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Laurel Parker et Paul Chamard : la Villa Kujoyama, le papier washi et leurs projets actuels

Le washi est utilisé depuis des siècles, non seulement comme une matière à écrire, mais aussi comme un textile, employé afin de décorer l’espace intérieur et créer des objets.

Depuis 2011, Laurel Parker et Paul Chamard travaillent ensemble sous le nom de Laurel Parker Book au sein d’un atelier de design, qui fabrique des livres d’artistes et des objets de luxe. Résidents de la Villa Kujoyama en 2019, leurs recherches se sont concentrées autour du papier washi, employé au Japon et entré au patrimoine mondial de l’UNESCO. De retour à la Villa Kujoyama en 2024, ils évoquent leur travail, leurs liens avec le Japon, ainsi que leurs projets actuels. 

Mis à jour le 05/12/2024

5 min

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Laurel Parker et Paul Chamard
Crédits
Laurel Parker et Paul Chamard © Gregory Copitet

Depuis onze ans, vous collaborez ensemble afin de créer des objets de luxe, réalisés grâce à des techniques d’édition artisanales. Quelle est la spécificité de ce travail ?

Laurel Parker : Nous avons un atelier de design et de fabrication de livres, mais aussi d’objets comme des boîtes et des coffrets, où tout est fait à la main. Nous répondons aux demandes de commandes d’artistes, de galeries, de maisons de luxe, d’institutions ou encore de bibliothèques. Ce sont des clients qui ont besoin de quelque chose qui puisse être à la fois beau et extrêmement bien fabriqué, tout en répondant à un design spécifique au projet.

Paul Chamard : On travaille ensemble depuis 2011 et nos projets fonctionnent par vagues. Ils sont régulièrement liés au secteur de l’art, des éditions de livres d’artistes, mais nous avons aussi des projets liés au luxe, qui font vivre l’atelier, d’autant qu’à Paris, nous avons accès à de nombreuses entreprises qui réclament des projets vraiment exceptionnels. À la main, il est envisageable de faire beaucoup de choses en petites séries et c’est ce que les gens viennent chercher chez nous.

 

Vous avez été résidents de la Villa Kujoyama au Japon en 2019 puis en 2024. Quels retenez-vous de ces expériences ?

Laurel Parker : Nous avons fait deux résidences : d’abord en 2019, puis cette année, en juin 2024. Depuis très longtemps, on aime tous les deux le washi, qui est le papier japonais fait main grâce aux fibres endémiques au Japon : c’est quelque chose qui nous intéresse et nous passionne car c’est un type de papier totalement différent de ce que l’on connait en Occident. C’est une matière qui ressemble plutôt à un textile et qui peut être froissée, pliée, teintée, de manière spécifique. Grâce à nos visites, nous avons pu comprendre que le washi est utilisé depuis des siècles, non seulement comme une matière à écrire, mais aussi comme un textile, employé afin de décorer l’espace intérieur et créer des objets. Beaucoup de ces techniques sont en train de disparaître car il n’y a plus d’usage, mais elles existent toujours dans le secteur décoratif.

Paul Chamard : Les techniques ont voyagé à travers le temps, mais l’usage aujourd’hui est complètement différent. Il y a beaucoup de choses populaires, un peu folkloriques, que les gens utilisent pour les festivals ou le tourisme. Par le biais de notre projet de recherche, nous avons pu rencontrer des spécialistes du washi et investiguer de façon approfondie sur cette matière. Dans notre première résidence, nous avons exploré les traitements artisanaux du papier, les gestes et techniques qui lui donnent ses propriétés. Cela nous a permis de nourrir notre travail d’atelier pour pouvoir l’utiliser dans nos projets en France.

Nous avons pu comprendre que le washi est utilisé depuis des siècles, non seulement comme une matière à écrire, mais aussi comme un textile, employé afin de décorer l’espace intérieur et créer des objets.

Que vous a apporté la Villa Kujoyama ? A-t-elle été déterminante pour développer vos liens avec le Japon ? 

Laurel Parker : Cette année, nous avons démarré un nouveau projet de documentaire sur les usages et la réutilisation des chutes de papier. Il nous a été possible de le poursuivre grâce aux personnes rencontrées là-bas. Nous avons visité une trentaine d’artisans dans le secteur du washi, pour notre film documentaire et pour nos projets de design intérieur. 

Paul Chamard : La barrière de la langue est très présente. Même si nous sommes bien accueillis et que dans les ateliers, les Japonais sont très ouverts, il y a toujours cette barrière. En 2019, la Villa Kujoyama, nous a aidé à surmonter cet obstacle et creuser en profondeur les discussions. Cette année nous avons eu la chance de travailler avec une Française, qui vit à Kyoto et qui est distributrice de papiers d’exception. 

 

Votre édition « Regarder les oiseaux », réalisée avec Françoise Pétrovitch, vient d’être acquise par le Musée de la Chasse et de la Nature. Comment est née cette association ? 

Laurel Parker : « Regarder les oiseaux » représente notre travail en tant qu’éditeur : nous invitons des artistes à collaborer avec nous pour créer de l’art. Même s’il n’y a pas de washi dans le projet, nous nous sommes nourris de l’esthétique de l’ikebana l’arrangement floral japonais. 

Paul Chamard : Entre-temps, on a exposé notre installation Inside Outside (en papier washi) au Musée de la Chasse et de la Nature dans le cadre de la Design Week en 2022, grâce à une collaboration entre la Villa Kujoyama, l’Institut français et le Musée de la Chasse et de la Nature. Nous avons pu rencontrer la direction et les équipes du musée, qui se sont intéressées à nos éditions et c’est comme ça qu’est née l’acquisition de « Regarder les oiseaux ». 

Dans les prochaines années, tous les vieux artisans qui travaillent au Japon ne seront plus là. J’espère que ce genre d’échange entre les pays va donner plus d’intérêt pour aider à faire vivre ces techniques.

Votre installation Inside Outside interroge l’usage contemporain du washi. Pourquoi avez-vous décidé de travailler ce matériau ? 

Laurel Parker : J’ai fait des études au School of the Museum of Fine Arts Boston et, en sortant de l’école, j’ai travaillé comme acheteuse dans un magasin de fournitures d’artistes. C’est là que j’ai découvert le washi. Puis, je suis devenue assistante d’artiste dans un atelier où l’on utilisait du washi et j’ai compris que cette matière était incroyable, qu’elle ressemblait à un tissu. Au fur et à mesure, j’ai découvert les traitements différents dans les papiers décoratifs et j’ai été fascinée. Dans les prochaines années, ces savoir-faire vont disparaître : tous les vieux artisans qui travaillent au Japon ne seront plus là et il n’y aura plus personne pour reprendre leur activité. J’espère que ce genre d’échange entre les pays va donner plus d’intérêt pour aider à faire vivre ces techniques. 

Paul Chamard : Dans l’histoire du papier, le washi a de multiples qualités naturelles : fin, résistant, durable... Rencontrer directement les spécialistes de cette matière a transformé nos habitudes de travail et nous a amené à de nouveaux projets pour l’atelier. 

 

Quels sont vos projets à venir ? Souhaitez-vous poursuivre vos recherches autour du washi ? 

Paul Chamard : Notre exposition à la galerie Sinople s'est terminée le 5 octobre. Nous y présentions des œuvres développées avec les techniques découvertes en résidence, qui ont été réinterprétées. Il y avait des objets liés à l’architecture d’intérieur, qui peuvent être installés dans l’espace en tant qu’œuvres ou matières. 

Laurel Parker : La gamme s’appelle Folded By Hand. Tout est fabriqué de washi qui est plié, froissé à la main, transformé et cousu à la main à notre atelier. Nous avons également comme projet notre film, « Mitsumata Square », qui a été tourné en juin 2024 et sur lequel nous travaillons. On espère qu’il sera terminé en 2025, mais nous avons besoin d’aides financières pour les traductions car le film sera en français, en japonais et en anglais pour avoir un meilleur rayonnement. Le film parle des washi particuliers utilisés comme des outils dans la fabrication de la feuille d’or.  On a aussi créé des lanternes, installées au Terminal à Kyoto depuis le 16 octobre, durant une exposition sur les dix ans des métiers d’art à la Villa Kujoyama,. Elles seront aussi exposées à l’Institut français de Kyoto : nous avons imprimé un QR Code sur la lanterne, qui, une fois scanné, renverra vers une bande-annonce de notre film. 

La Villa Kujoyama

La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal. 

2024 marque les 10 premières années de résidences métiers d’art à la Villa Kujoyama, initiées grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. 

En savoir plus sur les résidences à la Villa Kujoyama 

L'institut français, LAB