La Nuit des idées au Mexique : Timothée Parrique, économiste écologiste
Auteur de Ralentir ou périr (L’économie de la décroissance), aux éditions Seuil, Timothée Parrique propose de délaisser la croissance économique pour mieux faire face aux défis qui se dressent devant nous : du changement climatique à la réduction des inégalités en passant par l’amélioration de notre qualité de vie. Le 20 avril prochain il prendra part, à distance, à la huitième édition de la « Nuit des idées » organisée par l’Institut français sur les cinq continents, à travers une participation vidéo à l’évènement qui se tiendra plus particulièrement au Mexique le 20 avril.
Publié le 13/04/2023
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Vous allez participer à distance à la « Nuit des idées » organisée au Mexique par l’Institut français d’Amérique latine. La thématique choisie, « Plus ? », inspirée de la devise des Jeux Olympiques « Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble », sera déclinée sur la question du bien-être dans un monde aux ressources limitées. En quoi ce thème vous semble refléter les enjeux de nos sociétés actuelles ?
C’est un thème crucial qui vient mettre le doigt sur un récit moderne extrêmement problématique : l’illimitisme, soit la conviction que plus est toujours mieux. Plus vite, plus grand, plus gros – toujours plus. En économie, cette mentalité accumulative et accélérative se traduit par une obsession pour la croissance d’indicateurs financiers : Produit Intérieur Brut, profits, revenus, etc. Obnubilés par nos billets de Monopoly, nous donnons priorité à la croissance économique même si cela vient dégrader la santé sociale et la soutenabilité écologique. Cette religion de l’économie est aujourd’hui notre plus grand obstacle à toute transition écologique ambitieuse.
Vous êtes chercheur en économie écologique à l’Université de Lund, en Suède. Pouvez-vous nous éclairer sur cette branche de l’économie ?
L’économie écologique est une école de pensée en sciences économiques qui existe depuis les années 1980. Elle étudie les économies comme des « métabolismes sociaux », constamment traversés par un « flux biophysique » de ressources naturelles. Alors que l’économie traditionnelle se concentre sur des questions de production, d’allocation et de consommation, l’économie écologique rajoute deux étapes dans la séquence économique : l’extraction de l’énergie, de la matière et la mobilisation de services écosystémiques, ainsi que la déjection de déchets et de pollutions. Au lieu de se focaliser sur la monnaie comme force première de la mécanique économique, les économistes écologiques intègrent l’énergie, l’eau, la matière, et la biomasse pour évaluer les conditions qui permettraient à une économie d’être véritablement soutenable.
Dans le cadre de la Nuit des idées, vous avez enregistré trois vidéos : dont une sur le PIB et une autre sur la croissance verte. Pourriez-vous nous exposer votre vision du PIB et de la croissance ?
La poursuite d’une croissance à tout prix dans des pays déjà riches est écocidaire. Nos activités économiques sont extrêmement gourmandes en énergie, en matériaux, en sol et en temps de travail, même si la majorité de ces impacts se font sentir à l’étranger (dans les pays les plus pauvres, d’ailleurs). Alors que nous savons qu’il faut réduire l’usage des ressources naturelles, les nations déjà riches s’entêtent à monopoliser un budget écologique limité pour maintenir leur mode de vie impérial.
Et, quand bien même cette croissance infinie serait biophysiquement possible, à quoi bon produire toujours plus ? Dans tous les pays à hauts revenus, le PIB par habitant est depuis longtemps décorrélé des indicateurs de bien-être (santé, éducation, logement, services publics, bonheur, démocratie, etc.). Ces économies sont arrivées à maturité ; au lieu de croître en quantité, il serait beaucoup plus judicieux de grandir en qualité.
Vous prônez la décroissance, qui était d’ailleurs le sujet de votre thèse. Est-ce un choix dicté par vos convictions écologiques ?
Un médecin confronté à un patient en situation d’obésité prône un régime. C’est dicté par des convictions physiologiques. Un économiste écologique confronté à des pays riches en situation de dépassement environnemental prône la décroissance, cette fois dictée par des convictions écologiques. Sur l’aspect biophysique, ce n’est pas une histoire de convictions politiques car aucune croissance économique n’est soutenable sur le long terme, peu importe que l’économie soit capitaliste, socialiste, anarchiste, etc. Les valeurs viennent par contre informer sur la forme de cette décroissance. J’aime personnellement la décrire comme une réduction, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être, de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique. Le ralentissement des activités économiques est impossible à éviter mais rien ne nous empêche de l’organiser intelligemment pour qu’il soit démocratique, juste et convivial.
Parler de décroissance est plus radical que de prôner la « croissance raisonnée » ou la sobriété. Quelle distinction faîtes vous entre ces différentes approches ?
La croissance, qu’elle soit raisonnée, sobre, verte etc., doit être considérée comme une stratégie temporaire d’ajustement à une situation de manque – rien de plus. Nous n’avons pas assez de quelque chose et donc nous nous organisons pour produire davantage. Une fois le besoin comblé, nul besoin de continuer à faire augmenter la production. Si l’on arrive à simplifier un besoin, on peut même se permettre de produire moins, donc de relâcher la pression sur les écosystèmes (extraire et polluer moins) et sur les sociosystèmes (travailler moins).
On peut supposer que votre approche est peu répandue en France. Est-ce vraiment le cas ? Qu’en est-il à l’étranger : êtes-vous proche d’autres économistes ?
La popularité de cette approche est en pleine explosion ! Il y a, depuis 2008, plus de 600 articles scientifiques sur la décroissance et de nombreux livres. Nous sommes de plus en plus de chercheurs internationaux à se spécialiser sur le sujet, tous connectés dans divers réseaux de recherche commeResearch & Degrowth, le Post-growth Economics Network, ou bien la Wellbeing Alliance. Le Parlement Européen organise en mai 2023 une conférence intitulée « Beyond Growth », le dernier rapport du GIEC parle de décroissance à plusieurs reprises, et on retrouve le sujet dans de plus en plus de médias. La décroissance est bien partie pour devenir l’une des discussions les plus importantes de cette décennie.