densités comparables à celle de certaines villes d’Asie –, et d’autre part une zone rurale et notamment forestière.
Certaines initiatives territoriales ont pu être largement médiatisées à l’étranger, notamment la fermeture des voies sur berges par la Ville de Paris, qui constituaient une autoroute urbaine en plein cœur de la capitale, ou la constitution d’une zone basse émission couvrant 79 municipalités au sein de la Métropole du Grand Paris. A l’international, le Conseil régional coopère historiquement avec Hanoi et l’accompagne notamment dans la lutte contre la pollution de l’air en lien avec l’Agence française de développement.
L’amélioration des milieux urbains est aujourd’hui une problématique internationale. Les différents pays y répondent-ils de la même façon ?
La qualité de vie, et particulièrement la pollution de l’air, est une préoccupation de toutes les grandes villes. Elle joue un rôle majeur dans leur attractivité, qu’elle soit touristique ou économique et crée une rivalité de plus en plus forte entre les villes. Malgré tout, la prise en compte de la qualité de vie est plus ou moins ancienne selon les régions du globe : en Europe, les mesures visant à limiter la circulation à Londres, Oslo ou Paris datent de plus de 20 ans. La prise de conscience est plus récente en Chine, comme à Pékin ou Shanghai. Mais les actions désormais mises en place sont de grande ampleur – en réponse aux demandes de la population et au désir d’avoir une image positive à l’international.
Certaines régions commencent tout juste à s’atteler à la question. C’est notamment le cas de l’Asie du Sud-Est, où la population se fait de plus en plus entendre, surtout pendant des épisodes de pollution toujours plus médiatisés. À Hanoi, la circulation autour du lac Hoan Kiem est désormais interdite pendant le week-end. La prise de conscience se traduit souvent par la mise en place, ou le renforcement, d’un dispositif de surveillance et d’information officiel. Les médias, les citoyens et les ONG cherchent eux aussi à mettre en place des mesures : c’est tout un marché de capteurs à bas prix qui émerge en réponse à ces demandes.
Karine Léger est intervenue en Asie – à Kuala Lumpur, Hanoï et Bangkok, du 5 au 13 octobre, 2019 dans le cadre d’un cycle régional de débats d’idées intitulé : « Ville durable, ville vivable ».
Ce cycle de débats a fait l’objet d’une co-construction entre l’Institut français, l’Institut français de Thaïlande, l’Institut français du Vietnam et l’Alliance française de Kuala Lumpur.