Karl Mazlo
Lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main® de la Fondation Bettencourt Schueller, le joaillier Karl Mazlo a pour ambition, à travers un dialogue constant avec le Japon et avec d’autres métiers d’art, de dépoussiérer l’univers de la joaillerie.
Mis à jour le 06/01/2022
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Pourrions-nous revenir sur votre parcours ? Comment avez-vous découvert la joaillerie ?
Mon père est joaillier, et après avoir été diplômé de l’école Boulle, je me suis formé auprès de lui pendant sept ans. Enfant déjà, avec mes frères et sœurs, nous passions énormément de temps dans son atelier.
Pour beaucoup, les bijoux représentent une forme de prestige ou un prétexte à l’émerveillement. Qu’en est-il pour vous ? Que représentent véritablement les bijoux à vos yeux ?
Pour mes yeux d’enfant, c’était un émerveillement, quelque chose de magique, une sorte de trésor qui pouvait conférer des pouvoirs. Aujourd’hui, c’est surtout une forme d’expression et une façon de communiquer un message. C’est aussi une invitation à la rêverie et à la contemplation : mon séjour au Japon, à la villa Kujoyama, m’a d’ailleurs beaucoup amené à développer ce regard sur ma pratique. Pour moi, le bijou a pour fonction de réactiver des souvenirs, de transmettre une histoire, des savoirs. J’ai par exemple été très marqué par les bijoux de l’Egypte des pharaons, où l’on retrouve des techniques très originales, comme le filigrane ou la granulation. Pour moi, chaque bijou est comme un livre qui raconte l’époque où il a été fabriqué.
Est-ce qu’il y a une obsession, ou une ligne directrice, qui traverse votre pratique depuis le début ?
Quand j’étais enfant, j’avais beaucoup de mal à communiquer : cela m’arrive encore aujourd’hui quand je parle devant un public. J’étais donc fasciné par le langage, l’écriture et les signes en général. C’est pour cela aussi que j’étais déjà, à l’époque, attiré par la culture japonaise et par cette écriture que je ne comprenais pas. Je m’identifiais à cette langue. D’une certaine manière, le Japon me fournit depuis le début une ligne directrice : au-delà de l’écriture, je pense à cette obsession pour les savoir-faire traditionnels, comme la forge des sabres ou la création d’estampes. Je suis aussi très inspiré par la culture du wabi sabi. Ce que j’aime dans la culture japonaise, c’est ce mariage improbable entre la technologie et la sauvegarde des savoir-faire traditionnels. C’est aussi ce que je recherche dans mon travail : conjuguer l’excellence et la recherche d’un langage universel, qui soit à la portée de tous.
Comment travaillez-vous chaque pièce unique ? Est-ce en fonction des histoires que vous racontent vos clients ?
Quand je travaille avec des clients, souvent, ils ne savent pas encore ce qu’ils recherchent. J’essaye donc avant tout de comprendre pourquoi ils veulent ce bijou, et quelle fonction il aura pour eux. J’ai remarqué que les souvenirs et les parcours de vie jouent toujours un rôle important. J’aime donc beaucoup les questionner, ce qui me donne des clefs pour initier la création du bijou. Je mets ensuite au point un moodboard en collectant des matières qui leur correspondent. A partir de ces éléments, nous construisons le bijou ensemble. Le sur-mesure, c’est école de l’exigence et de la rigueur, puisqu’il faut trouver un juste dosage entre le souhait de la personne et l’expression de ma créativité. L’ego n’a donc pas sa place dans cette conversation.
Votre carrière vous a amené à collaborer avec des calligraphes et avec des artisans travaillant d’autres matériaux nobles, comme le bois ou les plumes. Est-ce qu’il est important pour vous d’enrichir votre pratique au contact d’autres métiers d’art ?
Ce dialogue est très important, car il était complètement absent quand je travaillais dans le monde la haute joaillerie, où tous les métiers sont très compartimentés. On perd alors beaucoup en spontanéité. J’ai donc décidé d’assimiler le plus grand nombre de techniques moi-même et de dialoguer avec des métiers qui n’ont rien à voir avec le monde de la joaillerie, pour créer quelque chose d’inattendu et d'innovant. Je voulais dépoussiérer l’univers de la joaillerie, et me nourrir du dialogue avec d’autres créatifs. C’est comme ça que j’ai gagné le Prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main® de la Fondation Bettencourt Schueller.
Vous avez récemment obtenu le Prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main® de la Fondation Bettencourt Schueller. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Un énorme encouragement dans mes recherches et dans tout le travail que j’ai pu amorcer depuis mon séjour au Japon. Cela représente aussi l’opportunité de le poursuivre. C’est compliqué aujourd’hui pour moi de libérer du temps pour la recherche, car cela m’oblige à renoncer à des commandes, qui sont très intéressantes, mais qui empiètent parfois sur ma pratique personnelle. C’est aussi une belle mise en lumière sur mon métier, qui doit être dépoussiéré et proposer une vision plus contemporaine pour sensibiliser de nouveaux publics. Cette dotation va aussi me permettre de renforcer ma relation avec le Japon mais aussi de créer de nouveaux liens culturels avec d’autres pays.
Votre résidence à la Villa Kujoyama, à Kyoto, a-t-elle modifié votre façon d'envisager votre travail ?
Cela a complètement changé ma façon de travailler. Pour une fois, j’ai eu le temps de prendre le temps. J’ai disposé de quatre mois pour rencontrer des gens et initier des recherches : c’était une parenthèse enchantée. J’ai aussi croisé beaucoup de personnes qui m’ont marqué : l’équipe de la villa, les autres résidents. Ce qui est intéressant, dans cette résidence, c’est la cohabitation entre des profils très différents : un joaillier, une designer, un architecte, une écrivaine. Nos échanges étaient passionnants. J’ai aussi pu rencontrer beaucoup d’artisans japonais. Sans compter l’inspiration au quotidien, simplement en marchant dans la rue. La nature, l’architecture, la lumière - qui est complètement différente là-bas - ont joué un rôle très important.
Karl Mazlo a été lauréat de la Villa Kujoyama en 2016. La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.